Le pataquès des taxis santé edit

La crise des taxis et VSL de mai-juin 2025 est une preuve de plus de l’incapacité de l’État à bien définir à résoudre les problèmes budgétaires et sociaux. Et pourtant, la solution est si facile : décentraliser la prise en charge des Véhicules Sanitaires Légers (VSL) vers les départements. À eux de payer et d’organiser le remboursement des VSL pour leurs électeurs, selon le marché local. Les départements connaissent mieux que la Caisse Nationale d’Assurance Maladie ou le Premier ministre la demande et l’offre locales. En décentralisant, le gouvernement ne serait plus en première ligne.
Fidèle à l’idée de « payer pour réformer[1] », nous suggérons une solution Pareto-optimale de compensations pour les taxis, politiquement acceptable par tous et neutre pour les finances publiques.
De manière générale, il importe aussi qu’il y ait un bâton, ou au moins une non-compensation, en cas de refus des lobbies professionnels : leur montrer qu’ils ont beaucoup à perdre à refuser les réformes. Sans quoi les finances publiques deviennent otages de professions qui s’arrogent un droit de veto.
Mais allons au fond du problème. Rappelons d’abord qu’un VSL (véhicule sanitaire léger) est un simple taxi, pas une ambulance : à part le transport, le VSL n’a pas de valeur ajoutée. En cas d’accident ou maladie grave, ce sont les ambulances qui convoient : ceci est donc hors du débat d’aujourd’hui.
La crise des taxis et VSL de mai-juin 2025 est une preuve de plus de l’incapacité de l’État à bien définir à résoudre les problèmes budgétaires et sociaux. Fascinant : l’État central se prend les pieds dans ses propres incohérences et empire des problèmes qui ne devraient pas advenir, par son propre aveuglement et son obsession de centralisation.
Leçons d’un désastre annoncé
Première leçon : le gouvernement ne devrait jamais en arriver à ce point. Ce n’est pas au Premier ministre de décider cela. Il devrait déconcentrer et décentraliser de telles décisions. Qui donc a construit cette bombe politique aux conséquences politiques funestes bien évidentes à l’avance ? La CNAM.
Comment le directeur général de la CNAM a-t-il pu seulement envisager gérer tout seul l’offre et la demande de VSL sur tout le territoire ? Dans quel autre pays le Premier ministre et quatre ministres passent-ils trois heures en négociation avec les taxis pour réduire les dépenses de la CNAM de 150 millions d’euros, alors même que le Premier ministre n’est pas en charge directement de la CNAM ? C’est comme si un patron du CAC40 s’occupait des tarifs d’avion, de train et de taxis de ses salariés en déplacement. C’est absurde : c’est au plus du ressort de la sous-direction des services ou de la DRH, pas du directeur général. Tout cela pour 150 millions d’euros, soit 0,4% de l’effort budgétaire annoncé pour 2026 ! C’est consternant et affligeant. Car si l’État recule ici, quelle crédibilité budgétaire lui restera-t-il, alors que le déficit budgétaire atteint 6% du PIB ?
Deuxième leçon : bien définir le besoin. Financer à 100% pour tous les patients les déplacements vers un hôpital, une bonne idée ? Pas sûr : chaque patient ne peut pas avoir un droit illimité aux VSL, sinon ces dépenses explosent[2] — ce qui est le cas. Rappelons que nous sommes le seul pays européen à prendre en charge ce type de transport. Faut-il subventionner tout le monde, même les plus aisés ? Non. Le remboursement des VSL pourrait ne concerner que la partie la plus pauvre de la population.
Troisième leçon, l’État et la CNAM n’ont pas posé la bonne question : à quel niveau traiter cela ? Réfléchissons deux secondes. Ni l’État central, ni la CNAM n’ont la moindre compétence dans ces services qui sont d’abord locaux. Le niveau départemental semble optimal. À l’évidence la CNAM ne s’est même pas posé cette question basique.
