L’ONU et «l’économie du génocide» edit

5 septembre 2025

Lors de la 55e session du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, tenue du 16 juin au 11 juillet 2025, le rapporteur spécial, Francesca Albanese, a mis à l’ordre du jour son rapport intitulé From economy of occupation to economy of genocide. La question du génocide n’est pas nouvelle. En 1948, Maurice Bardèche, gracié après sa condamnation pour collaboration, formulait cette accusation contre Israël, l’année même de sa création, alors que la Ligue arabe, appuyée par des volontaires issus du Soudan, d’Afghanistan et du mouvement des Frères musulmans, déclenchait une première guerre. L’accusation revint régulièrement, et Léon Poliakov en a jadis patiemment listé les récurrences. Elle prend un nouveau relief à présent, depuis le 7 octobre 2023, de Mediapart à Rivarol, et de Libération à La Croix ; même Marjorie Taylor Greene, députée extrémiste MAGA, s’est mise à la relayer.

C’est à la justice internationale de se prononcer sur le fond, et de qualifier ce qui relèverait de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide. N’importe, Mme Albanese officialise, au nom de l’ONU, cette imputation dans le titre même de son rapport, où les mots génocide et génocidaire reviennent 71 fois sur 39 pages. Qui attendrait en revanche un minimum d’analyse de la situation politique et militaire en serait réduit à constater l’absence des mots Hamas, Iran, Qatar, muslims, brotherhood, Hezbollah.  Or un texte signifie aussi par les mots qu’il tait.

Le rapport, dès son résumé, s’insurge contre le fait que « far too many corporate entities have profited from the Israeli economy of illegal occupation, apartheid and now genocide » et conclut par cette exigence : « end the genocide and dismantle the global system that has allowed it »[1]. Tout au long du texte, le global system est dénoncé, mais puisque l’État d’Israël y est inclus ne faudrait-il pas le démanteler ? C’est par parenthèse ce que projette la Charte du Hamas.

La première phrase du rapport éclaire ses attendus théoriques ou du moins lexicaux : « Colonial endeavours and associated genocides have historically been driven and enabled by the corporate sector. Commercial interests have contributed to the dispossession of Indigenous people of their lands – a mode of domination known as “colonial racial capitalism” ». Dans le langage caractéristique du décolonialisme, cette déclaration liminaire suppose acquises ces thèses familières : les génocides sont associés aux entreprises coloniales ; la colonisation est résumée à des colonies de peuplement qui supposent la dépossession voire l’extermination des « populations indigènes » ; la colonisation est fondamentalement associée au capitalisme et au racisme, bref, c’est un « capitalisme colonial raciste ». Ici, en tant que colonisateurs, les juifs seraient donc des capitalistes et des racistes.

La thèse décoloniale veut en effet que le capitalisme soit né avec la conquête de l’Amérique du Sud et le génocide des Indiens. Il en résulte que le capitalisme se limite à l’Occident, et les colonisations non-occidentales ne sont pas évoquées.

La question de la démocratie n’a plus de pertinence, puisqu’elle découlerait de ce péché originel de l’Occident ; aussi la militante indigéniste Houria Bouteldja pouvait-elle argumenter ainsi : « Quand on me dit 1789, je réponds 1492 »[2], slogan qu’elle a répété devant Nicolas Maduro, lors du deuxième colloque de l’Institut pour la décolonisation du Venezuela — pourtant indépendant depuis 1811.

À la lecture du dernier rapport Albanese, on ne sait pourquoi un génocide peut rapporter de l’argent au lieu d’en coûter ; ni pourquoi, avant même la création de l’État d’Israël, de nombreux juifs au Moyen-Orient comptaient parmi les « indigènes » — et pouvaient à ce titre craindre la création de l’État d’Israël.

Ces thèses sont pourtant familières des discours islamistes « de gauche ». Unissant les principes antisionistes et anticapitalistes de la propagande stalinienne tardive et le tiers-mondisme de jadis, le discours décolonial a ainsi permis à la propagande islamiste de rallier une bonne partie de la jeunesse estudiantine, comme en témoignent depuis deux ans les manifestations propalestiniennes qui reprennent le slogan éliminateur du Hamas, « from the river to the sea ».

Étendant la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), qui visait les activités des colonies illégales, l’argument principal du rapport consiste à criminaliser pour complicité de génocide l’ensemble des firmes étrangères, notamment américaines, qui commercent avec Israël, de IBM à Google ou Caterpillar. Le parallèle avec l’IG Farben achève alors la comparaison d’Israël avec le Reich :  « The post-Holocaust industrialists’ trials, such as the I.G. Farben trial, laid the groundwork for recognizing the international criminal responsibility of corporate executives for participation in international crimes » (§14).

