Musk, ou ce qu’il ne faut pas faire edit

23 juin 2025

Dans les pays développés, tous les gouvernements, ou presque, voudraient réduire leurs dépenses, ne serait-ce que pour faire de la place aux urgences du moment. Cela passe par des coupes dans les effectifs de la fonction publique, au nom d’une productivité accrue, ou l’élimination de programmes qui ont passé la date de validité, ou la recherche d’une efficacité accrue, l’élimination de niches fiscales (bravement qualifiée de baisse de la dépense fiscale) ou l’inévitable allongement de la durée du travail et le resserrement des aides sociales. Passées les élections, la plupart de ces idées sont abandonnées quand les bénéficiaires de la manne publique protestent avec véhémence. La nomination d’Elon Musk à cette responsabilité pouvait faire espérer que le brillant homme d’affaires, qui a réinventé la voiture électrique et inventé la fusée réutilisable, allait élaborer la méthode que les politiciens n’avaient pas su trouver. Il a échoué, piteusement.

Il avait annoncé ses ambitions : réduire les dépenses de 2000 milliards de dollars sur un budget total de 6800 milliards. Après un mois d’efforts, il a réduit son objectif de moitié. Deux mois plus tard, il a annoncé avoir récupéré 150 milliards mais un examen attentif des détails suggère un chiffre beaucoup plus modeste, une fois que l’on élimine des décisions qui précèdent l’élection de Trump et des opérations fantaisistes. Frustré par son incapacité, il est parti en claquant la porte. La déception est à la hauteur des espoirs que Musk avait suscités. Mais cet épisode est quand même riche d’enseignements car Musk a montré ce qu’il ne faut surtout pas faire.

Sa méthode a consisté à envoyer des équipes de jeunes gens férus de technologies de l’information d’avant-garde dans toutes les administrations pour identifier les gaspillages voire les malhonnêtetés de l’État profond dénoncé par Trump. En un temps record, ces brillants jeunes gens ont proposé des licencier des milliers de fonctionnaires et de fermer des pans entiers de l’administration. Au grand dam des ministres concernés, cette chasse au gaspi a désorganisé des services publics hautement utiles comme la météorologie et des pans entiers de la santé publique. Ils ont également arrêté des programmes d’aide au développement parce qu’ils versent de l’argent à des étrangers qui, en plus, manquent de gratitude. Une part importante de ces coupes sont maintenant bloquées par des tribunaux, et ces litiges se termineront à la Cour Suprême, dont plus de la moitié des membres ont été nommés par Trump ou ses prédécesseurs Républicains. Même ainsi, certains cas seront sans doute tranchés en défaveur de Trump.

Une première leçon est que la réduction de la taille de l’administration ne peut pas être conduite depuis le sommet de l’État. C’était là une des originalités de la méthode Trump-Musk. Ayant annoncé la couleur avant même les élections, Trump pouvait considérer qu’il avait un mandat démocratique pour procéder ainsi parce qu’il se méfie de l’État profond, mais la méthode hypercentralisée a clairement échoué.

Deuxième leçon, Musk et ses équipes n’avaient aucune connaissance du fonctionnement des administrations. La réforme ne peut pas réussir sans impliquer les personnels à tous les niveaux. C’est une chose de se méfier de la résistance spontanée des personnels, c’en est une autre de ne pas se renseigner avant de prendre des décisions, quitte à passer outre à certaines objections, même si elles sont justifiées.

La troisième leçon concerne la vitesse. Musk a adopté la tactique de Trump qui consiste à tout faire tout de suite. Il a aussi été inspiré par l’expérience du président argentin, Javier Milei, mais ce dernier avait longuement et minutieusement préparé son affaire, bien avant les élections. Il avait fait appel à de solides experts qui avaient conseillé un précédent président, Mauricio Macri, qui avait échoué parce qu’il avait avancé trop lentement, laissant le temps aux opposants de s’organiser. La bonne vitesse est un élément crucial, elle dépend de la situation politique et de la qualité de la préparation préalable.

La quatrième leçon est que chaque administration existe parce qu’elle correspond, ou a correspondu, à un besoin. Elle peut être mal organisée, dysfonctionnelle même. Le besoin peut avoir disparu ou être mieux servi par une autre administration, mais on ne peut pas cesser des activités utiles sans prendre des mesures alternatives, par exemple des transferts d’un ministère à un autre. Là encore, l’exemple de Milei est utile. S’il a éliminé de nombreux ministères, c’est avant tout pour lutter contre la prolifération de boutiques administratives dont le but premier était d’offrir des emplois aux amis du parti péroniste, une situation qui n’existe pas vraiment aux États-Unis.

La cinquième leçon est d’ordre géographique. Diverses administrations fédérales sont en partie délocalisées dans tout le pays, le résultat de décennies de politiques dites « pork barrel » qui servent à obtenir l’appui d’élus influents en échange d’emplois publics dans leurs circonscriptions. Dans certains endroits, elles emploient une part importante de la population si bien que leur fermeture, ou une drastique réduction du personnel, devient une source importante de chômage, qui appelle des aides sociales et donc des dépenses supplémentaires. Ce genre de situation réclame de la patience.

