Vers une re-bipolarisation gauche-droite? edit

10 novembre 2025

Dans la crise politique actuelle nombreux sont ceux, dirigeants de partis politiques ou électeurs, qui pensent ou espèrent que notre système partisan va voir bientôt rétablie l’ancienne bipolarisation gauche-droite. La récente livraison de l’enquête IPSOS-CEVIPOF sur les fractures françaises nous offre de précieuses données pour tenter de déterminer dans quelle mesure les attitudes des électeurs qui sont proches des cinq principaux partis politiques permettent de confirmer la possibilité d’un tel rétablissement. Nous posons au départ que ces partis peuvent être placés sur un axe gauche-droite, de LFI au RN, c’est-à-dire de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. C’est ainsi que sont construits les tableaux 1, 2 et 3 ci-dessous. Nous avons distingué trois domaines d’attitudes : libéralisme culturel, économique et social, politique).

Constatons d’abord que, d’une manière générale, les écarts maximums des opinions entre les différents groupes d’électeurs opposent les proches de LFI à ceux du RN. Il faut certes noter quelques exceptions : par exemple, sur l’item « il faut prendre aux riches pour donner au pauvres », l’écart maximum oppose les proches de LFI à LR. Mais la tension politique principale est celle qui oppose les deux partis extrêmes. 

Tableau 1. Libéralisme culturel

Tableau 2. Économique et social

Tableau 3. Politique

La distance entre les sympathisants du PS et de LR

Le gouvernement centriste de Sébastien Lecornu tente de bâtir des compromis entre le PS et LR pour faire adopter les budgets. Sa tâche paraît d’autant plus difficile à mener à bien que les sympathisants de ces deux partis s’opposent sur presque tous les sujets, qu’il s’agisse du libéralisme culturel, de la politique économique et sociale ou de la question de la démocratie. L’écart maximum est celui qui concerne la politique fiscale. En revanche, les opinions des sympathisants socialistes sont très proches de celles des sympathisants de LFI tandis que celles des sympathisants de LR sont très proches de celles des sympathisants du RN. L’électorat demeure donc travaillé par l’opposition gauche/droite.

Deux exceptions notables concernant la question de la démocratie doivent cependant être soulignées. D’une part, les sympathisants du PS et de LR sont plus proches l’un de l’autre qu’ils ne le sont, de LFI pour les premiers ou du RN pour les seconds, sur la défense de la démocratie. D’autre part, les sympathisants socialistes sont proches de ceux de LR, de Renaissance et du RN pour estimer que LFI représente un danger pour la démocratie et que ce parti n’est pas capable de gouverner le pays, ce qui rend difficilement envisageable la formation d’un éventuel gouvernement de gauche.

À droite, la situation est différente. Les proches de LR sont une petite majorité à estimer que le RN est capable de gouverner le pays et une grosse minorité à estimer que ce parti est un danger pour la démocratie. Si un rapprochement des deux partis dans la perspective d’un gouvernement d’union paraît donc envisageable il serait néanmoins dangereux pour l’unité de LR au niveau de son électorat comme à celui de ses dirigeants. Quant au RN, il faudrait que ses dirigeants se mettent d’accord sur une politique d’ouverture ou de fermeture à l’égard de LR. Une politique d’ouverture exigerait notamment de sa part une prise de distance avec les aspects populistes tant de sa politique fiscale que de son rapport du régime démocratique actuel, aspects qui contribuent à sa popularité.

Ainsi, malgré les fortes proximités qui existent entre les proches des deux partis de gauche et entre ceux des deux partis de droite, la formation de futures coalitions gouvernementales de gauche ou de droite paraît fort problématique. Ajoutons, dans le même sens, que l’enquête n’aborde malheureusement pas les questions touchant à la construction européenne, aux relations internationales et aux questions de sécurité. Or, sur ces questions aujourd’hui primordiales, on sait qu’au sein de la gauche comme au sein de la droite, les désaccords sont profonds, le RN et LFI partageant un tropisme ancien en faveur du tyran russe.

Quels alliés pour le centre ?

Le gouvernement tente de constituer un large socle politique allant des Socialistes aux Républicains. Une telle tentative semble cependant vouée à l’échec tant les opinions des proches de ces deux partis sur presque tous les sujets sont opposées les unes aux autres. La seule exception concerne leur rejet commun de LFI, considéré comme dangereux pour la démocratie et incapable de gouverner. Les différences entre ces deux groupes pourraient expliquer pour partie le choix de LR de rompre sa participation à la coalition gouvernementale avec un centre qui est disposé à accepter de larges compromis avec le PS. Ce choix peut s’expliquer également par la position des proches de Renaissance eux-mêmes comparée à celle des proches de LR.

Sur la plupart des sujets les sympathisants de Renaissance n’occupent pas une position centrale mais sont très proches des sympathisants socialistes et très éloignés de ceux de LR. La seule exception concerne la politique fiscale (prendre aux riches pour donner aux pauvres). Une alliance de ce parti avec le PS serait donc la plus cohérente avec les préférences des électeurs. Cependant, la direction du PS rejette une telle stratégie, préférant celle de l’union de la gauche alors même que les positions et les orientations stratégiques de LFI ainsi que son potentiel électoral empêcheraient qu’une telle union puisse déboucher sur la formation d’une coalition gouvernementale.

Dirigeants et sympathisants socialistes, refusant la perspective de gouverner aussi bien avec LFI et avec le centre, provoquent le blocage du système, laissant ainsi comme seule option possible celle d’un gouvernement de l’extrême-droite, en alliance ou non avec la droite. Le refus du PS de devenir un parti social-démocrate, c’est-à-dire de considérer que le centre n’est pas une droite déguisée, laisse ainsi le champ libre au Rassemblement national. Il se trouve désormais au fond de l’impasse dans laquelle il s’est engagé depuis 2017. En sortira-t-il vivant alors qu’il a refusé de se prononcer clairement en faveur du rétablissement d’un scrutin proportionnel pour les prochaines élections législatives ?

Loin de revenir au statu quo ante de la bipolarisation gauche-droite, notre système politique s’oriente plutôt vers une domination de l’extrême-droite, alors même qu’un Français sur deux estime que le RN est un danger pour la démocratie !