L’Europe et le soutien à l’Ukraine edit

23 juillet 2025

Donald Trump a enfin compris, après plus de trois années de guerre en Ukraine, ce que tout observateur attentif savait depuis le début : Vladimir Poutine n’accepterait jamais de négocier avec Zelensky et n’envisagerait la fin de cette guerre qu’après la capitulation du pouvoir ukrainien et le retour de l’Ukraine dans le giron de l’empire russe. La reprise par les États-Unis de la fourniture d’armements et d’autres aides à ce pays est évidemment une bonne nouvelle et l’on comprend que le président ukrainien ait une fois encore chaudement remercié son homologue américain. L’OTAN, réanimé pour l’occasion, sera chargé de la livraison des armes américaines à l’Ukraine et à ses alliés européens.

À première vue ce retournement de la politique américaine, qui traduit l’échec complet des tentatives de Trump pour convaincre Poutine de négocier, pourrait laisser penser que nous sommes revenus à l’époque de la guerre froide. Face à un camp occidental rétabli et regroupé autour de l’OTAN, les trois puissances anciennement communistes, Russie, Corée de Nord et Chine, font bloc contre l’Occident, Beijing ayant déclaré clairement qu’il ne permettrait pas une défaite de la Russie. Xi Jinping a notamment affirmé que la Chine et la Russie doivent « renforcer leur soutien mutuel ». Cette déclaration signifie que désormais, la Chine s’engage ouvertement aux côtés de la Russie dans la guerre en Ukraine. Pourtant, la comparaison de la situation actuelle avec celle qui caractérisait le monde d’avant l’écroulement de l’Union soviétique est largement trompeuse. Aujourd’hui, la Russie se considère directement en guerre avec l’Occident et agit en conséquence. Le camp anti-occidental n’est plus une alliance de pays communistes tentant de résister à la domination de l’Occident, mais d’empires totalitaires unis pour détruire les régimes démocratiques et engagés directement contre eux. À la guerre froide a succédé un entre-deux plus dangereux encore dans la mesure où la Russie poutinienne, engagée totalement dans une guerre de longue durée en Europe, considère que l’existence d’une Ukraine indépendante, pointe avancée de l’Occident, constitue une menace existentielle pour elle tandis que les pays européens mobilisés pour sa défense voient dans l’agression russe une menace existentielle pour l’Europe démocratique. C’est désormais l’Europe elle-même qui est le champ de bataille principal.

Or, dans cette situation, l’Alliance atlantique n’est nullement aux yeux de Donald Trump ce qu’elle était au moment de sa création : l’organisation de la défense du monde libre. Les Etats-Unis, jadis le maillon fort de cette alliance, en sont devenus le maillon faible, laissant une Europe insuffisamment armée en première ligne contre la Russie et ses alliés. Le retournement effectué par Trump, quels qu’en soient les aspects positifs pour l’Ukraine, est en réalité très limité. En répétant indéfiniment que la guerre en Ukraine est « la guerre de Biden » et non la sienne et en affirmant que désormais les Etats-Unis ne paieront plus un dollar pour l’Ukraine mais vendraient à ce pays et à ses alliés européens, via l’OTAN, les armes que ces derniers leurs fourniraient, il ne se veut plus solidaire de ses alliés européens. Il ne considère pas que l’agression russe contre Ukraine constitue pour son pays une menace ni même que cette agression soit condamnable. Le « retournement » de Trump ne signifie donc aucunement qu’il entend soutenir l’Ukraine. L’Alliance Atlantique change donc de nature puisque la définition de l’adversaire n’est plus la même pour son membre le plus puissant et pour ses « alliés » engagés à défendre l’Ukraine. Ces derniers ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes dans cette nouvelle guerre européenne, à l’inverse du temps où l’Amérique rooseveltienne décida de prendre la tête du combat contre l’agression totalitaire nazie. Plus largement, pour Trump, cette alliance atlantique n’est plus un regroupement de pays partageant les mêmes valeurs, ce qui est cohérent avec sa détestation de l’Union européenne. Malgré les flots d’encens que Mark Rutte, le secrétaire général de l’OTAN, ne cesse de déverser sur « papa » Trump, la définition même des objectifs de cette organisation devra par conséquent être revue.

Dans ces conditions, l’enjeu déterminant est de savoir si les pays européens qui sont déterminés à défendre l’Ukraine pourront fournir l’effort financier et matériel indispensable pour éviter son écrasement par la Russie. S’agissant de la Grande-Bretagne et de la France, l’accord signé récemment va dans le bon sens tandis que l’Allemagne, de son côté, est engagée dans le réarmement et l’aide à l’Ukraine. Au niveau de l’Union européenne la majorité politique qui soutient actuellement la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen est elle aussi clairement favorable à l’augmentation de ce soutien. Cependant, le récent vote du Parlement européen sur la motion de censure contre la Commission déposée à l’initiative d’un eurodéputé roumain appartenant au groupe des conservateurs et réformistes européens, l’un des trois groupes les plus à droite dans cette assemblée, a confirmé l’importance de la question ukrainienne dans la structuration politique des votes. Le principal motif évoqué par les soutiens de cette motion, la gestion des commandes de vaccins contre le Covid, ne concernait pas l’Ukraine mais, en réalité, la répartition des votes a recoupé le clivage qui oppose partisans et adversaires de l’aide à ce pays. Certes, la motion de censure a été largement repoussée par 361 voix contre 175 mais, tandis que les quatre groupes favorables au soutien ont voté contre (le Parti populaire européen, le Parti socialiste européen, les centristes de Renew Europe et les Verts/ALE), les trois groupes d’extrême-droite, qui lui sont hostiles (les Patriotes pour l’Europe, les Conservateurs et réformistes européens et l’Europe des nations souveraines), ont voté massivement la censure à l’exception des membres des Conservateurs et réformistes européens qui appartiennent, au niveau national, aux Fratelli d’Italia de Giorgia Melloni, plus conciliants avec la présidente de la Commission, qui n’ont pas pris part au vote. En outre, une douzaine de parlementaires de la gauche radicale (GUE/NGL), dont on sait le peu d’appétence à défendre l’Ukraine, se sont joints aux partisans de la censure. La teneur du débat a confirmé que la question ukrainienne était en réalité centrale dans ce vote. Le Parti Populaire européen, principal soutien de la présidente de la Commission, a dépeint le vote en faveur de la censure comme émanant d'eurodéputés d'extrême droite, favorables à la Russie et à son président Vladimir Poutine. « Avec cette motion de censure, nous perdons du temps : Poutine sera heureux de ce que ses amis font ici. Je sais que l'AfD (Alternative pour l'Allemagne) allemande et l'AUR (Alliance pour l'unité des Roumains) roumaine sont les marionnettes de Poutine. Cette motion de censure va à l'encontre de la sécurité des Européens », a ainsi déclaré son président, Manfred Weber.

Les gouvernements des pays européens favorables à l’aide à l’Ukraine se trouvent donc aujourd’hui face à une situation qui exige de leur part la maîtrise de trois enjeux majeurs : créer, comme l’a proposé avec raison le président de la République, un pilier européen de l’OTAN du fait de  la cessation de l’aide financière, et donc militaire, américaine à l’Ukraine ; maintenir au sein du Parlement européen la large majorité actuelle favorable au soutien à l’Ukraine ; mobiliser les électorats nationaux en faveur de ce soutien qui, s’il est aujourd’hui majoritaire, comme nous l’avons noté dans notre étude du 25 juin sur les résultats de l’Eurobaromètre (59%), est cependant refusé par une forte minorité des Européens (36%). Une tâche qu’ils devront remplir dans la durée.