Les critiques du plan Bayrou edit

Avant même d’être annoncé, le plan Bayrou faisait l’objet de critiques qui se sont depuis multipliées. Mais qui, pour beaucoup d’entre elles, paraissent fragiles. La plus intéressante est le reproche de ne faire que de l’ajustement immédiat sur les finances publiques sans intégrer de vision de long terme et de proposition de réformes structurelles. La critique est en partie injuste : des réformes de l’indemnisation chômage, du financement de la protection sociale ou plus largement du marché du travail sont évoquées mais, très logiquement et dans le respect de l’article L1 du code du Travail, les partenaires sociaux sont appelés à négocier préalablement sur ces thèmes et possibles réformes structurelles. Par ailleurs, le plan Bayrou s’inscrit dans l’urgence de la nécessité absolue d’un redressement de nos finances publiques et, à ce titre, l’essentiel est qu’il ne porte pas de menace majeure sur le long terme.
Le plan Bayrou est-il équitable?
Le plan fait également l’objet d’une critique compulsive en France : il serait inégalitaire et anti-redistributif. Les évaluations proposées sur ce point semblent avoir été préparées avant même l’énoncé du plan, au point d’en ignorer le contenu. Or il contient au contraire diverses dispositions très redistributives. Tout d’abord, le maintien de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, qui frappe le haut de la distribution de ces derniers. Qui pouvait d’ailleurs croire, à ce sujet, que dans notre pays une telle taxe exceptionnelle ne serait pas amenée à devenir permanente ? Ensuite, le gel du barème de l’IR, qui aboutira à une augmentation de l’impôt pour les revenus en croissance, augmentation elle-même croissante en pourcentage des revenus avec ces derniers. Bien sûr, des foyers fiscaux à faible revenus, actuellement non soumis à l’IR, pourraient le devenir, mais le nombre des ménages concernés sera faible, l’impôt sera lui-même très réduit, et rappelons que la proportion de foyers fiscaux exonérés d’IR dépasse actuellement 50 %.
Il est ainsi parfois avancé que les faibles revenus actuellement non imposables pourraient, par le gel du barème, subir un choc fiscal important. C’est inexact. Les faibles revenus non imposés qui ne connaissent pas d’augmentation demeureront non imposés. Et prenons le cas d’un foyer fiscal actuellement non imposé, c’est-à-dire dans lequel le revenu annuel par unité de consommation était inférieur à 11 498€. Si ce foyer fiscal bénéficie d’une augmentation de revenu de 5 %, très largement supérieure à l’inflation, ces 5 % d’augmentation seront imposés au taux de 11 % de la première tranche d’imposition, c’est-à-dire que le revenu de ce foyer fiscal sera imposé à hauteur de 0,55 % (11 % de 5%) et qu’il bénéficiera donc d’une augmentation de son revenu net d’impôt, par unité de consommation, de 4,45% (5% - 0,55%). On est ici loin d’un choc fiscal[1] !
Par l’année blanche, le plan Bayrou prend le parti de solliciter une contribution de tous les revenus, y compris les prestations et donc aussi les plus faibles revenus. Outre son rendement, ce choix présente la vertu de sensibiliser tous les ménages et citoyens à la situation de nos finances publiques et à l’ajustement à réaliser. Rappelons que l’inflation est en France actuellement inférieure à 1%. La perte de pouvoir d’achat sur les prestations non revalorisées, comme sur l’ensemble des bas revenus, sera donc ici d’une ampleur limitée.
Les retraites sont également sollicitées, comme les autres revenus
Dans le plan Bayrou, les pensions de retraite perdront le bénéfice de l’abattement fiscal de 10%, ce qui ici encore frappera les pensions en proportion croissante avec leur montant. Enfin, la suppression de cet abattement sera compensée par un abattement forfaitaire annuel de 2000€ par personne, qui bénéficiera surtout, en pourcentage de la pension, aux retraités imposables les moins riches. La réforme a donc des effets redistributifs, et c’est faire preuve de mauvaise foi que de ne pas l’admettre.
