Trump dans l’impasse ukrainienne edit

8 septembre 2025

Que Donald Trump honore ou non l’invitation de Vladimir Poutine de se rendre à Moscou, le type de sommet qui s’est tenu à Anchorage ne pourra plus se reproduire dans l’avenir car le président américain a perdu une grande part de sa crédibilité pour jouer un rôle majeur dans le règlement de la question ukrainienne. Il n’a rien obtenu d’un Poutine qui, plus que jamais, a répété haut et fort son objectif initial, la capitulation de l’Ukraine et l’élimination de Zelensky. En s’alignant sur les positions du Russe sans avoir lui-même été capable de présenter un projet de règlement du conflit russo-ukrainien, il a démontré son incroyable amateurisme en matière de diplomatie et, contrairement à ses rodomontades, son incapacité à contribuer à l’obtention de la fin de la guerre en Ukraine. Cet échec l’enfonce dans une impasse. Se retirera-il du conflit ukrainien ou acceptera-t-il de prolonger, au moins en partie, l’aide à l’Ukraine ?

Une forte envie de se retirer

Trump, tout comme son vice-président, souhaite désormais se retirer du bourbier ukrainien. Certes, sa critique étonnante de la gestion du dossier ukrainien par Joe Biden pourrait laisser penser qu’il envisagerait d’augmenter l’aide à l’Ukraine : « Il est très difficile sinon impossible de gagner une guerre sans attaquer l’envahisseur, explique-t-il. C’est comme une bonne équipe sportive qui a une très bonne défense mais qui n’a pas le droit de passer à l’offensive. Elle n’a aucune chance de gagner. C’est le cas de l’Ukraine contre la Russie. Ce malhonnête et totalement incompétent Joe Biden ne voulait pas laisser l’Ukraine contre-attaquer mais seulement se défendre. Est-ce que cela pouvait marcher ? Quoi qu’il en soit, c’est une guerre qui n’aurait jamais dû avoir lieu si j’avais été président. Zéro pour cent de chance. » Plusieurs de ses autres déclarations permettent cependant d’interpréter tout autrement cette critique. En répétant qu’il s’agit de la « guerre de Biden » et non pas de la sienne et que désormais c’est aux Européens d’assumer la charge de l’aide à l’Ukraine il indique clairement une volonté de se désengager à partir du moment où toute négociation paraît impossible. Va dans ce sens le fait qu’à Anchorage il a paru céder aux exigences de Poutine, qu’il s’agisse de l’alourdissement des sanctions (abandonné), du cessez-le-feu (considéré désormais comme inutile), des  garanties de sécurité (restées dans le plus grand flou), du rôle privilégié qu’il a offert au président russe dans le processus de pré-négociation (acceptation d’une rencontre bilatérale écartant l’Ukraine et les pays européens), de l’affirmation selon laquelle l’arrêt de la guerre dépend du seul Zelensky, qui devrait accepter le deal proposé par le dictateur russe, auquel est reconnue la volonté de faire la paix ; enfin, de la complicité entre les deux hommes claironnée par Steve Witkoff, son homme de confiance, assurant que le président russe n'est pas un « bad guy ». À quoi s’ajoute la décision des Etats-Unis, répétée par le vice-président J.D. Vance, de ne plus donner un sou à l’Ukraine, cette guerre étant une guerre européenne dans laquelle ils n’ont aucun intérêt, position qui, ipso facto, efface les notions d’Occident et de monde libre. Trump, en condamnant l’action de Biden, entend en réalité lui faire porter la responsabilité de ce qu’il semble considérer comme une défaite annoncée de l’Ukraine. Cependant, alors que celle-ci n’entend pas capituler, Trump peut-il l’abandonner complètement à un destin aussi funeste ? Un tel abandon présenterait à notre sens deux gros inconvénients pour le président américain.

Une opinion publique favorable à l’Ukraine

Le premier inconvénient concerne l’opinion publique. Les Américains sont en large désaccord avec l’ensemble des points sur lesquels Trump a cédé à Poutine à Anchorage le 15 août dernier.

