Pourquoi le PSG a gagné la Ligue des Champions edit

Le Paris Saint-Germain a remporté le 31 mai dernier, pour la première fois de son histoire, la Ligue des Champions, sur un score fleuve : 5 buts à zéro contre les Italiens de l’Inter Milan. Pourtant, quelques mois auparavant, rien ne laissait présager une victoire des Parisiens. Ils avaient terminé barragistes de la phase de poule de la compétition, perdant contre des concurrents au titre, Arsenal ou l’Atlético Madrid.
Il s’en fallut d’ailleurs de peu qu’ils subissent une élimination mais, après une spectaculaire « remontada » contre Manchester City après avoir été mené 2 buts à 0, ils avaient remporté la rencontre 4 à 2. Qu’est-ce qui a bien pu changer ? Comment l’équipe est-elle passée d’un niveau sommaire, insuffisant, à une formidable démonstration de style et de puissance, de collectif et de pugnacité ? Pour l’expliquer, tentons de passer par la théorie économique et les différentes études qui existent sur le sujet.
Dans leur livre The Numbers Game (2013), les économistes Chris Anderson et David Sally, respectivement de la London School of Economics et de l'Université Washington à Saint-Louis, ont recherché les facteurs et les paramètres qui expliquaient la puissance, et les faiblesses, d’un collectif. Comment pouvait-on passer d’un groupe soudé à un collectif défaillant ? Cela soulève une question centrale : les performances dépendent-elles de l’alignement des talents individuels ou de la structuration collective de l’équipe ?
Premier élément, et non des moindres, le football est un sport d’équipe qui nécessite non pas les meilleurs joueurs mais les moins mauvais. Ce n’est pas la performance qui compte mais l’efficacité. L’objectif est de faire le moins d’erreurs possible, pas d’être le meilleur possible. Moins une équipe commet de fautes, plus la probabilité de gagner un match augmente, et incidemment celle de remporter un tournoi. Ce ne sont pas les joueurs les plus connus, les plus performants qui vont décider du résultat, ce ne sont plus les clubs les plus riches — ceux qui dépensent des millions à chaque mercato — qui sont titrés, mais seulement ceux qui offrent la meilleure cohésion et le moins d’erreurs possibles.
Le collectif avant la somme d’individualités
Pour démontrer ce processus, les auteurs vont faire référence à la « O-Ring Theory ». Développée en 1993 par Michael Kremer, économiste à l’Université d’Harvard, cette théorie a pour origine l’accident de la navette Challenger le 28 janvier 1986. Ce jour-là, la navette spatiale, 73 secondes après son décollage, s’est désintégrée en plein vol, causant la mort de sept astronautes. L’un des joints (toriques, « o-ring » en anglais) chargés de relier les propulseurs à la navette a cédé à cause du froid et a laissé le carburant s’écouler, ce qui a provoqué une déstabilisation du vaisseau et son explosion. L’erreur en incombe ainsi à un tout petit joint entraînant sept décès, ainsi que la destruction d’une navette à plusieurs milliards de dollars. Cet o-ring était le point faible de l’assemblage et il a causé sa perte.
Kremer rappelle qu’une production complexe nécessite la réalisation d’un grand nombre de tâches et qu’il peut suffire d’une seule erreur dans la réalisation de ces tâches pour détruire la production. Autrement dit, même en dépensant le plus d’argent, en s’offrant les meilleurs joueurs, en ayant le meilleur entraîneur du monde, si vous faites une toute petite erreur, aussi infime soit-elle, tout peut s’écrouler. L’idée de Kremer est de considérer que le processus de production est dépendant d’une série de chaînes de travailleurs chargés d’effectuer des tâches différentes. Si le moindre agent fait une erreur, il dérègle tout le mouvement et réduit dramatiquement la production, tous les efforts consentis par ses pairs. Une erreur, une faute, par un seul individu et l’ensemble est affecté.
Il faut viser l’harmonie avant les paillettes
En général, les travailleurs réalisent des tâches avec une certaine efficacité. Le meilleur doit avoir une efficacité égale à 100% mais plus le talent, la compétence, la motivation ou encore la connaissance diminue, plus l’efficacité se réduit. La plupart du temps, la décroissante de l’efficacité n’est pas catastrophique, ce sont des choses qui arrivent et qui n’altèrent que le différentiel de croissance. Au contraire même, les compétences des uns compensent les faiblesses des autres. Mais là où Kremer pointe le problème, c’est sur le risque d’effet-domino, le risque qu’une seule erreur provoque le dérèglement de tout le système, de toute la chaîne.