Quatrième leçon ; la CNAM ne s’est pas posé non plus la question de l’efficacité de son système. Elle n’a pas envisagé l’idée de recourir au marché, à la concurrence. On est estomaqué d’entendre le patron de la CNAM lui-même envisager de décider de tout cela depuis Paris, par une convention avec les Taxis-VSL, avec des prix fixes valables partout… pour cinq ans ! C’est du Gosplan corporatiste et absurde qui s’ignore. Comment en sommes-nous arrivés à ce qu’un haut-fonctionnaire, spécialisé dans le social, puisse penser être en mesure de définir les prix des VSL urbi et orbi ad aeternam ? Dans la vidéo où il présente la nouvelle convention CNAM-VSL, le directeur général de la CNAM annonce que le but est de « organiser l’offre de taxis », de « accompagner la profession de taxis » après avoir constaté qu’il n’y avait pas assez d’offre de taxi. C’est hallucinant ! Ce n’est pas à la CNAM de gérer l’offre. La CNAM est juste acheteur de services. Comment imaginer que la CNAM puisse s’occuper de l’offre qu’elle va acheter ? C’est l’hybris d’un Gosplan corporatiste qui se croit omniscient et omnipuissant sans connaître ses limites. Sans cette hybris, le DG de la CNAM n’aurait jamais dû mettre le Premier ministre dans une telle crise.
Cinquième leçon, la CNAM ne doit s’occuper que de son objectif premier : la santé de ses assurés. C’est beaucoup et c’est tout : le reste ne relève pas de sa mission.
Quelle solution économique? La décentralisation!
Comme pour les transports publics du quotidien, c’est au département ou à la Région de gérer. Confions le financement des VSL (s’il doit y en avoir un) aux départements. Ils savent mieux que la CNAM ce qui est bon pour leurs populations. À chaque département de décider du taux de remboursement de chaque catégorie de trajet en VSL, selon les revenus et les pathologies des patients.
À l’État, en échange, de transférer aux collectivités locales un pourcentage du coût actuel des VSL. Aux conseils départementaux de gérer cela.
Ensuite, on peut assouplir le système et abaisser les coûts, en proposant par exemple aux personnes prises en charge de leur verser directement un pourcentage du prix VSL si elles s’y rendent par elles-mêmes. Bien souvent, elles se feront transporter par un ami ou un membre de la famille et se partageront le paiement. De quoi réduire massivement les dépenses de VSL. Remarquons que cela ne porte aucun préjudice à la grand-mère esseulée de Haute-Ariège qui recourra au VSL. Cette solution est Pareto-optimale.
Comment faire accepter cela aux taxis ? En payant pour réformer. Nous suggérons, pour la partie réforme, la séquence suivante.
Le Premier ministre annonce dès que possible « la suppression complète de toute nouvelle convention-cadre CNAM taxi » (l’actuelle se finissant en octobre 2025). Il précise : « La politique des transports sanitaires légers ne dépendra plus que des départements ».
« Ceux-ci recevront un transfert forfaitaire pour cela. Ils organiseront, ce marché par concurrence, sous condition de règles générales ».
« Le gouvernement élargira l’aire de compétence géographique des taxis pour satisfaire au mieux la demande de VSL : un taxi détenteur d’une « plaque »[3] dans une commune pourra exercer sans restriction dans tout le département (il faut changer la loi), ce qui est positif pour les patients. Cela implique que l’autorité régulatrice des taxis, hors Paris, devienne le département et non plus la commune » (il faut changer la loi).
« Pour l’ensemble de la région parisienne, l’autorité régulatrice des taxis et de leur plaque deviendrait la Région Ile de France » (il faut changer la loi), qui connaît le mieux les besoins de transports : un patient du 95 ou du 91 se faisant soigner à Paris doit relever de la même autorité de régulation, i.e. la Région.
« L’exécutif du conseil régional émettra les plaques de taxi pour l’ensemble de la Région ». Il est temps que la Préfecture de Police de Paris ne s’occupe plus des taxis et se focalise sur la sécurité.
« Le gouvernement, constatant que l’offre de VSL est insuffisante dans certains départements ruraux (constat de la CNAM), y autorise les VTC à devenir VSL. Dans ces départements, le gouvernement augmentera le nombre de VTC ».
« Le gouvernement saisit l’Autorité de Concurrence sur le secteur Taxis, VSL et VTC ».
En échange de l’acceptation de cette réforme par les organisations de taxis, le gouvernement annoncerait la Partie payer pour réformer (la carotte).
