Une diplomatie du spectacle edit

23 septembre 2025

Une nouvelle diplomatie médiatisée de la force se joue aujourd’hui après le sommet des dupes entre Trump/Poutine le 15 août en Alaska puis la démonstration militaire massive du 3 septembre dernier à Pékin des trois dictateurs, le Chinois, le Coréen du nord et le Russe, sur la place Tian’An Man de Pékin, symbole des tueries de plusieurs milliers d’étudiants le 4 mai 1989. Cette diplomatie du spectacle va de pair avec de nouvelles pertes ukrainiennes et des bombardements russes incessants. L’Europe malgré le renforcement de l’OTAN est affaiblie et menacée à ses frontières, avec aujourd’hui l’intrusion sans précédent de drones et avions russes aujourd’hui aux frontières de l’Europe, en Estonie, Lituanie. Pologne, Roumanie, dans un contexte nouveau où Trump comme Poutine ont contribué chacun à leur manière à mettre en place peu à peu un système complexe de déformation de la réalité.

Le tapis rouge d’Anchorage

La dernière rencontre Trump/Poutine du 15 août en Alaska aurait-elle scellé un nouveau marché de dupes sur le dos de l’Ukraine témoignant des nouvelles tactiques d’un dictateur russe aux abois mais déployant de nouvelles stratégies ? Ou s’agit-il simplement d’un énième rebondissement, aux 17 ultimatums du président américain succédant à des accolades sur tapis rouge, manières nouvelles et visibles de court-circuiter une diplomatie traditionnelle ? On se souvenait de la visite humiliante le 28 février 2025 du président Zelensky, accusé de n’avoir aucune carte en main, dans le bureau ovale à Washington, et médiatisée sur toutes les télévisions du monde. Elle symbolisa le véritable revirement américain en faveur de Poutine d’un Trump par ailleurs compromis depuis la fin des années 1980 dans des affaires avec la Russie[1]. Dans cette nouvelle diplomatie du « Deal » faite de spectacles et d’écrans de fumée, l’Ukraine déjà exsangue était acculée à signer rapidement un accord sur l’exploitation américaine de ses minerais. Face à Trump, le président russe, inculpé comme criminel de guerre par un tribunal international mais jamais inquiété dans ses déplacements, n’avait aucune intention de vraiment négocier ou de céder quoique ce soit à Anchorage avant de s’envoler pour la Chine pour y conforter ses positions.

On était déjà habitué aux frasques et à l’esprit d’improvisation de Donald Trump sur nombre de dossiers internationaux importants à commencer par les récents droits de douane puis son projet de partage du monde avec l’annexion du Groenland comme du Canada pour au sens littéral « rendre l’Amérique plus grande » (la Russie pouvant elle s’accaparer le Caucase et l’Ukraine). Trump  annonça d’ailleurs à l’impromptu en Alaska d'éventuels « échanges » de territoires avec la Russie. Cet amateurisme fut dénoncé son  ancien conseiller à la sécurité nationale John Bolton, accusé d’avoir détourné des informations classifiées et aujourd’hui poursuivi par la Justice fédérale. Au cours du premier mandat de Trump, Bolton avait été son troisième conseiller à la sécurité nationale ils s’étaient opposés sur l'Iran, l'Afghanistan et la Corée du Nord. Le FBI a perquisitionné en août dernier les bureaux de John Bolton désormais détracteur de Donald Trump après la publication de son livre sur ces sujets accusant Trump d’un manque de fermeté envers la Russie. Bolton y décrit notamment comment Trump avait fait pression en 2019 sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky, l'exhortant à fournir des informations compromettantes sur le fils de Joe Biden, Hunter Biden, en échange d'une aide militaire. Récemment, dans un entretien au  Financial Times, Bolton confiait que le président des États-Unis se préparait rarement à ces rencontres internationales[2].

La veille de sa rencontre à Anchorage, Trump considérait ce sommet comme « une réunion pour prendre la température », persuadé qu'il saurait rapidement cerner si les négociations devaient avancer ou au contraire si la guerre devrait perdurer. Le temps long de la diplomatie se travestit en temps courts de show télévisés à l’américaine au bon vouloir d’un président américain, mais au seul profit du président russe alors que tous les commentateurs patentés qualifièrent Anchorage de « sommet de l’échec ». Les discussions ont été menées avec une équipe réduite d'experts américains en sécurité internationale. Et pour cause :  depuis sonn investiture en janvier, Trump a licencié nombre d'experts en politique étrangère et en sécurité nationale. D’après Eric Rubin, président de l'American Foreign Service Association (AFSA, le syndicat des diplomates américains), 25% des agents du service extérieur, jugés « politiquement non corrects » auraient été évincés. Aujourd’hui, entre démissions et départs volontaires, différents postes clés de l'administration liés à la Russie et l'Ukraine sont laissés vacants. Par exemple, l’ambassadrice américaine à Kyiv, Bridget Brink une démocrate spécialiste de la zone post-soviétique, a été révoquée récemment.

