La capitalisation en France, de la théorie à la pratique edit
Notre pays, on le sait, adapte fréquemment son système de retraite par répartition. Il le fait toujours dans l’urgence et sans jamais parvenir à définir une stratégie à long terme dans une matière où précisément c’est bien le temps long qui devrait primer.
Avec la réforme Borne qui ne réglait pas, loin s’en faut, les déséquilibres de nos retraites, mais qui améliorait sensiblement les perspectives financières, nous pensions avoir au moins gagné deux ou trois ans de paix sociale. Las, avec sa suspension, nous sommes bien obligés de relancer prématurément le débat. Cette fois, et après deux échecs successifs (l’échec de la réforme Borne succédant à celui d’Edouard Philippe en 2020), de nombreux experts et acteurs politiques ont la conviction qu’il faut cesser de procéder par de nouveaux rafistolages du système actuel. L’heure est donc à la créativité et aux « big bangs »… ! Et parmi les pistes évoquées, l’introduction d’une dose de capitalisation revient en force dans les débats publics après de nombreuses années d’absence de réflexion sur le sujet.
En théorie, le passage à un système intégrant une dose significative de capitalisation aurait plusieurs avantages décisifs compte tenu de nos perspectives démographiques. Le premier repose sur des considérations d’équité intergénérationnelle. Notre système aboutit en effet mathématiquement à ce que le taux de rendement des cotisations versées diminue au cours du temps[1]. Dit autrement, chaque génération voit la générosité du système diminuer alors même qu’elle devra cotiser toujours plus. La capitalisation a l’avantage d’offrir des rendements, ceux des actifs financiers et de l’immobilier, qui ne seraient pas a priori tendanciellement en diminution.
Le deuxième est la possibilité, du moins à long terme, de financer un niveau donné de pensions avec de moindres taux de cotisations, dans un contexte où notre pays bat des records en matière de charges pesant sur le travail. C’est le cas notamment lorsque les fonds de la capitalisation sont investis dans des actifs suffisamment diversifiés géographiquement pour permettre d’aller chercher des relais de croissance et de rendements à l’étranger.
Le troisième est la perspective qu’une partie des fonds de capitalisation soit investie dans l’économie française et concoure à renforcer les fonds propres de nos entreprises, leur permettant ainsi d’investir.
Au regard de ces avantages, les inconvénients sont faibles. Les contempteurs de la capitalisation mettent généralement en avant les risques financiers. C’est oublier la robustesse donnée par la taille des fonds de pensions géants et qui n’ont pas besoin d’être liquides, par exemple ceux de type Calpers (gérant les fonds de pension des fonctionnaires californiens) ou encore des fonds de capitalisation suédois. De tels fonds parviennent sur le long terme à dégager des rendements supérieurs à 4% réels. En outre, toute une littérature économique démontre l’intérêt des systèmes hybrides capitalisation – répartition en matière de diversification des risques[2] : risque politique et sur la croissance économique nationale pour la répartition, risque financier international pour la capitalisation.
Au total, il ne fait guère de doute que si nous devions construire un système de retraite ex nihilo dans le contexte démographique actuel, nous choisirions un système mixte. Bien entendu, nous ne partons pas d’une feuille blanche, mais au contraire d’un système par répartition pure qui, en outre, ne dispose que de très peu de réserves financières. La question qui se pose est donc celle de la transition d’un système à un autre. Et c’est sur cette question qu’achoppent la plupart des propositions. En réalité, deux visions sont possibles.
