Réduire la dette publique, c’est facile. Demandez aux Suédois. edit
Depuis des semaines, le Parlement débat du budget pour 2026. Des milliers d’amendements ont été déposés par les partis, couvrant tous les aspects de l’action de l’État, sauf un : le poids de la dette publique. Entretemps, les agences de notation ont dégradé la dette française et l’État doit payer plus cher pour emprunter. Cette déconnexion n’a rien d’original. Depuis des décennies, la dette est le dernier des soucis du monde politique français. Les efforts maladroits de Michel Barnier et de François Bayrou ont abrégé leur séjour à Matignon. En fait, c’est un problème très général. Dans tous les pays ou presque, les politiques veulent dépenser plus pour plaire à leur électorat, tout évitant d’augmenter les impôts sous peine de déplaire aux électeurs, sauf quand il s’agit de taxer les riches, trop peu nombreux pour changer les résultats des élections mais aussi pour fournir les recettes espérées. Tout ceci semble parfaitement naturel, mais c’est aussi la recette pour laisser la dette publique grimper inexorablement. La solution est bien connue : il faut encadrer le processus budgétaire avec des règles contraignantes.
Les bonnes règles, celles qui sont efficaces, obligent les politiques à faire des choix mûrement réfléchis. Le cas d’école en la matière est la Suède. Elle n’a pas toujours été un modèle de discipline budgétaire, comme le montre la figure ci-dessous, a tel point qu’elle a connu une sérieuse crise au début des années 1990, quand plus personne ne voulait plus prêter de l’argent au gouvernement. Forcée de réagir, elle a établi un ensemble de règles, qu’elle a ensuite raffinées. Ces règles ont été appliquées en 1997. Depuis lors, la dette a été massivement réduite, puis parfaitement stabilisée sur les vingt dernières années. La comparaison avec la France a quelque chose d’humiliant, surtout que la Suède offre des services publics étendus et de grande qualité, on aimerait dire la même chose de la France.
Dette publique (% du PIB)

Source : FMI et OCDE
La règle suédoise est simple. Elle établit que le budget doit être en surplus. Le seuil est établi pour deux législatures et révisé en fonction de la situation. Il a été initialement fixé à 2% du PIB, puis progressivement abaissé à 0,33% au fur et a mesure que la dette baissait. La règle comprend aussi un plafond pour le total des dépenses publiques, calculé pour arriver au seuil du surplus étant données les recettes fiscales. Cela empêche les différents ministères de tous demander plus de moyens : une hausse ici doit être compensée par une baisse là. Enfin, un Conseil de la Politique Budgétaire a été établi. Composé d’experts indépendants, il évalue ex ante les lois de finance et ex post leur exécution. Ses avis, simples et précis, ne sont pas formellement contraignants mais ils constituent une opinion non-politisée qui pèse dans le débat budgétaire.
L’approche suédoise a bien fonctionné pour plusieurs autres raisons. Elle est précise, mais aussi flexible. Les plafonds de dépenses peuvent être dépassés durant les années de ralentissement conjoncturel. Mais ces dépassements, dont la taille est limitée, doivent être corrigés dans un délai de deux ans. De plus, après l’invasion de l’Ukraine, la Suède a décidé d’augmenter ses dépenses de défense. Cette augmentation a été sortie du montant des dépenses soumis à plafond et du calcul de la dette « normale ». Mais cette autorisation sera supprimée au bout de dix ans et il est entendu que les recettes seront accrues en proportion. La dette va augmenter mais le montant est établi et le déficit spécial se refermera. On est aux antipodes du « quoi qu’il en coûte » et des débats à l’Assemblée Nationale.
En plus, le virage vers la discipline budgétaire après la crise des années 1990 s’est accompagné d’une volonté de réduire les dépenses et les recettes, qui caracolaient en tête du classement mondial – une place que la France a depuis ravie à la Suède. Cette volonté ne s’est pas traduite par des déclarations tonitruantes. L’approche a consisté à serrer les vis très graduellement, mais sûrement. Divers mécanismes impliquent que les dépenses croissent moins vite que le PIB, par exemple en ne les indexant pas sur l’inflation ou sur la croissance. Ce resserrement progressif a provoqué dans tous les ministères des efforts de rationalisation visant à « faire plus avec moins ». Depuis 2000, les dépenses sont passées d’environ 53 à 50 % du PIB, et les recettes ont diminué en parallèle. Une importante réforme de la fiscalité a consisté à « élargir les bases », c’est-à-dire à assujettir à l’impôt plus de contribuables, tout en diminuant les taux d’imposition. La France a fait exactement l’inverse, exonérant d’impôts de plus en plus de ménages et d’entreprises, et cultivant des niches fiscales en multipliant des cas spéciaux.
