Venezuela: la vieille autocratie n’en finit pas de mourir edit

31 juillet 2025

La vieille autocratie ne parvient pas à disparaître ; la nouvelle démocratie ne parvient pas à naître. Le régime de Nicolás Maduro résiste encore et prolonge son agonie, provoquée par son propre affaiblissement, par les terribles conséquences des politiques prédatrices qu’il a mises en place et par le rejet massif de la population, qui s’est manifesté dans les urnes le 28 juillet 2024.

Hannah Arendt disait que la violence et le pouvoir sont opposés : alors que la violence dépend des instruments, le pouvoir dépend du nombre. Si cela est vrai, il existe encore au Venezuela une élite criminelle qui, faute de pouvoir réel, se maintient par le seul recours à la violence. Cette tendance est structurelle et irréversible. Il n’y a aucun moyen pour Maduro de regagner en popularité ou en légitimité : le rejet dont il fait l’objet de la part de la majorité des citoyens est solide et définitif. Seules les difficultés rencontrées par cette majorité pour agir de manière organisée retardent la réalisation d’un changement de régime définitif.

Une victoire sans précédent de l’opposition

Il est impossible de comprendre la situation actuelle au Venezuela sans saisir l’ampleur de la victoire remportée par les démocrates le 28 juillet 2024. Les conditions draconiennes imposées par le régime de Nicolas Maduro réduisaient au minimum la possibilité de sa défaite aux urnes. Si les chiffres officiels lui ont donné une majorité de 51%, mais des fraudes massives ont été constatées. L’opposition et les observateurs indépendants estiment que son adversaire l’a emporté de 37 points. Une défaite cinglante, qui montre que les citoyens ont considéré ces élections comme une occasion unique de coordonner leur rejet massif du régime. La victoire d’Edmundo González Urrutia est le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs.

Tout d’abord, l’émergence de María Corina Machado, qui a suscité un mouvement citoyen capable de vaincre le désespoir et l’inertie qui se sont agravés pendant les années de pandémie. Sa victoire aux primaires de l’opposition le 22 octobre 2023 a signé la défaite de la thèse de la cohabitation, défendue par des personnalités politiques communément appelées « alacranes » (scorpions) au Venezuela : de prétendus opposants à Maduro qui, en réalité, collaborent avec lui pour préserver le système politique actuel. Cette victoire a unifié le mouvement d’opposition autour d’une thèse claire en faveur du changement politique. Une stratégie qui, après le veto imposé par le régime à la gagnante de la primaire, a pris forme avec la candidature du diplomate à la retraite Edmundo González Urrutia.

La victoire de ce dernier était annoncée dans tous les sondages relativement fiables, mais la probabilité que le régime autocratique commette une fraude était énorme. Il fallait donc prouver la victoire des démocrates. Plus d’un million de citoyens vénézuéliens se sont organisés pour collecter, sauvegarder et publier les procès-verbaux officiels qui seraient imprimés par les machines à voter. Ainsi, 48 heures après la présentation des résultats falsifiés par le Conseil national électoral, plus de 80 % des procès-verbaux officiels étaient à la disposition du monde entier sur le site resultadosconvzla.com. Steven Levitsky lui-même a déclaré que les Vénézuéliens avaient établi ce jour-là une nouvelle référence dans la lutte des démocrates contre les autocraties. Des années de mascarade électorale ont ainsi volé en éclats. Malheureusement, la réponse du régime a été brutale et continue de faire des victimes : trente personnes assassinées, dont beaucoup en captivité ; près de deux mille prisonniers politiques ; une chasse impitoyable aux témoins, aux membres des bureaux de vote et aux dirigeants de l’opposition, ainsi qu’un harcèlement constant de leurs familles, reproduisant ainsi la pratique nazie du Sippenhaft, qui pénalise toute la famille de la personne poursuivie.

En définitive, toutes les mesures arbitraires ont été prises pour tenter d’effacer ce qui ne peut l’être : le mandat populaire et souverain exprimé le 28 juillet dernier, tel qu’il figure dans les procès-verbaux officiels publiés par l’opposition, et en vertu duquel Edmundo González est le président légitimement élu des Vénézuéliens.

Le revers de janvier 2025

Le 10 janvier est la date fixée par la Constitution vénézuélienne pour l’entrée en fonction d’un président élu. Les attentes autour de cette date étaient immenses. González Urrutia avait déclaré à plusieurs reprises qu’il entrerait sur le territoire vénézuélien ce jour-là, après plusieurs mois d’exil à Madrid et après avoir reçu, aux côtés de María Corina Machado, le prix Sakharov. María Corina Machado était déjà en clandestinité depuis cinq mois, quelque part au Venezuela, lorsqu’elle s’est engagée à mener une grande manifestation le 9 janvier.