La première consiste à encourager l’accumulation d’épargne retraite dans des dispositifs de type plan d’épargne retraites d’entreprise ou individuels, par exemple via des incitations fiscales renforcées. Si ce mouvement s’effectue sur une base volontaire, il a de nombreux atouts : pas de hausse des cotisations obligatoires, réorientation de l’épargne existante vers les retraites, neutralité bienveillante des syndicats, fort soutien de la population qui démontre une forte appétence pour ce type de produits financiers, notamment depuis les incitations et les simplifications opérées par la loi PACTE de 2019… Ce système comporte toutefois un inconvénient de taille : il risque, comme c’est le cas aujourd’hui, de ne profiter qu’à ceux qui peuvent mobiliser une épargne existante ou qui ont la chance de travailler chez un employeur ayant les capacités d’abonder le plan d’épargne. Généraliser ce type de dispositif, ce que font certains pays, nécessiterait la création d’une nouvelle cotisation retraite, en plus des 28% actuels qui nous placent déjà dans le top 3 des pays de l’OCDE.
La seconde consiste à construire un pilier par capitalisation à l’intérieur du pilier actuel par répartition, et donc réduire progressivement ce dernier et le recentrer sur une retraite de base comportant une large proportion de solidarité (donc faiblement contributif). Cette méthode serait la seule à autoriser une véritable « capitalisation pour tous » permettant de protéger la totalité des salariés du secteur privé contre le déclin inéluctable de la répartition.
Mais ne nous voilons pas la face : pour ne pas créer une double cotisation (nécessité de financer les retraites par répartition actuelles tout en amorçant la création d’un pilier par capitalisation), les efforts ne sont pas négligeables. Dans une note récente publiée par la Fondapol[3], mes co-auteurs et moi-même explorons et simulons différents scénarios de montée en charge d’un tel système qui représenterait à terme 25% des pensions versées aujourd’hui, sous différentes hypothèses de taux de rendement des fonds investis. Sans surprise, cette transition sans hausse nette de cotisations suppose dans tous le cas une contribution significative de la part des retraités actuels (sous forme de sous-indexation temporaire des pensions et de suppression de l’abattement de 10 % à l’IR) et des salariés (via une hausse de la durée du travail, par exemple de deux jours de travail par an, consacrées à financer la capitalisation).
Enfin, il est proposé que ce fonds soit piloté par les partenaires sociaux de l’AGIRC-ARRCO. Dans la mesure où il s’agirait de remplacer une partie des retraites existantes et que ce régime recyclerait les réserves de l’AGIRC-ARRCO pour contribuer à l’amorçage, ce schéma institutionnel paraît assez naturel.
Les voies de passage pour introduire un pilier par capitalisation profitant à tous les salariés existent donc, mais elles sont exigeantes.
Terminons sur une remarque qui va de soi, mais qui pourrait bien refroidir les ardeurs de certains promoteurs de la capitalisation : en aucun cas un tel dispositif ne peut et ne doit servir au rééquilibrage d’un pilier par répartition. Car il serait pour le moins absurde de viser à accumuler plusieurs dizaines de points de PIB en capitalisation tout en laissant le pilier répartition d’endetter à un niveau quasi équivalent… !
C’est dire que l’introduction, aussi souhaitable soit-elle, d’un pilier par capitalisation dans le système de retraite doit nécessairement s’accompagner d’un rééquilibrage, par ailleurs, du pilier par répartition, ce qui ne se fera pas, là encore, sans un effort partagé des actifs et des retraités.
Les termes du débat étant clarifiés, il n’y a plus qu’à le laisser prospérer.
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[1] Le Conseil d’orientation des retraites publie chaque année un graphique insuffisamment commenté qui présente, pour chaque génération et pour quelques cas-types, le taux de rendement interne du système de retraite actuel. Ainsi, pour un salarié non-cadre, ce rendement, corrigé de l’inflation, passerait d’environ 2,5% pour les générations nées dans les années 1940 à 0,5% pour les générations nées à partir des années 1990, soit un rendement inférieur à celui du livret A…
[2] Voir par exemple Jayasri Dutta, Sandeeo Kapur, et Michael Orszag, “A Portfolio Approach to the Optimal Funding of Pensions”, Economics Letters, septembre 2000, pp. 201-206.
[3] Cf. Philippe Gravier, Bertrand Martinot et Renan Muret, « Vers un système de retraite mixte répartition – capitalisation. Quelques modalités concrètes de transition », note de la Fondapol, novembre 2025.