La carotte: payer pour réformer
« De nouvelles plaques de taxis gratuites réservées aux seuls taxis.
« Chaque artisan taxi et chaque salarié taxi de France, inscrit au 31 décembre 2025, recevra trois nouvelles plaques de taxi (ADS) gratuitement en 2026 » (il faut changer la loi).
Cette mesure est destinée à augmenter l’offre de taxi, ce qui est favorable aux consommateurs et aux patients. Elle compense aussi les taxis déjà existants. Le prix actuel d’une licence de taxi varie de 30 000€ à 300 000€.
« Après cette réforme initiale, les licences seront délivrées par les départements (avec valeur départementale) ou par la région Île de France (valeur régionale) ».
À ce système de compensation pourraient s’ajouter des subventions vertes pour les voitures électriques de taxi et VTC. Voici une formule possible pour ce volet der la réforme.
« L’État va mobiliser une partie significative du budget des subventions aux véhicules électriques, en faveur des taxis et des VTC. Chacun recevra 30 000€ en une seule fois d’ici fin 2027, pour l’achat d’un nouveau véhicule électrique ». « Le tout à budget inchangé pour les subventions aux véhicules électriques ».
L’argument ici est d’abord environnemental. C’est bien pour l’intérêt général : ce sont des voitures qui roulent beaucoup. Leur dépollution est donc prioritaire par rapport aux véhicules des ménages (moins utilisés dans la journée). Ici la subvention décarbone donc beaucoup plus ceteris paribus.
En outre, n’avoir que des véhicules électriques chez les taxis et les VTC permet de dépolluer les villes, là où roulent les taxis et VTC. Et donc de participer à l’un des objectifs des ZFE.
Cette subvention est élevée pour inciter les taxis à accepter. C’est bien pour les taxis qui pourront renouveler beaucoup moins cher leur flotte. Comme il est légalement interdit de racheter les plaques (ADS[4]), c’est le moyen pour l’État de les compenser.
Ceci est neutre pour les finances publiques.
Après la carotte, le bâton
Et si les taxis refusent cette proposition du gouvernement ? Et bien, poursuivons avec la séquence suivante. « Le gouvernement mettra quand même en œuvre sa réforme (décentralisation du financement des VSL) ».
« Il ne donnera pas de licence gratuite aux chauffeurs de taxis. Celles-ci seront distribuées directement par les départements et la Région Île-de-France ».
« L’État ne subventionnera aucun véhicule électrique aux taxis et VTC ».
« Le Premier ministre demandera au ministre de l’Intérieur de suspendre temporairement, voire définitivement, les plaques de taxis (Autorisations De Stationnement) des taxis qui bloqueraient la circulation et les abords des aéroports. C’est très facile à savoir, il suffit de relever les plaques d’immatriculation des bloqueurs. Le droit constitutionnel de manifestation est celui de manifester à pied dans la rue, après déclaration préalable en préfecture, et non celui de bloquer la circulation automobile ». Les chauffeurs de taxi le savent bien et craignent que leur ADS ne soit suspendue, ce qui les empêcherait d’exercer. Comme l’ADS est une autorisation administrative, ils ne pourront pas être compensés pour cette suspension.
L’avantage de cette solution « bâton » : elle ne demande pas de nouvelle loi.
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[1] Cf. Jacques Delpla et Charles Wyplosz, La Fin des privilèges. Payer pour réformer, Hachette Littératures, coll. « Telos », 2007.
[2] Un exemple : un taxi en 2024 m’a dit avoir transporté en VSL un client de Narbonne à Paris, aller-retour, en une seule journée, pour une visite médicale à Paris ! Prix pour la CNAM : 2250€ !
[3] La plaque de taxi est une autorisation administrative, une « Autorisation De Stationnement’, ADS, qui donne le droit (et le monopole) aux taxis de : 1) attendre les clients aux bornes taxis ; 2) de se faire héler sur la voie publique. C’est tout. Or, avec le téléphone portable, internet et les plateformes de type UBER, cette ADS perd de la valeur face aux VTC. D’où la colère des taxis.
[4] L’État ne peut pas de jure racheter une autorisation administrative.