L’autobiographie de Golda Meir à cinquante ans de distance edit

4 octobre 2025

En 1975, Golda Meir (1898-1978) publiait en anglais son autobiographie[1] dans le but de faire comprendre au monde, à travers son parcours personnel, les fondements de l’État hébreu. De Kiev où la petite fille se cache des pogroms et souffre souvent de la faim et du froid, à l’adolescence pauvre des immigrés aux États-Unis où elle devient sioniste, à la vie spartiate d’un des premiers kibboutzim de la Palestine mandataire pendant les années 1920 puis en Israël où tout est à construire, son engagement social et politique précoce, est à la fois logique et extraordinaire. Elle travaille d’abord pour la Histadrut (syndicat aux multiples actions d’aide sociale) puis participe à la Haganah (l’organisation clandestine d’autodéfense juive) et à la fondation du Mapaï (qui deviendra par la suite le Parti travailliste) dont le leader David Ben Gourion la nomme ministre dès son premier gouvernement en 1949.

À travers les guerres, dans ses fonctions politiques et jusqu’à la fin de sa vie, se manifeste la passion de Golda Meir pour Israël, et son combat est inlassable pour faire de son pays une nation unifiée, juste et sûre pour les juifs venus du monde entier bien sûr, mais aussi pour tous les autres Israéliens, arabes, druzes, bédoins, musulmans, chrétiens… Elle aborde des sujets toujours en discussion en Israël, comme la place de la religion[2], l’égalité hommes/femmes, le soupçon d’antisémitisme à la tête du Labour Party britannique, ou ce qu’elle appelle « la Nouvelle Gauche ». Elle évoque bien sûr de grandes figures comme Ben Gourion ou Moshe Dayan, mais aussi des personnages peu connus en France qui sont pourtant des fondateurs de l’État juif, comme Berl Katznelson ou Eliahu Golomb.

Mais le projet didactique de ce livre qui n’est en rien narcissique, est une réussite au-delà des espérances de l’époque de sa première parution. L’attachement indéfectible de Golda Meir à la démocratie à la fois comme méthode et comme fin de l’action politique est particulièrement éclairante dans notre époque de grande médiocrité et de relâchement. Et l’émotion au récit d’une vie si singulière mais porteuse d’universel comme la justesse des considérations sur le conflit israélo-arabe non seulement n’ont rien perdu de leur acuité mais ont même acquis une intensité nouvelle au regard du pogrom perpétré par le mouvement terroriste Hamas le 7 octobre 2023. Aujourd’hui, cinquante ans après la sortie de l’ouvrage, la lecture de sa récente réédition en français, sous la direction de Jean-Claude Zylberstein, résonne en effet de façon saisissante avec l’actualité.

«On eût dit que, virtuellement, le monde entier était contre nous.»

« Ces gens, et ils sont des millions, qui, même aujourd’hui, n’ont pas encore entièrement compris les réalités de la lutte d’Israël pour la vie, et qui sont si prompts à nous condamner pour notre "manque de souplesse" et notre refus de nous retirer aimablement sur nos anciennes frontières, chaque fois que nous sommes forcés d’entrer en guerre, feraient bien de méditer le cours des événements depuis 1956. » Hier comme aujourd’hui, c’est comme si « les Arabes [jouissaient] unilatéralement des "droits de la guerre". Et [qu’]à Israël [était imposée] la responsabilité unilatérale de maintenir la paix. »  Ainsi, tandis qu’Israël en 1969, réplique à « la guerre d’Usure » menée par l’Égypte de Nasser qui proclamait « notre but est la destruction de l’État d’Israël », « on nous demandait si nos bombardements en profondeur étaient "réellement" nécessaires et essentiels à notre autodéfense, comme si l’on devait attendre que l’assassin ouvre la porte et entre, avant d’avoir véritablement le droit de l’empêcher de nous tuer ».

Comment ces propos ne résonneraient-ils pas avec la situation actuelle ? Alors qu’Israël a subi un assaut dont l’atrocité, la cruauté et le cynisme dépassent l’imagination, que le Hamas proclame qu’il recommencera[3], et que le Hezbollah, les Houthis et le régime des mollahs iranien l’attaquent sans relâche, c’est l’État hébreu parce qu’il se défend, et même les juifs à travers le monde désignés comme ses complices, qui sont traités de génocidaires, discriminés, menacés et agressés dans une spirale de violence que les gouvernements occidentaux ne tentent pas réellement d’enrayer.

À propos des agressions récurrentes des fedayin dans les années 1950 puis du Fatah[4], Golda Meir note que « chaque fois que des forces défensives d’Israël ripostaient à des infiltrations -et il arrivait inévitablement, que des Arabes innocents fussent blessés ou tués en même temps que les coupables – Israël était aussitôt sévèrement censuré et accusé "d’atrocités". » Et elle s’offusque de l’attitude de « la presse étrangère et de la Nouvelle Gauche [qui] appelaient [les terroristes] des "guérilleros" et des "combattants de la liberté". » Cela n’évoque-t-il pas pour nous aujourd’hui certaines des critiques à la riposte israélienne au 7 octobre, notamment celles des responsables de LFI qualifiant le Hamas de « résistants »[5] et allant jusqu’à l’accusation de « génocide » pour qualifier l’action militaire de Tsahal, tandis que la propagande du Hamas parvient à faire accréditer le fait qu’il y aurait une « famine » organisée par Israël[6] ?

