Et si la dette française s’effondrait? edit

Le ministre des Finances, Eric Lombard, a récemment évoqué la possibilité que la France se retrouve sous la tutelle du FMI. Même s’il rapidement nuancé son propos, le fait que cette possibilité ait traversé son esprit signale que la France s’approche de la zone des tempêtes. Il n’est donc pas inutile de réfléchir ce qui pourrait se passer au cas où les marchés financiers paniqueraient.
À 110 % du PIB, la dette publique est élevée, mais pas à un niveau qui conduit inévitablement à une situation critique, lorsque les marchés financiers ne veulent plus rien prêter au gouvernement et cherchent à s’en débarrasser. Ce qui compte, c’est l’évolution à venir, et la situation n’est pas rassurante. La dette peut avoir brutalement augmenté pour de bonnes raisons, comme durant l’épidémie de Covid. Mais voilà plus de six décennies que les déficits s’accumulent sans répit. Chaque année, le gouvernement en place a évoqué une urgence. Il se pose ensuite la question de savoir si la barre peut être durablement redressée. Or le « quoi qu’il coûte » s’est prolongé bien après l’épidémie. Et voilà que le parlement est incapable de décider quoi que ce soit de vaguement raisonnable et s’apprête à renverser un gouvernement qui propose une correction modeste et plutôt bien construite. Rien ne dit que le prochain président et le nouveau parlement auront plus de succès, ni même qu’ils souhaiteront réduire les déficits. Alors, oui, le risque de crise devient plausible.
Il est entendu que dans ce cas, la banque centrale intervient immédiatement – dans les minutes qui suivent le déclenchement de la crise – comme prêteur en dernier ressort, en achetant sans limite la dette qui tombe en déshérence. Le problème est que la Banque de France n’est plus vraiment une banque centrale, puisqu’elle ne peut agir que sur instruction de la BCE. Or cette situation s’est déjà produite en 2010 dans le cas de la Grèce. La BCE n’est pas intervenue, sinon pour des actions marginales qui n’avaient pas pour objectif de bloquer la panique financière. Non seulement la dette grecque s’est retrouvée abandonnée à son triste sort, mais la crise s’est étendue à l’Irlande et au Portugal, et les dettes italiennes et espagnoles ont été durement secouées. La raison est que les traités européens interdisent les interventions de la BCE comme prêteur en dernier ressort. C’est précisément pour cette raison qu’a été inventé le Pacte de Stabilité, destiné à empêcher toute dérive dangereuse, mais il n’a pas fonctionné. La réforme de l’an dernier n’a pas amélioré la situation. Ce qui arrive en France en est la preuve : l’Assemblée nationale peut agir en totale irresponsabilité.
Il existe deux filets de secours, le FMI et le mécanisme européen de stabilité (MES), qui a été créé en 2012 en pleine crise pour « laver le linge sale en famille » en se passant du FMI. Ces deux organismes peuvent octroyer des prêts à un gouvernement en difficulté, mais la taille de ces prêts est limitée et ils sont soumis à des conditions qui sont souvent drastiques. Ces conditions doivent être négociées, ce qui prend du temps, de l’ordre de quelques semaines. En attendant, le pays en crise ne peut plus du tout financer son déficit budgétaire et son gouvernement se retrouve dans l’obligation de couper instantanément dans les dépenses, et d’obtenir l’approbation de son parlement. En comparaison, le budget Bayrou est un jeu d’enfant.
Il est probable que la BCE ne voudra pas prendre le risque de laisser la France sombrer. Le pays est trop grand pour qu’une telle crise n’affecte tous ses partenaires européens. De plus, le résultat pourrait être une sortie forcée de la zone euro, devenue inévitable pour que la Banque de France puisse intervenir comme prêteur en dernier ressort. Ce pourrait alors conduire à la fin de la monnaie unique et à une profonde détérioration de la situation en France. S’il le faut, la BCE trouvera sûrement des arguments légalement créatifs pour déroger ainsi aux traités européens. Mais même si une telle intervention calme la panique financière, elle ne rend pas la dette finançable et il reste nécessaire de recourir à l’aide de FMI et/ou du MES pour mettre en place un plan de sauvetage, qui ne peut être que draconien. Il se pose alors la question de l’attitude du Parlement…
Si les derniers jours sont un prélude à ce qui pourrait se passer, deux possibilités apparaissent. La première est une sortie de la zone euro. Cette idée avait été envisagée par le gouvernement grec en 2015. Son premier ministre à l’époque, Alexis Tsipras, avait des idées mélenchoniennes, mais il a jeté l’éponge quand il a réalisé la difficulté de l’opération – on ne recrée pas une nouvelle monnaie en quelques jours – et son coût économique. Il a donc accepté toutes les conditions requises par le MES. Il a fallu plus de dix ans pour que la Grèce retrouve son niveau de PIB de 2009. L’autre possibilité est de travailler avec les Européens et rapidement accepter les conditions imposées par le MES, et sans doute le FMI au vu des sommes nécessaires à la remise en route du pays. Cela passerait par un statut réduit de la France sous perfusion en Europe et dans le monde. Cela nécessiterait aussi une union sacrée de toutes les forces politiques, qui permettrait une paix sociale durant pas phase de rémission, qui se mesurerait en années.
La situation précaire de la France constitue aussi un défi pour la zone euro. Malgré la crise des dettes de 2010-12, rien n’a vraiment été fait pour éviter une nouvelle crise. Un livre récent avance des propositions cohérentes[1]. Il s’agirait d’extriquer la BCE de son impossible rôle de prêteur en dernier ressort : si elle intervient, elle risque d’encourager l’indiscipline budgétaire, si elle n’intervient pas, elle pourrait provoquer la fin de d’euro. Pour cela, il faudrait assurer un traitement immédiat de la crise, en réformant le MES. Son rôle serait d’intervenir immédiatement comme prêteur en dernier ressort, grâce à un financement des autres pays membres préalablement mis au point. Le MES serait alors chargé de négocier les conditions d’une continuation de son soutien. La dette en crise serait aussi promptement restructurée – autrement dit annulée. Pour que soit possible il aura fallu au préalable protéger les banques, qui prêtent beaucoup à leurs gouvernements, en les obligeant à se diversifier et donc à beaucoup moins prêter à leurs gouvernements et ainsi éviter qu’elles ne supportent des pertes qui les mettraient en danger. Ce sont des idées intéressantes, qui ont le tort d’aller à l’encontre de nombreuses vaches sacrées européennes. On pourrait ajouter l’une d’elles, le Pacte de Stabilité, qui a besoin d’être entièrement repensé.
On dit souvent qu’il est irresponsable de ne pas profiter d’une crise pour conduire des réformes trop longtemps écartées. C’est peut-être là une contribution de la France, pour elle-même et pour l’Europe. On peut toujours rêver.
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[1] John H. Cochrane, Luis Garicano et Klaus Masuch, Crisis Cycle: Challenges, Evolution, and Future of the Euro, Princeton University Press, 2025.