La sixième leçon concerne la transparence. Pressé d’obtenir des résultats spectaculaires, Musk a multiplié des annonces sans fournir toutes les informations sur les économies attendues et sur ce qui avait été décidé, puis réalisé. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour constater des erreurs, parfois sciemment mensongères. L’impact sur tout le programme a été sévère, et celui sur la confiance en Musk et ses équipes catastrophique. Il est vite apparu que l’action primait sur l’analyse et la compréhension de la situation. La transparence est indispensable, et oblige à une préparation soignée de chaque décision.

En France, le thème de réduction des dépenses publiques est finalement apparu parmi les priorités annoncées par le gouvernement, qui avance de nombreuses idées. Il est question, bien sûr, de l’incontournable question des retraites mais aussi de l’idée de réduire drastiquement le nombre d’agences publiques et, plus généralement, d’augmenter la productivité des services publics. Voilà des thèmes que ne renierait pas Musk, ce qui ne signifie pas que ce sont des mauvaises idées. Son erreur n’a pas été dans les intentions générales mais dans leur traduction pratique. C’est là où la ministre Amélie de Montchalin, qui porte bravement ces projets, ferait bien de méditer les leçons de l’échec de Musk.

On ne s’étonnera pas qu’en France jacobine la ministre centralise ses efforts. Elle devrait se garder d’avancer trop loin dans cette direction, d’autant plus que le gouvernement est bien trop faible pour s’attaquer à des projets qui ont toujours échappé à ses prédécesseurs, même lorsqu’ils disposaient d’une large majorité au Parlement. De plus, la question de la vitesse est particulièrement ardue puisque l’horizon du gouvernement Bayrou est bref et même particulièrement incertain. Vu sous cet angle, la réduction du nombre des agences publiques est une bonne idée. Il s’agit d’une opération qui dépend entièrement de l’État et qui peut être rapidement mise en œuvre à condition qu’elle ne nécessite pas une approbation du parlement. Mais il faudra s’assurer que ces agences ne remplissent pas des vrais besoins appréciés par la population. Par ailleurs, la ministre pourrait utiliser son expérience de la délocalisation de l’ENA pour s’assurer d’un soutien politique local si elle était amenée à fusionner des agences parisiennes existantes.

La question de la productivité de l’administration est centrale et potentiellement populaire aux pays de Courteline. Mais la ministre devrait bien se garder de commencer, comme Musk, par des annonces chiffrées indéfendables. Il n’a pas fallu longtemps pour que s’installe un débat stérile sur ce qu’est la productivité du secteur public et donc sur le sens des 2% d’augmentation annoncés. Outre que ce chiffre est arbitraire, il n’est pas vraiment mesurable. Ainsi formulée, la réforme ne peut pas être transparente.

En sortant du jargon technocratique et en évitant les concepts faux amis du secteur privé, il s’agit tout simplement de faire plus ou mieux avec moins de moyens. Chaque chef de service sait, ou devrait savoir, comment s’y prendre. Certains y sont opposés parce que leur prestige se mesure, croient-ils, à l’aune de la taille de leur service. Il est donc essentiel de les motiver à coopérer, par exemple en utilisant la problématique des promotions. L’approche des coups de rabot a mauvaise réputation, et avait été fermement rejetée par Bruno Le Maire durant sa longue carrière au ministère de l’Économie et des Finances. Une raison de cette hostilité est, encore une fois, l’impression d’hypercentralisation si Bercy ordonne à chaque ministre de réduire son budget. Mais « faire plus avec moins » ne signifie pas nécessairement couper dans un budget d’un montant prédéfini. Cette approche déresponsabilise les ministres et invite à des comparaisons entre eux qui sont immédiatement interprétées en termes politiques. Ainsi, au moment où on se prépare à accroître le budget de la Défense, on peut négocier avec le ministre une rationalisation de ses services. Cette rationalisation ne doit pas non plus être décidée au niveau du ministre, elle devrait être le résultat de propositions qui remontent des services, toujours avec des incitations appropriées à chaque cas, y compris pour les ministres eux-mêmes.

Enfin, en forme de conclusion, une nouvelle réforme des retraites est indispensable. Mais le gouvernement n’en a ni les moyens politiques ni la longévité appropriée. Maintenir en place la réforme précédente est déjà un objectif ambitieux. En revanche, il peut préparer le travail de son successeur, peut-être en développant un concept moins clivant. Des propositions existent, les expériences étrangères offrent des exemples intéressants. Il ne s’agit pas seulement de fournir aux suivants, qui ne pourront pas échapper à la question, un document fin prêt, mais de faire preuve de pédagogie avec des parties prenantes qui n’ont toujours pas pris en compte tous les aspects de la question.