Dès les années 1950 d’ailleurs, cette accusation est instillée dans les esprits par l’utilisation du terme de nakba, donné par les Arabes à l’exode de populations de Palestine durant la guerre d’indépendance d’Israël entre 1948 et 1949, référence en miroir à la « Shoah » puisque le mot a un sens similaire à celui de « grande catastrophe » en hébreu[7].  Pendant la guerre du Liban, causée par l’OLP en 1982, l‘historien négationniste Roger Garaudy écrivait même que « le génocide est inscrit dans les textes sacrés du judaïsme[8] ». Et lors de la Conférence de l’ONU à Durban en 2001[9], Yasser Arafat reprit à la tribune l’accusation de génocide comme point d’orgue de sa dénonciation d’Israël pour crimes « d’apartheid » et « d’épuration ethnique ».

Mais comme le savait Golda Meir, « conquérir des territoires n’a en définitive, jamais été le véritable but des agressions arabes. (…) Qu’est-ce donc alors ? » s’interrogeait Golda Meir.  « Une impulsion irrationnelle toute-puissante, dans le désir de nous éliminer physiquement ? La peur du progrès que nous étions susceptibles d’introduire au Moyen-Orient ? Le dégoût de la civilisation occidentale ? » Elle considère que « les "réfugiés palestiniens" ont été inventés en raison du désir des Arabes d’anéantir Israël, et de leurs tentatives en ce sens. Ils sont un résultat, non une cause.  » Et le prolongement indéterminé de l’UNRWA au-delà de son mandat initial de trois ans (1949-1953), a créé ainsi l’aberration ingérable des « réfugiés héréditaires » sur plusieurs générations, cas unique au monde.

En 1956 à la suite de la campagne du Sinaï lancée par Israël pour mettre un terme à la menace de Nasser et aux agressions en territoires israéliens de groupes terroristes, en se rendant dans la bande de Gaza, elle constate avec consternation que « d’où les fedayin étaient partis pour leurs missions meurtrières pendant tant de mois (…) les Égyptiens avaient retenu 250 000 hommes, femmes et enfants (des réfugiés arabes pour près de soixante pour cent) dans des conditions les plus honteuses de pauvreté et de dénuement (…) pendant plus de cinq années, à seule fin de permettre aux dirigeants arabes d’exhiber ces camps de réfugiés aux visiteurs de l’extérieur et de capitaliser politiquement. Ces réfugiés, on aurait pu, on aurait dû, les réinstaller aussitôt dans l’un ou l’autre des pays arabes du Moyen-Orient – tous pays, soit dit en passant, dont ils partagent la langue, les traditions, la religion. »

Tandis que la propagande propalestiniste n’avait pas encore pris l’ampleur qu’elle connaît de nos jours, obscurcissant la vision réaliste du terrain, Golda Meir avait d’ailleurs dit clairement à Nixon en septembre 1969 lors de leur premier entretien à Washington : « Entre la Méditerranée et l’Irak, dans ce qui était jadis la Palestine, il y a désormais deux pays, l’un, juif, l’autre arabe, sans place possible pour un troisième. Les Palestiniens doivent chercher la solution de leur problème avec le pays arabe qu’est la Jordanie. Un "État palestinien", entre celle-ci et nous, ne pourrait devenir qu’une base, à partir de laquelle il serait encore plus commode d’assaillir et de détruire Israël. »

[1] Golda Meir, Ma vie, Les Belles Lettres, 2023.

[2] « On n’a jamais trouvé le moyen de cerner facilement la place de la religion dans l’État juif. C’était le cas alors ; jusqu’à un certain point, ce l’est toujours. » (p. 396) 

[3] Razi Hamad, le porte-parole de la branche politique du Hamas, interviewé sur la chaine libanaise LBCI le 31 octobre 2023, déclarait à propos du 7 octobre : « Nous devons donner une leçon à Israël. Et nous le ferons encore et encore. Ce n’est que la première fois, il y aura une deuxième, une troisième et une quatrième fois. »

[4] Parti politique fondé en 1959 dont la consonnance de l’acronyme évoque le titre de la sourate 48 du Coran : « La victoire éclatante », et dont Yasser Arafat deviendra le secrétaire général.

[5] « Danièle Obono qualifie le Hamas de « mouvement de résistance », Le Monde, 18 octobre 2023, ou « Rima Hassan : « le Hamas a une action légitime du point de vue du droit international », estime l’eurodéputée insoumise », Sud-Ouest, 27 février 2025

[6] « Deux soutiens du terrorisme anti-israélien parmi les auteurs du rapport sur la famine à Gaza », I24News, 24 août 2025

[7] Écouter Shmuel Trigano interviewé par Yana Grinspun : « La déconstruction du mythe de la Naqba », Youtube 11 janvier 2024.

[8] Michaël Prazan et Gaston Crémieux, « Guerre à Gaza – « Génocide », l’accusation rituelle », Franc-Tireur, n°120, 28 février 2024

[9] Voir notamment Malka Marcovitch, « ONU 2001-2007 : Durban ou l’éternel retour » (pp. 247-282), Les Temps Modernes, 2-3 n° 643-644, 2007.