Mais après être apparue à ce rassemblement, la dirigeante vénézuélienne a été brièvement détenue. Pour une raison inconnue, elle a été libérée après avoir enregistré une courte vidéo. Apparemment, un contre-ordre a ordonné sa libération. De son côté, le président élu a renoncé à sa tentative d’entrer dans le pays, après que l’autocratie a fermé l’espace aérien vénézuélien pendant trois jours et déployé des batteries antiaériennes à divers endroits du territoire national. De toute évidence, comme l’ont souligné plusieurs proches de Machado et González, la coordination entre tous les acteurs favorables à un changement de régime au Venezuela a fait défaut. Les mêmes évoquent une implication des Russes. Le coût d’une contestation de la dictature est énorme et quiconque s’y engage sans succès le paie généralement très cher.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Même si les attentes ont été déçues et si le désespoir a gagné du terrain, les sondages montrent que la confiance dans les dirigeants de l’opposition reste élevée. Les Vénézuéliens savent que la partie est difficile, et c’est pourquoi ils continuent à soutenir ceux qu’ils considèrent comme les vrais représentants du pays.

Le facteur Trump

Le mouvement d’opposition dirigé par Machado et González résiste aux assauts de la répression maduriste, se reconfigurant pour défendre le mandat du 28 juillet et manœuvrant sur la scène internationale. Comme ils l’ont souligné à plusieurs reprises, le destin du Venezuela est entre les mains des Vénézuéliens, mais beaucoup dépendra de la façon dont les choses évolueront sur la scène mondiale.

Dans ce domaine décisif, le second mandat de Trump imprime des changements profonds à la géopolitique mondiale. Au lieu de défendre l’ordre international que les États-Unis eux-mêmes ont établi après la Seconde Guerre mondiale, Trump semble plutôt miser sur un nouvel équilibre des pouvoirs entre les grandes puissances, où chacune contrôle ses « zones d’influence » respectives. Dans cette reconfiguration mondiale, Washington semble avoir cédé de son influence à Moscou sur l’Ukraine, tout en revendiquant pour lui-même une hégémonie totale sur le continent américain.

Le poids significatif que les républicains de Floride – y compris les Cubano-Américains – exercent dans les affaires de politique étrangère renforcerait peut-être cette vision qui privilégie l’influence des États-Unis sur « les Amériques », comme le montre le premier voyage officiel à l’étranger de Marco Rubio, premier secrétaire d’État hispanique, qui avait pour destination l’Amérique centrale. Malgré cela, personne ne sait avec certitude ce que Trump réserve au Venezuela.

D’une part, son envoyé spécial Richard Grenell s’est laissé photographier aux côtés de Maduro à Caracas, où il s’était rendu pour ramener six otages américains. D’autre part, la révocation de la prolongation du Temporary Protected Status (TPS) accordé à des centaines de milliers de Vénézuéliens aux États-Unis a suscité le malaise parmi ceux qui espéraient que le nouveau président américain soutiendrait la cause du Venezuela.

D’autre part, Trump a annoncé la révocation des licences d’exploitation pétrolière dans ce pays au moment même où son propre fils rencontrait María Corina Machado. Chevron cessera ainsi de fournir au régime Maduro sa principale source de revenus actuelle. De même, Trump a décidé d’accorder un traitement équivalent à celui réservé à Daech à l’organisation criminelle vénézuélienne Tren de Aragua, un groupe criminel soutenu par le régime Maduro et désormais considéré comme « terroriste » par Washington.

Le régime vénézuélien comprend les risques inhérents et cherche à ouvrir la voie à une entente pragmatique avec Washington, tout en essayant de reconstruire sa façade interne avec l’aide des « scorpions ». Avec son projet actuel de réforme constitutionnelle, il cherche à avancer vers l’« État communal », à altérer le système électoral jusqu’à le rendre inutilisable et à favoriser un modus vivendi pragmatique avec les Américains.

« Je ne suis pas bon, mais je garantis le pétrole et la stabilité », semble être son slogan. Jusqu’à présent, cependant, Trump a pris soin, dans ses nombreuses et fréquentes déclarations publiques sur le Venezuela, de préciser qu’il ne s’entendait pas avec Maduro et que, pour lui, ce pays constituait aujourd’hui avant tout un problème de sécurité nationale et régionale, et non une question susceptible d’être réglée par des accords pétroliers.

La version originale de cet article, en espagnol, est parue dans Letras Libres.