Appliqué au football, cela signifie que la force moyenne d’une équipe ne dépend pas de la somme des individualités, selon une logique où l’alignement de joueurs de rang mondial tirerait vers le haut le niveau des autres. Au contraire, la force moyenne dépend directement des interconnexions entre tous les membres d’un même collectif. Ayez une faiblesse quelque part et toutes les fondations peuvent s’écrouler. Dans le cas du Paris Saint-Germain, cela revient à dire qu’aligner le trio magique Messi – Neymar – Mbappé (comme cela a été le cas lors de la saison 2022-2023) ne sert à rien si le reste de l’effectif ne suit pas, si le niveau n’est pas relativement et globalement homogène, s’il y a trop d’écarts de niveau entre les joueurs, ne garantissant pas équilibre et cohésion.
Un collectif fort et soudé sera toujours meilleur que des super-stars
Le football n’est pas le sport des meilleurs mais le sport des moins mauvais. En empilant une liste de superstars, le PSG a considéré que leurs niveaux allaient s’additionner entre eux, que les stars allaient couvrir les erreurs des outsiders et les aider à s’améliorer. Il n’en a rien été. L’assemblage de stars ne garantit pas un succès sûr, ce qui compte c’est l’harmonie. Selon l’Italien Arrigo Sacchi, entraîneur de l’AC Milan dans les années 1980 et 1990 puis directeur sportif du Real Madrid en 2005 (à la fin de la période dite des « Galactiques », dont il a tiré les leçons), le raisonnement individualiste n’a pas sa place dans le football. « On ne cherche qu’à exploiter les qualités individuelles, les joueurs ne pensent pas au collectif. Par exemple, nous nous sommes rendu compte que Zidane, Figo et Raul (au Real Madrid, dans les années 2000) ne redescendaient jamais. Il a donc fallu mettre un milieu récupérateur derrière la ligne offensive afin de défendre. Mais c’est contraire à l’idée même du football. On n’additionne pas les talents pour espérer gagner, la courbe d’efficacité n’est pas exponentielle. Il faut faire confiance au jeu, à la tactique, au travail collectif : c’est le seul moyen d’obtenir l’effet multiplicateur tant recherché ».
Dans The Numbers Game, Anderson et Sally racontent d’ailleurs une anecdote au sujet de Sacchi. Lorsqu’il était entraîneur à l’AC Milan, il a réussi à convaincre Ruud Gullit et Marco van Basten, persuadés que les matchs se gagnaient avec les meilleurs joueurs, à jouer un match délibérément déséquilibré. « J’ai parié avec eux qu’une équipe de 5 joueurs organisés pouvait battre 10 excellents joueurs sans collectif. Et j’ai remporté mon pari. Une première équipe était constituée de Giovanni Galli, Tassotti, Maldini, Costacurta et Baresi. En face, 10 joueurs : Gullit, van Basten, Rijkaard, Virdis, Evani, Ancelotti, Colombo, Lantignotti et Mannari. Ils avaient 15 minutes pour inscrire un but contre les 5, la seule règle imposée était que si les 5 réussissaient à récupérer le ballon ou si les 10 perdaient la possession, ces derniers devaient reculer de 10 mètres. Ils n’ont jamais marqué, pas une seule fois ».
La théorie du o-ring suppose que les meilleurs doivent être avec les meilleurs, que le niveau de production sera le plus élevé possible si et seulement si l’équipe est homogène, harmonieuse. Si cela n’est pas respecté, le processus risque de se gripper et de ruiner tout espoir d’optimum collectif.
C’est exactement la même chose avec le PSG, une équipe est née en cours de saison et a révélé une formidable force collective. Les joueurs offensifs, comme Dembélé, Doué ou Kvaratskhelia qui travaillent tout autant sur le front de l’attaque qu’en défense, comme les défenseurs Nuno Mendes ou Hakimi qui remontent en permanence et se créent de nombreuses actions lors des matchs. C’est grâce à l’effort tactique et stratégique que l’équipe a pu remporter la Ligue des Champions, pas en additionnant des talents. Grâce à son intelligence tactique et son effort collectif.
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