Quels leviers de croissance si l’on revient sur la réforme des retraites? edit

8 octobre 2025

Les contraintes politiques actuelles, qu’elles soient issues de la pression sociale, de la fragmentation parlementaire ou des échéances électorales, risquent d’aboutir à un retour partiel ou total sur la réforme des retraites. Les enjeux d’un tel recul sont considérables. Il y aurait d’abord un coût budgétaire immédiat, se chiffrant à plusieurs milliards d’euros dès 2026.

Ensuite, le message politique serait très négatif : tous les pays dont le système de retraite est essentiellement par répartition ont dû et devront adapter leurs systèmes à l’évolution démographique. Dans chacun de ces pays, l’opposition a été très forte et la réforme difficile, de la Grèce à l’Italie ou l’Espagne. Renoncer sur ce sujet revient à l’aveu que le pays n’est pas réformable. Un excellent signal à envoyer aux agences de notation et aux marchés financiers !

Mais une autre question apparaît, plus fondamentale. Un objectif essentiel de la réforme était d’accroître le taux d’emploi, en particulier celui des seniors. Or c’est là que réside aujourd’hui l’un des plus grands gisements de croissance potentielle en France. Comparée à nos voisins européens, notre économie souffre d’un retrait trop précoce des travailleurs expérimentés du marché du travail. Reculer l’âge de départ en retraite permettait mécaniquement d’augmenter le nombre de cotisants, de réduire la pression sur les finances publiques, et surtout de doper le PIB par tête.

Chaque point supplémentaire de taux d’emploi des seniors représente des milliards d’euros de richesse créée. À long terme, cette dynamique permettrait de combler une partie de l’écart qui nous sépare encore de l’Allemagne, des Pays-Bas ou des pays nordiques, dont les habitants produisent et gagnent davantage en moyenne. Remettre en cause la réforme des retraites, c’est donc revenir à la case départ et réactiver la question de fond : si nous ne prolongeons pas la durée de vie active, comment recréer de la croissance dans un contexte où la démographie et la dette jouent déjà contre nous ?

Relancer par la consommation: une illusion qui a la vie dure

Certains pourraient être tentés de réactiver une vieille recette : stimuler la demande intérieure, faire repartir la consommation et espérer que la croissance suive. Mais cette voie est une impasse, pour au moins trois raisons.

D’abord, nous n’en avons pas les moyens budgétaires. L’État français est déjà l’un des plus endettés du monde développé, et notre dépense publique frôle les 58 % du PIB. Relancer encore par la dépense publique, c’est alourdir une dette que nous ne maîtrisons plus, au risque de perdre la confiance des marchés et d’augmenter notre charge d’intérêts (qui représente aujourd’hui quelque 50 milliards d’euros dans le budget de l’État).

Ensuite, cette stratégie a été utilisée de manière continue depuis des décennies. Les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont fait du soutien à la consommation leur réflexe quasi automatique. Or, comme tout médicament administré trop souvent, son efficacité s’est émoussée. Les effets multiplicateurs sont faibles, et la croissance qui en découle est de plus en plus coûteuse.

Enfin – et c’est sans doute le point le plus décisif – cette politique a créé des déséquilibres structurels. Le déficit commercial chronique de la France en est la meilleure illustration. Relancer la consommation dans une économie largement ouverte, c’est stimuler avant tout la production… des autres. Nous consommons des voitures allemandes, des textiles asiatiques, des biens électroniques américains. Autrement dit, nous nous endettons pour importer. C’est ce que certains économistes ont appelé le piège du « keynésianisme dans un seul pays » : stimuler la demande nationale quand l’offre nationale n’est pas compétitive ne fait qu’accroître la dépendance extérieure. Nos entreprises, affaiblies par une fiscalité lourde et une compétitivité insuffisante, ne parviennent plus à répondre à la demande locale à un prix compétitif. Résultat : la France consomme beaucoup, mais produit trop peu.

Taux d’emploi, saison 2: jouer sur le coût du travail?

On pourrait alors revenir au levier initial : améliorer le taux d’emploi global. Après tout, il reste inférieur en France à la moyenne de la zone euro. Le faible taux d’emploi des jeunes et des seniors combiné au faible nombre d’heures travaillées par employé font de la France le pays où le nombre d’heures travaillées par personne en âge de le faire est le plus faible de l’Union Européenne. Mais si l’on renonce à la réforme des retraites, et sachant que d’importants progrès ont déjà été réalisés sur la flexibilité du marché du travail, les marges de manœuvre deviennent politiquement très étroites.