L’attention portée aux intérêts des retraités par certains partis politiques est démesurée. Le prétexte de la censure du Gouvernement Barnier était d’ailleurs une sous-indexation des retraites. Mais soyons lucides : si l’ajustement budgétaire annoncé par le Premier ministre ne se fait pas et que la France se voit soudain exposée à des sanctions de marché intolérables, l’ajustement que demanderont alors nos créanciers sera sans aucun doute encore bien plus douloureux pour les retraités. Les pays qui se sont trouvés obligés d’opérer des ajustements budgétaires rapides et de très forte ampleur, sous la surveillance de leurs créanciers, ont souvent très fortement baissé les retraites, parmi d’autres prestations. Ce fut le cas de la Grèce lors de la crise de l’euro. Sous la pression de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI), elle a dû opérer des ajustements budgétaires drastiques en échange de plans de sauvetage financier, et en tête de ces mesures figurait une réduction massive des retraites : baisse des pensions principales et complémentaires, suppression de la 13e et 14e mensualité pour les retraités, hausse de l’âge de départ à la retraite. Le Portugal, dans le cadre du plan d’aide de 2011, a dû lui aussi faire appel à l’aide de la Troïka. Quelles dépenses publiques furent réduites ? Vous l’avez deviné, les retraites : gel des pensions, réduction des pensions supérieures à un certain seuil, hausse de l’âge légal de départ à la retraite. Dans les deux cas, l’objectif visé était de maîtriser les dépenses publiques pour répondre aux exigences de rigueur budgétaire. C’est précisément ce que tente de faire le gouvernement, mais dans une situation où la contrainte serait imposée de l’extérieur les arbitrages seraient plus douloureux et dans le même temps plus évidents – sans doute parce que vu de l’extérieur c’est sur ce sujet que la situation est la plus aberrante.
Ainsi, ceux qui prétendent actuellement protéger les retraités en s’opposant à tout ajustement présent les exposent au contraire au risque de sacrifices d’une autre ampleur ! Rappelons d’ailleurs que, dans le cadre du conclave sur les retraites qui s’est achevé en juin dernier, les partenaires sociaux et parmi eux les trois syndicats de salariés participant au conclave (la CFDT, la CFTC et la CGC) s’accordaient eux-mêmes sur le principe d’une désindexation de 2,2 % sur plusieurs années. Ils sont d’ailleurs coutumiers de telles désindexation des retraites qu’ils pratiquent sur les retraites complémentaires gérées par l’AGIRC-ARRCO, soit de façon explicite soit de façon beaucoup moins lisible pour le grand public, par exemple en relevant la valeur d’achat du point.
La question des jours fériés et de la cinquième semaine de congés payés
Poussant le keynésianisme jusqu’à la caricature, certains experts critiquent le plan Bayrou en évoquant son caractère massif et ses conséquences récessives. C’est oublier plusieurs choses. Tout d’abord que les difficultés des finances publiques françaises sont elles-mêmes massives et qu’une sanction des marchés à un ajustement insuffisant pourrait être beaucoup plus récessive. Ensuite, ce plan, s’il est réellement engagé, permettra tout juste à la France de respecter ses engagements européens. Nos keynésiens compulsifs proposent-ils de sortir du cadre européen, voire de l’Union européenne ? Non, bien sûr, mais ils en veulent les avantages et non les engagements.
Pour augmenter le PIB par habitant de notre pays, très bas comparé à celui de l’Allemagne, des Pays-Bas, des pays nordiques et scandinaves, le Premier ministre a annoncé vouloir flexibiliser davantage le marché du travail afin d’augmenter le taux d’emploi et la durée travaillée. Concernant la durée du travail par exemple, il a évoqué des discussions sur la suppression de deux jours fériés et sur des possibilités de rachat de la cinquième semaine de congés payés. Et si les organisations patronales ont bien accueilli ce dernier point, les réactions syndicales ont été totalement hostiles, certains y voyant même une pièce digne du « musée des horreurs ». Mais est-ce vraiment le cas ? Deux éléments ici sont surprenants. Le premier est que cette critique par réflexe ignore complètement l’avis des salariés. Or, dans l’arbitrage « temps contre argent », la séquence politique allant des 35 heures (1998-2000) à l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 avait révélé l’importance, pour une large fraction du salariat, de la question du pouvoir d’achat, et in fine d’une préférence pour travailler plus dès lors que la rémunération était au rendez-vous. On peut toujours discuter des contraintes implicites qui amènent ces préférences, mais elles existent, et les salariés qui les expriment ne sont pas des enfants. Pourquoi décider à leur place ? Pourquoi penser leur intérêt à leur place ? Dans la période actuelle où les gains de productivité sont particulièrement faibles, l’aspiration à des hausses du pouvoir d’achat salarial peut dans certains cas trouver sa source dans de tels allongements de la durée travaillée.