Pour la porte-parole américaine adjointe Anna Kelly : « sous la direction du président Trump et grâce aux fonctions conjointes du secrétaire d'État Marco Rubio, le Conseil de sécurité nationale est plus pertinent et plus influent que jamais  et il serait  faux de penser que plus de personnel équivaut à de meilleurs résultats. En  prônant l’efficacité optimisée grâce à  une réorganisation du département nous sommes devenus plus légers… ». On a eu un exemple de cette légèreté lors de la dernière conférence de presse du président, le 18 septembre à Londres, prétendant devant le Premier ministre britannique « avoir résolu le conflit entre l’Aber-Baidjan (sic) et l’Albanie ! » Les Etats-Unis sans réellement avoir pu avancer leurs pions face à la Russie, ont concédé finalement une reconnaissance de taille à la Russie en la relégitimant sur la scène internationale.

Le poutinisme de guerre

Vladimir Poutine, à l’inverse, est réputé à la fois pour sa bonne connaissance des sujets et son habileté à se jouer de son interlocuteur, comme il le démontra face à Sarkozy venu négocier à Moscou lors de la guerre Russie-Géorgie de 2008 pour finalement entériner un état de fait. La Géorgie est aujourd’hui à nouveau sous surveillance russe après des élections truquées en octobre dernier[3]. Dans l’espace post-soviétique, il est d’ailleurs symptomatique de voir Poutine s’acharner sur la Géorgie et l’Ukraine, deux républiques qui avaient su fonder après 1918 de courtes expériences de démocratie avant d’être écrasées par le pouvoir bolchévique.

Pour les Russes, il s’agit de gagner du temps face aux Américains pour tenter de conquérir du terrain afin de négocier en position de force. Autre symbole d’une époque soviétique toujours pas révolue en Russie aujourd’hui : en se rendant en Alaska, Poutine faisait escale à Magadan, ville industrielle des bords du Pacifique et terre de désolation, rendue tristement célèbre pour ses camps de travail forcé où furent internés des millions de prisonniers du monde entier dans des conditions de froid extrême. Le but de sa visite à Magadan n’était pas les Goulags jamais mentionnés, mais l’inauguration d’une usine de traitement de graisses de poisson, le soutien à une équipe de hockey de jeunes Russes et la commémoration d’un monument en souvenir du pont aérien des Américains de l'Alaska lors de la Seconde Guerre mondiale dans leur assistance militaire à Staline, désormais réhabilité en Russie. Après des décennies de silence, cette aide américaine est opportunément rappelée à propos du voyage de Poutine au détriment de l’histoire tragique de cette région alors que Magadan fut un lieu de relégation pour un certain nombre d’Américains, venus alors évangéliser ces territoires reculés et qui périrent à la Kolyma. En arrivant à Anchorage, Poutine pouvait d’ailleurs même évoquer avec ironie l’Alaska considéré comme sorte « d’Amérique russe » et cédée à l’Amérique en 1867 par la Russie pour une poignée de dollars. L’Alaska n’est aussi qu’à 80 kilomètres de la frontière russe.

Convergences et marchandages

Cette réunion Trump/Poutine renforce les convergences de deux présidents autoritaires et leurs marchandages réciproques sur le dos de l’Ukraine[4]. Trump tergiverse entre cessez le feu et paix globale, s’alignant au final sur les positions de Moscou tout en étant prêt à fournir des armes à l’Ukraine qui devraient être financées maintenant par l’Europe. Les Etats-Unis vendent mais désormais ne prêtent plus, tout en cherchant à réinscrire les propositions d’Istanbul de 2022. Réunis le 18 août à la Maison Blanche après le sommet américano-russe, cette fois autour de Trump et Zelensky, les sept dirigeants européens sont repartis affaiblis avec de vagues gages américains mais sans aucune perspective de résolution du conflit. Trump s’est réaligné sur les positions russes, confirmant l’ensemble de ces discours tenus depuis son arrivée au pouvoir. L'Ukraine s'engagerait à acheter des armes américaines pour 100 milliards de dollars avec un financement européen dans le cadre de l'accord, manière d’externaliser ces contrats sur l’Europe. De fait dans ce marchandage celle-ci apparaît captive de ces nouveaux intérêts américains. Et les États-Unis, à leur tour, pourraient conclure un accord de 50 milliards de dollars pour la production à certaines conditions de drones avec des entreprises ukrainiennes. Mais là encore on est dans le flou complet tant les États-Unis continuent à jouer d’incertitudes fortes face à l’intransigeance russe.

[1] Voir le récent article à ce sujet de Françoise Thom sur Desk-Russie. Et aussi Régis Genté, Notre homme à Washington : Trump dans la main des Russes, Paris, Grasset, 2024.

[2] Cf. John Bolton, La pièce où ça s’est passé : 453 jours dans le bureau ovale avec Donald Trump,  Paris, Talent , 2020. Voir aussi  Financial Times, 22 août 2025.

[3] Cf. Kristian Feigelson et Tamara Svanidze, « Géorgie : vers un nouvel autoritarisme ? », Telos, 28 octobre 2024, et Kristian Feigelson « L’impasse impériale », Telos, 14 mars 2025.

[4] Cf. Kristian Feigelson, « Trump et Poutine : la double face de Janus ? », Telos, 27 mars 2025.