Cette menace s’étend au-delà des entreprises aux universités israéliennes comme étrangères : « Universities – centres of intellectual growth and power – have sustained the political ideology underpinning the colonization of Palestinian land, developed weaponry and overlooked or even endorsed systemic violence, while global research collaborations have obscured Palestinian erasure behind a veil of academic neutrality » (§ 25). Elles sont présentées comme des appareils idéologiques d’État, ce qui rappelle le déterminisme marxiste d’Althusser.

Même le Fonds national juif, pourtant institué 47 ans avant la création de l’État d’Israël, n’échappe pas aux rigueurs onusiennes : « The Jewish National Fund, a land-purchasing corporate entity founded in 1901, helped plan and carry out the gradual removal of Arab Palestinians, which intensified with the Nakba and has continued ever since ». Non sans anachronisme, ni sans confusion entre achat et spoliation, des acquisitions centenaires du Fonds anticiperaient un génocide en cours[3].

Au vu de ces éléments épars, le rapport Albanese trouve sa cohérence dans un récit sous-jacent, où un complot ploutocratique se dessine pour renouveler le cliché d’une avidité légendaire. De longue date, des auteurs condamnés pour antisémitisme, comme Dieudonné et Soral dénoncent le « Shoah Bizness »[4] : l’extermination des juifs n’aurait été qu’un prétexte mensonger pour extorquer des réparations indues.

Ici, les juifs ont remplacé providentiellement les nazis ; et s’ils ne sont pas seulement les prétendues victimes d’un génocide passé, mais les véritables fauteurs du génocide en cours, ils restent mus par leur immémoriale avidité[5].

Dès janvier 2024, l’imputation traditionnelle de génocide avait été relancée par une plainte de l’Afrique du Sud[6] auprès de la Cour internationale de justice, qui n’avait pas donné suite à cette qualification. Un rapport publié par Mme Albanese peu après la plainte sud-africaine, lors de la Cinquante-cinquième session, tenue du 26 février au 5 avril 2024, s’intitulait cependant : « Anatomie d’un génocide ».

Enfin, la visite récente en Iran du chef d’État-Major de l’armée sud-africaine éclaire les enjeux politiques de la plainte sud-africaine. L’agence de presse de la République Islamique (IRNA) les résumait ainsi le 14 août 2025 : « Lors de cette visite, le général Mafunya a qualifié les capacités des forces spéciales de l’armée de la République islamique d’Iran d’exceptionnelles et uniques. Se référant à l’expérience douloureuse de l’Afrique du Sud durant le régime de l’apartheid, il a dénoncé les agressions et crimes du régime sioniste, les comparant à un nouvel apartheid, et affirmé : « Nous sommes aux côtés des opprimés du monde dans leur défense »[7]. Or, il est établi que l’attaque du Hamas et du Djihad Islamique, le 7 octobre 2023, a été organisée avec le concours en amont des forces spéciales iraniennes. Il s’agit donc bien à présent de maintenir et de développer l’alliance officiellement antisioniste et officieusement antisémite que l’Ayatollah Khamenei nomme le Front de la Résistance.

Cependant, en décembre 2023, la presse internationale avait repris des propos embarrassants de Mme Albanese publiés en 2014, alors qu’elle travaillait pour l’UNRWA : « L’Amérique et l’Europe, l’une dominée par le lobby juif, et l’autre par le sentiment de culpabilité à propos de l’Holocauste, restent sur la même ligne et continuent à condamner les opprimés — les Palestiniens — qui se défendent par les seuls moyens dont ils disposent (des missiles imprécis), au lieu de placer Israël devant ses responsabilités face à la loi internationale ». L’évocation d’un « lobby juif » évoque à l’évidence le complot mondial dont fait état la Charte du Hamas, qui s’appuie également sur le Coran[8] et, dans son article 32, sur un célèbre faux antisémite, le Protocole des Sages de Sion.

Cette publication de Mme Albanese était destinée à recueillir des fonds pour l’UNRWA. Or il est à présent établi que le Hamas avait infiltré l’UNRWA, qu’elle avait recruté dans ses rangs, et qu’au moins une dizaine des employés (le nombre exact reste discuté) de cette agence onusienne étaient membres des commandos qui ont perpétré le pogrom du 7 octobre 2023.

Ces révélations n’ont évidemment pas empêché qu’en 2025 Mme Albanese soit reconduite dans sa fonction de Rapporteur spécial, avec l’appui des pays islamiques[9].

Dès le 22 octobre 2023, elle avait nié, dans l’Humanité[10], la légitimité de toute contre-attaque israélienne : « Israël invoque l’article 51 de la charte des Nations unies qui fait référence au droit des États de se défendre quand ils sont attaqués. Or il se trouve qu’Israël n’est pas attaqué par un autre État. Cela peut arriver dans l’avenir si la situation continue à dégénérer. Mais là, l’attaque et les crimes contre des civils israéliens ont été commis par un groupe armé faisant partie d’une résistance à l’occupation israélienne qui, désormais, dure depuis cinquante-six ans ». Les djihadistes sont ainsi transfigurés en authentiques résistants.

