Alberto Alesina, libéral conséquent edit

Pauvreté, Europe, austérité : sur ces trois sujets Alberto Alesina (1957-2020) formule des analyses fouillées et des propositions tranchées. L’économie politique a perdu un représentant de talent. Et le libéralisme, un de ses partisans à propos souvent provocants.
Repéré très jeune par The Economist comme nobélisable, Alberto Alesina est décédé tôt à 63 ans. Italien formé à l’université Bocconi, il enseigna principalement à Harvard dont il dirigea, un temps, le département d’économie. Chercheur prolifique et éditorialiste souvent percutant, son travail reposait en premier lieu sur des articles de recherche, produits en commun, bardés des tableaux de données et des équations qu’apprécie la profession.
Faciles à décrier comme ultra-libérales, ses conclusions et recommandations pro-marché et pro-liberté sont également pro-américaines. De telles orientations se nourrissent de solides observations et d’un souci de pédagogie. Tour d’horizon à partir de trois de ses sujets : la pauvreté, l’Europe et l’austérité.
Avec Edward Glaeser, autre étoile libérale contemporaine de Harvard, Alesina signe, au début du millénaire, une analyse au scalpel des différences transatlantiques en matière de lutte contre la pauvreté[1]. Les États européens interviennent davantage, leurs systèmes sociaux sont plus redistributifs et leurs impôts plus progressifs. Les opinions publiques sont très différentes : la moitié des Américains, contre le quart des Européens, pensent que les pauvres sont « fainéants ». Afin d’expliquer ce « monde de différences » (pour reprendre le titre original d’un ouvrage – chose rare – traduit en français) les deux auteurs soulignent que les pays européens se caractérisent par des systèmes représentatifs proportionnels assez récents. Les États-Unis reposent depuis longtemps sur un système majoritaire, qui freine la représentation des minorités, et sur un niveau élevé de décentralisation qui bride l’État central, notamment pour taxer des riches, qui se trouvent à un endroit, en faveur de pauvres localisés à un autre. Les clivages raciaux limitent aussi les possibilités de redistribution. L’immigration bride, de fait, la générosité des États providence. Un dernier papier d’Alesina, publié en 2021, l’établissait encore[2]. Implication du raisonnement : là où l’hétérogénéité progresse, l’État-providence sera plus vivement critiqué. Une leçon à prendre avec sérieux, et pas uniquement avec des pincettes, quand les sociétés européennes se diversifient toujours davantage.
Deuxième sujet d’intérêt pour Alesina, l’Europe. Avec Francesco Giavazzi, de la Bocconi et du MIT, il se penche sur le déclin européen[3]. Malgré leurs discours favorables aux exclus, les pays du vieux continent protègent leurs inclus. Les Européens travaillent moins que le reste du monde. Leurs nations rencontrent des problèmes croissants d’intégration. Leurs universités traversent une crise à laquelle ne saurait remédier l’injection de moyens publics supplémentaires. Les Européens semblent vivre dans la douce illusion de la permanence de leur splendeur passée. Les Américains, à l’inverse, souhaitent dépasser des épreuves. En résumé, assènent Alesina et Giavazzi, « Les Américains sont au travail, les Européens en vacances ». Pour que l’Europe s’en sorte, une seule solution : la voie américaine du marché et de l’incitation individuelle. Une thèse et des suggestions, qui ne manquent donc pas de faire sursauter.
Dans la même veine, et avec son complice Giavazzi, duo auquel se greffe un troisième économiste italien, Carlo Favero, Alesina traite, dans le dernier ouvrage qu’il aura cosigné, d’austérité[4]. Leçon : il ne faut pas faire de l’austérité un credo ou un démon. Des politiques marchent ; d’autres ne marchent pas. Face à des déséquilibres, il faut toujours choisir entre réduire les dépenses ou augmenter les prélèvements. La deuxième option, qui s’avère toujours moins transitoire, affecte confiance et croissance. Avec une étude sur 16 pays de l’OCDE, Alesina et alii soutiennent, chiffres à l’appui et contre les keynésiens, qu’il est plus efficace de réduire les dépenses. Surtout, ils montrent, contre certaines croyances fréquemment rappelées sur les plateaux télé, que la rigueur budgétaire ne tue pas forcément les carrières politiques. Pour reprendre une métaphore maintes fois employée, tout comme il y a du bon et du mauvais cholestérol, il y a du bon et du mauvais déficit, de la bonne et de la mauvaise austérité. On trouve la conclusion la plus importante dès l’introduction du livre. Si les gouvernements menaient les politiques appropriées, l’austérité ne serait pas nécessaire. Ce qu’il faut donc ce n’est pas de l’austérité mais de la discipline budgétaire. Et s’il faut passer par de l’austérité, il faut bien la mener afin d’éviter la récession et de permettre l’expansion. Cette ode à la discipline budgétaire était probablement inaudible (disons illisible) dans la France du « quoi qu’il en coûte » du début des années 2020. Elle s’entend différemment maintenant. De l’austérité doit naître ou renaître la prospérité. On trouve donc du volontarisme et de l’optimisme dans les travaux d’Alesina qui ont l’intérêt d’alimenter les discussions académiques et politiques, des deux côtés de l’Atlantique[5].
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[1]. Alberto Alesina, Edward L. Glaeser, Fighting poverty in the US and Europe: A world of difference, Oxford, Oxford University Press, 2004. Traduction française : Combattre les inégalités et la pauvreté. Les Etats-Unis face à l’Europe, Paris, Flammarion, 2006. Nous avions publié en 2007 une analyse de leurs thèses : voir Richard Robert, « La préférence pour l'inégalité est-elle en augmentation? », Telos, 4 juin 2007.
[2]. Alberto Alesina, Johann Harnoss, Hillel Rapoport, « Immigration and the Future of the Welfare State in Europe », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, 697, 1, 2021, pp. 120-147.
[3]. Alberto Alesina, Francesco Giavazzi, The Future of Europe: Reform or Decline, Cambridge, MIT Press, 2006
[4]. Alberto Alesina, Carlo Favero, Francesco Giavazzi, Austerity: When It Works and When It Doesn't, Princeton, Princeton University Press, 2019.
[5]. Pour poursuivre, on pourra se rapporter aux différentes contributions cosignées par Alesina, dans Telos, sur le déclin européen, l’Europe ou encore l’austérité.