Sur quelques enjeux des lois sur la fin de vie edit

Deux propositions de loi sur la fin de vie sont examinées en mai par l’Assemblée nationale. Des instances consultatives avaient travaillé sur l’hypothèse d’un seul texte de loi. Le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) avait émis un avis le 13 septembre 2022 en faveur d’une évolution de la législation en vigueur issue de la loi Claeys – Leonetti du 2 février 2016. Une convention citoyenne réunissant 184 personnes tirées au sort avait émis en avril 2023 des conclusions allant dans le même sens, adoptées par 75% des participants[1].
Pour contourner les réticences d’une partie de l’opinion publique et du Parlement, le Premier ministre a décidé de scinder le texte en deux. La manœuvre ouvre une procédure plus confortable aux opposants à une aide active à mourir : ils pourront adopter la première partie du texte, désormais autonome, sur le développement des soins palliatifs et s’opposer au second texte consacré au suicide assisté et à l’euthanasie.
En revanche, cela ne change rien aux questions de fond soulevées dès l’origine.
Le texte sur le renforcement des soins palliatifs
Le renforcement des soins palliatifs est souhaité par tous les professionnels de santé et, plus généralement, par tous les citoyens. L’unanimité s’était faite sur ce point devant le CCNE et devant la convention citoyenne. Il en ira sans doute de même devant le Parlement. Plus personne ne soutient aujourd’hui que la lutte contre la douleur serait une question secondaire, contrairement à un passé ancien nourri d’une conception punitive de la religion et de la valeur supposée « rédemptrice » de la souffrance. Permettre à un patient en fin de vie de ne pas souffrir est devenu un devoir d’autant plus impérieux que la médecine dispose aujourd’hui d’un arsenal anti-douleur permettant, dans l’immense majorité des cas, d’atteindre cet objectif. Comme le disent désormais les spécialistes du traitement de la douleur : si un patient n’est pas soulagé en fin de vie, c’est qu’il est traité par des incompétents. Sauf quelques situations sur lesquelles on va revenir.
Aucun obstacle ne se dresse donc devant le premier texte soumis aux parlementaires. On observera cependant que la décision du Premier ministre d’en faire un texte autonome fait apparaître de manière patente que la plupart de ses dispositions ne sont pas de nature législative ! A l’exception notable de la création de nouvelles « Maisons d’accompagnement et de soins palliatifs » qui disposeront de prérogatives juridiques qui ne peuvent être conférées que par la loi, le reste du texte aurait pu être décidé et mis en œuvre par le pouvoir exécutif. La seule question qui vaille à cet égard est de savoir si les gouvernements successifs, dans les années à venir, accorderont aux soins palliatifs les moyens humains et financiers nécessaires pour couvrir les déserts médicaux en cette spécialité et former en nombre suffisant les professionnels de santé capables de l’exercer.
Le texte sur l’aide à mourir
Ce texte que la convention citoyenne appelait de ses vœux sous l’appellation plus claire d’aide active à mourir, recouvre deux modalités : l’assistance au suicide et l’euthanasie. Sans remonter à la Grèce antique, ces deux modalités font l’objet de nombreux débats publics depuis que les Pays-Bas puis la Belgique ont été les premiers en Europe à en légaliser la pratique, sous certaines conditions, au début des années 2000. C’est aussi à cette date que certains ont vanté les vertus du code pénal helvétique qui, depuis 1942, ne sanctionne pas l’aide au suicide lorsque celle-ci n’est pas pratiquée « pour des motifs égoïstes ». En France, le débat, parfois vif, oppose les partisans du statu quo qui soutiennent qu’une légalisation de l’euthanasie, quelles que soient les conditions fixées par la loi, constituerait une rupture anthropologique au regard du « Tu ne tueras point » du décalogue biblique, aux partisans de cette légalisation au nom de la liberté de chacun de disposer de sa vie et de sa mort.
Dans son avis 139 de septembre 2022, le CCNE où se concertent médecins, biologistes, philosophes, juristes, sociologues, psychologues, a proposé une évolution équilibrée de la loi actuelle. On rappelle que celle-ci prévoit que « le patient atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire aux traitements »[2] est en droit de bénéficier, à sa demande, d’une sédation profonde et continue qui altère sa conscience jusqu’à son décès. Cette disposition législative a été considérée par de nombreux acteurs, notamment parmi les médecins, comme offrant une issue positive à la plupart des cas de souffrances en fin de vie, y compris face à des pathologies cancéreuses. Mais elle a fait l’objet de deux objections de nature très différente.
La première objection que l’on qualifiera de théorique s’est inscrite dans le courant de philosophie morale qui plaide, en s’inspirant de John Stuart Mill, pour le minimalisme moral. Ce courant estime qu’un individu n’a pas de devoir à l’égard de lui-même et que l’interdit moral ne peut porter que sur ce qui cause tort à autrui. Dans cet esprit, l’euthanasie qui ne fait de tort à personne d’autre qu’à soi-même doit être instituée comme une liberté sans condition juridique : je suis seul juge du prolongement - ou pas - de ma vie et la loi n’a rien à m’imposer sur ce point. Le philosophe français Ruwen Ogien, récemment disparu, a produit une œuvre d’inspiration libertaire qui défend brillamment cette idée[3]. Son caractère très radical a limité son audience. Une minorité non négligeable de la convention citoyenne sur la fin de vie a cependant adhéré à cette vision du problème.