Le déni s’étendait jusqu’à la réalité du pogrom du 7 octobre et des viols systématiques qui l’ont accompagné, pourtant documentés en direct vidéo par les djihadistes eux-mêmes ; Albanese publiait même le 11 octobre 2023 cette mise en garde sur X : « Hamas’ crimes, including rape, have not been confirmed, and said the divulging information about the perpetration of rape by Hamas, risks to escalate tensions and endanger lives in a volatile context »[11].

Il aura donc fallu attendre le 15 juillet 2025 pour qu’un rapport du Secrétaire général de l’ONU sur les violences sexuelles liées aux conflits désigne enfin le Hamas — tout en ajoutant, pour faire bonne mesure : « Une annexe préliminaire prévient aussi certaines forces armées – israéliennes et russes – d’une possible inscription dans le prochain rapport, en raison de soupçons de violences sexuelles commises en détention » (§ 36)[12].

Le terme de génocide est devenu un mot-clé utilisé un peu partout pour ajouter à la confusion[13] : par exemple Poutine, dans sa déclaration de guerre la nuit du déclenchement de « l’opération militaire spéciale » le 24 février 2022, l’emploie pour évoquer le génocide des russophones par les nazis ukrainiens — dirigés providentiellement par un juif.

Le Premier ministre israélien est déjà inculpé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Bien entendu, le gouvernement Netanyahou comprend des fanatiques avec lesquels il s’est allié pour assurer sa survie politique, alors qu’il est cerné par de multiples affaires de corruption — ce qui par parenthèse confirme le statut démocratique d’Israël, seul pays démocratique de la région.

La société israélienne, jusque dans les rangs de l’armée, s’est profondément divisée. Un grand écrivain classé à gauche, David Grossmann, a naguère repris le terme de génocide dans un entretien à La Repubblica. Deux mois après, il précise dans Le Monde (14 août 2025) : « nous sortirons de ce cercle démoniaque où l’on peut présenter Israël avec ces mots terrifiants ». Il aura compris que ce cercle est encore celui des discours médiatiques.

[1] Répété en dernière page de l’exposé qui exige : « ending the genocide and disassembling the global system of racialized capitalism that underpins it » (§ 95).

[2] Pour cette admiratrice de Mohamed Merah, cette date aurait pu aussi évoquer l’expulsion des juifs d’Espagne.

[3] Voir l'article 22 de la Charte du Hamas : « Les ennemis ont amassé d'énormes fortunes qu'ils consacrent à la réalisation de leurs objectifs ».

[4] Rappelons ces paroles de la chanson culte de Dieudonné, Shoahnanas : « Il ne faut pas oublier / Ya moyen d’un p’tit billet (…) Nous demandons réparation, qu’il te soit donné / Un pays au soleil et des millions de dollars ».

[5] Ce genre d’inversion est caractéristique de l’instrumentation perverse d’un schème mythique. Des réparations authentiques s’imposent donc ; et comme pour confirmer notre lecture, Mme Albanese inclut parmi ses recommandations : « To pay reparations to the Palestinian people, including in the form of an apartheid wealth tax along the lines of post-apartheid South Africa ».

[6] Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide in the Gaza Strip (South Africa v. Israel), Provisional Measures, Order of 26 January 2024, I.C.J. Reports 2024, p. 3.

[7] https://fr.irna.ir/news/85913421/Visite-du-Commandant-des-Forces-de-D%C3%A9fense-Nationale-d-Afrique

[8] La charte s’appuie sur le Coran, sourate 3, verset 151 : « Nous jetterons l’épouvante/ dans les cœurs des idolâtres (…) Leur demeure sera le Feu./ Quel affreux séjour pour les impies ! » . L’évocation du feu n’est plus guère allégorique depuis les crématoires des camps d’extermination.

[9] Le 28 mars 2025, le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (Crif) et une quarantaine de députés français avaient demandé que le mandat de Francesca Albanese ne soit pas reconduit.

[10] « Il faut arrêter la furie et la rage d’Israël », en ligne : https://www.humanite.fr/monde/debat-israel-gaza/francesca-albanese-rapporteuse-speciale-de-lonu-il-faut-arreter-la-furie-et-la-rage-disrael

[11] Ces déclarations ont été renouvelées : « In the West, the mainstream media has replicated and amplified lies. We have heard, and I said, sometimes I look at politicians and journalists who have repeated lies, but what’s the need to talk about mass rapes? There is no evidence of rape. » ; et « there were fabrications attached to it, like the mass rape and other horror stories. » (voir la vidéo :  https://unwatch.org/rape-denier-francesca-albanese/).

[12] Voir : https://news.un.org/fr/story/2025/08/1157294

[13] Le patron lexical x-cide est ainsi devenu particulièrement productif : féminicide, écocide, etc.