Enfin, en Suède, le budget du gouvernement central ne représente que la moitié du budget total. Les régions et les municipalités ont le pouvoir de directement décider les taxes qu’elles perçoivent, et elles sont en charge des dépenses à caractère social (santé, éducation, transports, services publics). Comme leurs recettes sont inférieures à leurs dépenses, elles dépendent de transferts du gouvernement central, qui ne sont pas automatiquement indexés. Cela les a conduits à repenser leurs dépenses en fonction des priorités locales.
Le cas de la Suède est un bon exemple de l’importance cruciale des institutions en matière budgétaire. On entend fréquemment dire que la culture française est trop différente de la culture scandinave pour servir d’exemple. Mais jusqu’à la réforme de 1997, l’indiscipline budgétaire a été pire en Suède qu’en France. De mauvaises institutions budgétaires ont conduit à la crise des années 1990, qui s’est accompagnée d’une solide récession et qui a vu le taux de change s’effondrer en quelques jours. C’est cette crise et la réforme qui a suivi qui ont changé les règles du jeu et modifié le comportement du monde politique. S’il y a un aspect culturel, c’est la capacité à tirer des leçons des échecs. La recette suédoise est tout à fait applicable en France.
Le monde politique français rejette une approche contraignante du budget qu’il considère incompatible avec la souveraineté du Parlement, mais la démocratie suédoise n’a rien à envier à la démocratie française. L’argument habituel contre un « gouvernement par des experts » n’est pas crédible, tout simplement parce que le parlement a fait la preuve de son incapacité à endiguer la montée de la dette depuis des décennies. De fait, le Parlement est soumis à toutes sortes de règles destinées à prévenir les errances observées au fil du temps. Il n’y a aucune raison pour tolérer le spectacle de ces dernières semaines, qui est caricatural mais symptomatique de l’irresponsabilité budgétaire. D’ailleurs, un accord européen de 2012 (le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) avait prévu l’adoption de règles nationales et la création dans chaque pays d’un conseil indépendant, le tout spécifié dans une loi « si possible constitutionnelle ». La France s’est exécutée, mais en adoptant une loi de rang inférieur (une loi organique), qui décrit des procédures administratives touffues sans fixer de règles économiques simples et transparentes. Elle a créé un Haut Conseil pour les Finances publiques, conçu pour être inoffensif. Ce conseil est intégré de fait à la Cour des Comptes. La différence essentielle qu’en Suède il s’agit pour le conseil budgétaire de vérifier le respect d’une règle simple et précise, alors que la Cour des Comptes n’applique pas une règle. Le Haut Conseil porte des jugements complexes, détaillés et souvent subjectifs, sur le contenu de la Loi de Finance, qui se perdent dans le brouhaha politique.
Quand Michel Barnier puis François Bayrou ont enfin fait de l’endettement de l’État une priorité et une urgence, ils ont commis trois erreurs stratégiques. D’abord, si priorité il y a, cela ne peut pas consister à annoncer des coupes budgétaires ici et là. De manière parfaitement prédictible, les victimes des coupes allaient se rebeller et mobiliser tous les groupes de pressions disponibles, y compris au sein du Parlement, pour sauver la mise au cas pas cas. Ensuite, déclarer l’urgence ne peut pas fonctionner non plus. Comme le montre l’exemple suédois, le rétablissement des comptes de l’État est une affaire de longue haleine. Enfin, ils ne sont pas allés voir ce qui marche ailleurs.
S’il veut vraiment mettre un terme à l’indiscipline budgétaire, le gouvernement issu des prochaines élections devrait comprendre le rôle incontournable des institutions. Il ferait bien de faire un saut à Stockholm, ou demander des conseils la Commission Européenne, pour adopter les bonnes pratiques. Mais le voudra-t-il vraiment ? Le spectre d’une crise budgétaire est d’actualité.
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