La seconde objection que l’on qualifiera de pratique a connu un développement beaucoup plus important, notamment dans les débats du CCNE. Celui-ci, dès son avis 63 du 27 janvier 2000, a souligné qu’il existait ce qu’il a appelé des « situations aux limites », autrement dit des situations de souffrances sans issue. Le CCNE s’est ainsi placé dans une logique « d’exception d’euthanasie » pour donner une issue compassionnelle à de rares cas.
Il s’est saisi à nouveau de la question en 2022. Il a souligné que la faculté ouverte par la loi Claeys - Leonetti de 2016 de pratiquer une sédation au bénéfice d’un patient dont le pronostic vital est engagé à court terme, c’est-à-dire quelques jours, ne couvrait pas les cas de pathologies conduisant à des souffrances réfractaires sur une période s’étalant sur plusieurs mois avant le décès. L’exemple de la maladie de Charcot a été cité, parmi d’autres. Comment répondre à ces situations si l’on considère que la sédation ne peut pas être pratiquée sur une longue durée ? Le CCNE a plaidé pour que soit trouvé un équilibre entre deux dimensions éthiques : d’une part le respect de l’autonomie de la personne qui invite à accepter sa demande de mettre fin à sa vie ; d’autre part, le devoir de solidarité qui incite à venir en aide à toute personne vulnérable pour lui permettre de traverser du mieux possible les moments où sa vie s’achève.
Le point d’équilibre proposé par le CCNE a consisté à ouvrir à ces patients un droit au suicide assisté et, à titre subsidiaire, s’ils ne sont plus en mesure de se suicider en s’administrant eux-mêmes le produit létal, à bénéficier d’un acte d’euthanasie effectué par un tiers.
Des dispositions qui s’éloignent des recommandations du comité national d’éthique
L’ouverture vers le suicide assisté a été reprise par la proposition de loi dans un climat politique de consensus partiel facilité par l’adoption récente de dispositions similaires par plusieurs pays proches qui y étaient jusqu’alors très hostiles. On citera notamment l’Allemagne qui par un arrêt retentissant de sa cour constitutionnelle fédérale du 26 février 2020 a dépénalisé l’assistance au suicide au nom du respect de l’autonomie individuelle.
Deux assouplissements du cadre fixé par le comité national d’éthique constituent en revanche un abandon problématique du « point d’équilibre » initialement proposé. Le premier concerne le champ temporel de la loi. La proposition soumise à l’Assemblée nationale abandonne l’idée de « pronostic vital engagé à moyen terme » au bénéfice d’une rédaction relative aux affections graves et incurables « en phase avancée ou terminale ». La HAS (Haute autorité de santé) vient de rendre un avis soulignant à juste titre qu’aucune de ces deux notions n’offre une fiabilité médicale suffisante[4]. Il n’en reste pas moins que l’idée de « moyen terme » s’entendait comme couvrant une période de six à douze mois comme cela est pratiqué dans plusieurs pays étrangers. Celle de « phase avancée » est indéterminée et peut laisser la place à une lecture très large.
Le second assouplissement tend à supprimer la prééminence de la solution « suicide assisté » sur la solution « euthanasie ». Dans le texte soumis à l’Assemblée nationale, les deux solutions sont au choix du patient sans qu’il soit nécessaire pour accéder au droit à l’euthanasie de ne plus être physiquement capable de s’autoadministrer le produit létal. Les deux actes sont mis sur le même plan alors qu’ils soulèvent des questions d’une ampleur incomparable sur le plan philosophique (donner la mort à quelqu’un ou se la donner à soi-même) et juridique (l’euthanasie engage la responsabilité d’un tiers avec une intensité très supérieure à celle d’une assistance au suicide).
Du statut d’exception, l’euthanasie deviendrait, si le texte reste en l’état, un outil ordinaire de l’arsenal de la fin de vie. Le point d’équilibre si précautionneusement recherché depuis des années entre droit à l’autonomie individuelle et devoir de solidarité envers les plus fragiles serait en péril. Cela risquerait de soulever dans les deux chambres du parlement des oppositions qui enliseraient les débats au point que le texte ne pourrait pas être adopté avant la fin du quinquennat, ce qui serait un immense gâchis. Ainsi, comme souvent, des militants excessifs auraient nui à leur cause. Il est encore temps de revenir au compromis suggéré par vingt ans de débats au sein du Comité national d’éthique et de tendre vers un large accord parlementaire comme Alain Claeys et Jean Leonetti l’avaient obtenu en 2016.
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[1] L’auteur a participé au « comité de gouvernance » de cette convention.
[2] Article L. 1110-5-2 du code de la santé publique
[3] Ruwen Ogien. La Vie, la mort, l'État : le débat bioéthique, Paris, Grasset, 2009.
[4] HAS. Avis sur « pronostic vital engagé à moyen terme / phase avancée ». 30 avril 2025