Il reste un levier majeur : une baisse significative du coût du travail. Mais comment agir ? Baisser les salaires nets est politiquement et socialement impossible. Reste alors le poids des cotisations sociales, particulièrement élevé en France. C’est un handicap direct pour la compétitivité des entreprises, et donc pour l’emploi. Mais réduire ce coût pose immédiatement un problème de financement : qui paiera pour maintenir notre système de protection sociale ? L’État, déjà surendetté ? Peu réaliste. On peut considérer que la TVA dite « sociale », en réalité un instrument de compétitivité qui ferait en partie reposer le financement de notre protection sociale sur les entreprises étrangères, serait une bonne option, mais chacun sait qu’elle est politiquement et socialement difficile à mettre en œuvre.

Continuons donc d’explorer. En toute rigueur, si l’on veut baisser le coût du travail, aujourd’hui la seule solution structurelle serait de réduire le niveau des prestations sociales et des transferts. Bon courage à qui voudra ouvrir ce débat. Et, à propos, pour ceux qui ont constamment ce mot à la bouche : c'est ça, l'austérité.

La voie de la productivité

Faut-il renoncer ? Non. Si ni la consommation, ni le taux d’emploi, ni la baisse du coût du travail ne sont des leviers politiquement ou techniquement viables à court terme, il reste une dernière option. Elle est exigeante, mais probablement la seule qui puisse mettre la France sur une trajectoire de croissance durable : l’amélioration de la productivité.

Autrement dit, il ne s’agit plus d’augmenter le nombre de travailleurs, mais de faire en sorte que chaque travailleur produise davantage de valeur ajoutée. C’est la logique du PIB par tête : pour rattraper nos voisins, il faut doper la productivité moyenne. Deux leviers sont actionnables.

Le premier serait de rendre justice à la forte demande sociale d’une augmentation du pouvoir d’achat, en donnant la possibilité à tous les salariés de travailler plus en gagnant « plus-plus », c’est à dire avec une augmentation de salaire plus que proportionnelle à celle du nombre d’heures travaillées, que ce soit sur les heures hebdomadaires ou le nombre de jours travaillés dans l’année. La bonne méthode serait évidemment celle de la négociation entre partenaires sociaux, la puissance publique ne faisant qu’offrir un cadre légal favorable. François Bayrou avait bien tenté d’actionner ce levier en proposant que les salariés puissent monnayer leurs jours de congés, ce qui fut rejeté par les syndicats. On peut néanmoins penser que la revendication d’un pouvoir d’achat plus élevé est suffisamment forte pour que les salariés-électeurs soient favorables à une telle possibilité, à condition que ce soit bien l’angle pouvoir d’achat qui soit mis en avant.

Le second levier est à chercher du côté des entreprises. C’est l’investissement. Plus précisément, l’investissement productif, ou CAPEX. Robots, machines-outils de nouvelle génération, logiciels, procédés innovants, infrastructures logistiques, mais aussi recherche et développement, brevets, propriété intellectuelle : voilà les ingrédients qui permettent à une économie de franchir un palier de productivité.

Mais pour investir, les entreprises doivent être en mesure de dégager des marges et d’attirer les capitaux. Cela suppose un environnement fiscal et réglementaire favorable. Les pistes sont connues : baisser les impôts de production, réduire l’impôt sur les sociétés, alléger la part patronale du financement de la protection sociale, encourager fiscalement l’investissement et la recherche, sécuriser les règles pour éviter les à-coups réglementaires. Et surtout, veiller à ne pas décourager l’épargne nationale ni faire fuir les capitaux étrangers.

C’est là l’autre versant de ce qu’on appelle la politique de l’offre. Non pas une politique qui s’oppose à la demande, mais une politique qui parie sur le long terme : donner aux entreprises les moyens de produire mieux et plus, afin de générer ensuite la croissance, les salaires et les recettes fiscales qui permettront de financer le reste.

La France est donc face à un choix stratégique. Si la réforme des retraites est abandonnée, alors le pays doit se donner une alternative crédible pour recréer de la croissance. Relancer la consommation est un leurre. Augmenter le taux d’emploi hors retraites est limité et impliquerait des sacrifices sociaux que personne ne veut assumer. Reste donc la voie de la productivité, qui passe par l’augmentation de la quantité de travail fournie dans l’économie avec à la clef une hausse du pouvoir d’achat, et par l’investissement massif dans le capital et l’innovation.

C’est un choix exigeant, car il nécessite de réorienter notre politique économique, de mettre en cohérence notre fiscalité et de résister à la tentation du court terme. Mais si nous n’avons pas le courage de le faire, alors la question qui restera sera brutale : comment maintenir notre modèle social et notre niveau de vie avec une croissance durablement atone ?