Un sondage Economist/YouGov, réalisé du 15 au 18 août, montre clairement l’ampleur de ce désaccord. Notons d’abord que, de manière générale, 56% des personnes interrogées n’approuvent pas la manière dont Trump accomplit sa tâche de président, le chiffre le plus élevé depuis le début du second terme. 40% seulement sont d’un avis contraire. A la question sur la fourniture supplémentaire d’armes et d’aide militaire, 62% y sont favorables contre 52% en mars dernier. Chez les électeurs républicains ces chiffres sont 51% contre 30%, soit une augmentation particulièrement élevée. Chez les électeurs indépendants ces chiffres sont 61% contre 51% en mars. À propos des sanctions, 73% y sont favorables contre 66% en mars. Ici également l’augmentation est la plus forte chez les électeurs républicains : 74% contre 63%. 80% réclament un cessez-le-feu immédiat, dont 81% des électeurs républicains. 10% ont une vue positive de Poutine et 60% de Zelensky. Ces chiffres chez les Républicains sont respectivement de 14% et 40%. Enfin, tandis que 69% estiment que les Ukrainiens et les Européens doivent être inclus dans les négociations de paix (60% des Républicains), ils sont 19% à vouloir ajouter aux Américains et aux Russes les seuls Ukrainiens (27% des Républicains) et 3% à préférer soit la seule participation soit des Russes et des Américains (4% des Républicains) soit des Ukrainiens et des Américains (2% des Républicains). L’opinion publique américaine n’est ainsi d’accord ni avec un abandon de l’Ukraine ni avec l’obsession de J.D. Vance d’effacer la notion d’Occident et de monde libre. Certes, comme le montrent les sondages d’opinion, la question ukrainienne n’est pas une préoccupation importante des Américains et ce n’est pas elle qui orientera leur vote aux prochaines midterms. Mais, comme le déplore Trump lui-même, cette guerre devient de plus en plus meurtrière. Poutine a décidé de mettre les Ukrainiens à genoux au moyen d’une stratégie de terreur consistant à massacrer les populations civiles. La guerre, qui va continuer, apportera chaque jour davantage les images du martyre ukrainien. Comment la population américaine réagira-t-elle à cette situation si Trump a abandonné l’Ukraine ? Si Trump accuse Biden d’avoir empêché les Ukrainiens de gagner la guerre ne lui donnant pas assez et assez tôt les armements suffisants, comment le jugeront-ils, lui, de les avoir laissé massacrer en coupant l’aide américaine au lieu de l’augmenter ?

La question de l’OTAN

Le second inconvénient concerne le rôle de l’OTAN dans la guerre en Ukraine. Si les Etats-Unis dirigent l’OTAN, l’écrasante majorité des pays-membres sont favorables à la poursuite de l’aide à l’Ukraine. Ces pays font pression en son sein pour que Trump la laisse se poursuivre. Certes, ce dernier a clairement refusé de payer désormais pour l’Ukraine mais couper totalement toute aide provoquerait une crise de cette organisation même si la plupart des membres ne veulent pas rompre avec les Etats-Unis. D’une manière ou d’une autre l’OTAN demeurera engagée dans le conflit du côté de l’Ukraine. Trump lui-même, s’il ne le souhaite pas, annonce qu’il va aider l’Ukraine. Le comportement de Poutine et la réaffirmation d’un axe Russie-Chine-Corée du nord ne permettent plus au président américain de jouer les médiateurs entre l’Ukraine et la Russie car Poutine ne lui laisse désormais aucune porte de sortie vers la mise en place d’une négociation. Il lui est de plus en plus difficile de faire porter à Zelensky la responsabilité de l’absence de négociation. Il a averti ainsi récemment son homologue russe : « [Il] sait quelle est ma position (…) Selon la décision qu’il prendra, je serai soit content soit mécontent et, si nous ne sommes pas contents, il se passera quelque chose. » Certes, le quelque chose n’est peut-être pas grand-chose. Nous verrons. Mais son lien fort avec « son ami Poutine » est cependant en question désormais. L’impasse dans laquelle il s’est mis l’empêche d’avoir une politique clairement articulée dans la mesure où il ne peut plus promettre de ramener la paix en Ukraine.