Cela nous amène au deuxième élément. On aurait pu espérer des syndicats une prise en compte de l’avis même des salariés, et donc de leur intérêt, en proposant par exemple qu’une telle possibilité de rachat ne puisse être envisagée qu’en cas d’accord collectif qui en définirait et en encadrerait les modalités. Libre ensuite à chaque salarié de décider s’il souhaite garder sa cinquième semaine de congés ou la monétiser dans le cadre de dispositions protectrices décidées par des accords de branche ou d’entreprise signés par les syndicats. Cela pourrait préserver du risque de « volontariat forcé » évoqué par quelques syndicats. Certains d’entre eux affirment que la hausse du pouvoir d’achat salarial doit seulement venir d’une hausse des salaires, oubliant à la fois l’atonie des gains de productivité qui doit rester la source de ces hausses, et le fait que la négociation salariale fait partie de leurs compétences premières…
Revenons sur la proposition de suppression de deux jours fériés, le lundi de Pâques et le 8 mai. Elle est généralement présentée comme un simple moyen d’augmenter les recettes publiques. Mais sa principale conséquence devrait être précisément d’augmenter la production, et avec elle ce qui augmenterait en effet la base taxable (salaires et valeur ajoutée) et donc les recettes publiques. Le nombre de jours travaillés par les salariés est d’environ 230 jours par an. L’augmentation de production pourrait donc être de l’ordre de 0,9%, sans prendre en compte d’éventuels effets multiplicateurs, ce qui serait précieux pour un pays dont le PIB par habitant n’est pas à la hauteur de ses ambitions, sociales en particulier. Le gouvernement propose que ces deux jours de travail supplémentaires soient payés comme des jours normaux. De ce fait, l’accusation de « retour des corvées de l’ancien régime » qu’on avait entendue à propos de la suppression du lundi de Pentecôte, travaillé mais non payé, et qui, malgré son outrance, avait quelque fondement, n’aurait pas tenu. Les syndicats auraient pu saisir la balle au bond et demander des négociations sur la compensation salariale de la suppression des jours fériés. Ils auraient été dans leur rôle. Certains ont préféré polémiquer sur la signification du 8 mai alors qu’au sein de l’Union Européenne, seule une poignée de pays dont la France chôment le jour de la Victoire, une célébration que le Général de Gaulle avait d’ailleurs supprimée.
Manifestement, les syndicats ne recherchent pas l’élargissement de leur rôle contractuel via la négociation locale (dans les branches et les entreprises) et s’habituent à se satisfaire d’un rôle surtout institutionnel. Rappelons que sur les 27 pays de l’Union Européenne, seuls six pays totalisent un nombre de jours fériés ajouté à celui des congés payés supérieur à celui de la France. Il semble loin, le temps où l’un des principaux syndicats de salariés soutenait courageusement en 1995 le principe et la logique du plan Juppé visant à consolider les comptes sociaux.
Bien sûr, le plan Bayrou n’est pas parfait…
Bien sûr, le plan Bayrou est imparfait : chacun voudrait plus de telles mesures et moins de telles autres. Comment pourrait-il en être autrement ? Certains pourront par exemple penser que les collectivités locales auraient pu être davantage sollicitées concernant les économies de dépenses. Dans notre pays, il y a autant de plans de consolidation des finances publiques que de citoyens ! Par exemple, une hausse de la TVA sur la restauration aurait des effets immédiats en conjuguant deux avantages : une demande élastique, capable de s’adapter, et l’absence de justification de cette niche fiscale coûteuse, décidée en 2007 pour des raisons surtout politiques et sans grande considération des effets économiques. Alain Trannoy avait taillé en pièce cette « bien mauvaise idée » sur Telos dès décembre 2005, au moment où cette question était revenue dans le débat public. Vingt ans après, il serait peut-être temps d’y mettre fin[2]. Le coût actuel annuel de cette niche pour les finances publiques est d’environ 3 milliards d’euros. Presque équivalent à l’augmentation du budget de la défense récemment voulue par le Président de la République.
Le plan Bayrou n’est pas parfait, mais il est massif, équitable et porte la nécessité d’un ajustement dont l’absence nous exposerait à de grands risques et des perspectives plus douloureuses. Il est certes plus sophistiqué que la seule augmentation de la « taxation des riches », proposée de façon compulsive pas certains acteurs politiques et syndicaux, encouragés par des économistes qui semblent oublier cette règle cardinale de la fiscalité : un bon impôt a une assiette la plus large possible. Tous oublient sciemment que, parmi les pays avancés, la France est déjà le champion toutes catégories de la taxation et que les effets préjudiciables à long terme au PIB de tels relèvements importants de la taxation seraient autrement plus lourds que ceux liés à un mix mobilisant surtout une baisse des dépenses. La pauvreté équitable et partagée par tous ne peut être un avenir radieux.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)
[1] Nous n’ignorons pas que certains ménages, en devenant imposables, perdront le bénéfice de certaines exonérations ou réductions fiscales ou de certaines aides sociales. La question avait déjà été posée en 2014. Mais l’effet de seuil est bien moindre aujourd’hui, du fait de la suppression de la redevance pour l’audiovisuel public et de la taxe d’habitation pour la résidence principale, deux taxes dont étaient exonérés les ménages non imposables et.
[2] Pour des arguments précis et actualisés sur ce sujet, voir Gilbert Cette, « Finances publiques: baisser les dépenses ou augmenter les taxes? », Telos, 25 avril 2024.