De la démocratie en Afrique edit

27 septembre 2025

Les ouvrages de qualité sur l’Afrique sont rares.  Il existe certes de nombreux travaux sur l’histoire ancienne et récente du continent. En revanche peu d’auteurs ont tenté de décrire et d’expliquer l’état présent de l’Afrique subsaharienne. C’est cette tâche que s’est assigné Ousmane Ndiaye dans un livre qui apporte une contribution décisive au processus de compréhension d’un monde si proche et pourtant si opaque pour nous.

L’auteur, qui est originaire du Sénégal, parcourt depuis vingt ans cette partie du continent comme journaliste de Courrier International puis de TV5 Monde. Après ces décennies de reportage, il a voulu ordonner ses réflexions dans un livre qui tente de répondre à une question : l’Afrique est-elle définitivement réfractaire à la démocratie ?

Ousmane Ndiaye reconnaît qu’aujourd’hui, le discours dominant dans les pays de l’Afrique francophone est effectivement que la démocratie venue de l’occident et introduite par les colonisateurs n’est pas adaptée à la société africaine. La preuve, c’est l ’échec persistant des régimes qui ont tenté d’adopter cette forme de gouvernement et leur incapacité à faire prospérer des populations condamnées à la pauvreté et au sous-développement.

Ce type de discours n’est pas nouveau mais il est stimulé par un phénomène récent qu’on ignore trop souvent en France, le rôle croissant des influenceurs qui utilisent les réseaux sociaux et surtout YouTube pour s’adresser aux jeunes qui utilisent massivement des smartphones relativement bon marché.

Ousmane Ndiaye prend notamment comme cible Alain Foka, un ancien journaliste de RFI devenu un critique déterminé du colonialisme français et un partisan acharné du panafricanisme. Sur son canal YouTube qui compte un million d’abonnés, il pourfend la démocratie et fait l’éloge des militaires qui ont pris le pouvoir au Mali, au Niger, en Guinée ou au Burkina Fasso et ont su rejeter les Français coupables d’ingérences permanentes. D’autres intervenants, souvent sous influence russe, se répandent dans ces différents pays en bénéficiant de l’audience des plateformes numériques et de la bienveillance des dictateurs locaux. Leur influence est telle qu’il est devenu pratiquement impossible de les contredire.

Leurs affirmations sont d’autant plus efficaces qu’elles sont reprises à longueur d’année par les militaires qui ont pris le pouvoir dans ces différents pays. L’auteur raconte qu’à la 23e conférence de l’Union Africaine qui eut lieu à Addis Abeba en 2023, la rumeur persistante, relayée par la plupart des participants était ce rejet d’une démocratie néocoloniale alors que la priorité pour les Africains était de se nourrir grâce à l’efficacité de régimes autoritaires.

Ousmane Ndiaye réfute ces slogans en s’appuyant sur son expérience du terrain et sa connaissance de l’histoire de l’Afrique. Il rappelle qu’avant le début de l’ère coloniale, il y a eu sur ce continent, comme dans d’autres parties du monde, des expériences locales de fonctionnement démocratique de la société. C’est précisément l’arrivée au XIXe siècle des colonisateurs qui a mis un terme à ces expériences en instaurant un système autoritaire géré par des administrateurs coloniaux blancs.

À partir des années 1960, le départ des Français n’a pas permis la mise en place de régimes pluralistes car les nouveaux dirigeants se sont hâté d’installer des pouvoirs absolus et illimités dans le temps. L’auteur cite le cas de Sékou Touré qui proclama l’indépendance de la Guinée en 1960 et refusa toute forme de coopération que lui proposait de Gaulle. Loin d’instaurer une démocratie pluraliste, Touré imposa à ses concitoyens pendant des décennies une dictature impitoyable qui élimina tous les opposants sans apporter la prospérité à la population.

Un autre cas intéressant est celui du Mali où l’auteur s’est rendu des dizaines de fois. Il évoque non sans ironie le discours officiel des dirigeants actuels selon lesquels le Mali mal dirigé par des civils incompétents a été sauvé des terroristes et de la misère par l’armée. Or sur 65 ans d’histoire depuis son indépendance, le Mali a été gouverné pendant 39 ans par des militaires qui ont été incapables de vaincre les mouvements djihadistes. La politisation à outrance de l’armée rongée par la corruption a constitué le principal obstacle à l’organisation d’élections libres et n’a pas permis de venir à bout des mouvements terroristes qui bénéficient de l’appui d’une partie de la population.

Ousmane Ndiaye critique aussi avec vigueur ce qu’il appelle la Kagamephilie, c’est-à-dire le culte que vouent les pays occidentaux au président Kagamé qui aurait gouverné de manière exemplaire, depuis trente ans, le Rwanda. Il voit dans ce comportement la mauvaise conscience du monde qui s’est révélé incapable d’arrêter le génocide des Tutsis. Or, depuis que Kagamé a pris le pouvoir en 1994 d’abord comme vice-président puis depuis 2000 comme président à vie, le calme est revenu dans ce pays. Toutefois, le bilan de cet autocrate est loin d’être brillant. L’opposition est bâillonnée, les médias sont contrôlés  et de nombreux adversaires du président ont perdu la vie dans des conditions troubles. Sur le plan économique, le Rwanda reste un des pays les plus pauvres du monde et ne survit que grâce à une aide internationale massive qui semble surtout profiter à la capitale Kigali.

L’auteur ne sous-estime pas pour autant les conséquences négatives du colonialisme et des ingérences incessantes de la France. Il souligne l’échec des opérations au Sahel et l’incapacité de l’armée française de se retirer à temps pour laisser le gouvernement malien négocier avec les rebelles. Il met aussi en cause la politique de dialogue et d’échanges engagée par le président Macron lors d’une conférence réunissant des jeunes et des intellectuels africains à Montpellier en 2021 et qui ne débouchera sur aucun résultat concret.

Il fait porter toutefois la responsabilité principale du rejet de toute forme de démocratie sur les militaires putschistes qui se justifient en prônant des mythes bien éloignés de la réalité. Un modèle trop souvent cité par eux est celui du capitaine Thomas Sankara qui prit le pouvoir en 1984 au Burkina Faso et fut renversé et assassiné en 1987. Ce dirigeant charismatique qui lutta contre la corruption et promut l’émancipation des femmes acquit une grande notoriété dans les milieux de la gauche européenne. Cependant, il se comporta aussi comme un dictateur impitoyable, n’acceptant aucune opposition. Aujourd’hui, son lointain successeur à la tête du Burkina Fasso, le capitaine Traoré, essaie sans grand succès de le réincarner.

En conclusion, Ousmane Ndiaye constate que depuis une dizaine d’années, l’Afrique francophone a été marquée par une succession de coups d’état qui ont mis un terme provisoire à toute forme d’évolution démocratique. Pourtant tout espoir n’est pas perdu. Il faut remettre en cause un discours très populaire auprès de la jeunesse africaine selon lequel la démocratie incarnée par la France est une menace pour l’indépendance et la souveraineté des pays africains. Il faut cesser de s’obséder sur l’Europe et sur un calendrier des élections sans cesse reporté, et défendre les libertés publiques, la liberté de critiquer le pouvoir et la défense des droits des citoyens.

Il manque cependant à ce panorama très complet des éléments de comparaison avec l’Afrique anglophone qui affronte elle aussi les défis du pluralisme et de la contestation. Ce sera peut-être l’objet d’un autre essai d’Ousmane Ndiaye.

Ousmane Ndiaye, L’Afrique contre la démocratie. Mythe, déni et péril, Éditions Riveneuve, 2025.