L’école primaire au Maroc: un modèle à suivre pour la France? edit

30 juillet 2025

Malgré des résultats encore modestes aux évaluations internationales telles que PISA, le Maroc engage depuis plusieurs années une transformation ambitieuse de son système éducatif. Lancé en 2023, le programme des « Écoles Pionnières » produit déjà des effets remarqués. Peut-il inspirer la France?

Le système scolaire marocain se classe traditionnellement parmi les derniers dans les comparaisons internationales, à l’instar des pays à niveau de vie comparable. Cependant, le Maroc s’est engagé depuis longtemps dans une dynamique de réforme, visant à améliorer durablement la qualité de son éducation. Après un premier plan décennal (1999-2009) aux résultats limités, le Plan d’Urgence « Najah » a permis de réduire l’analphabétisme de 43,2% en 2004 à 29% en 2017.

Dans cette perspective, la feuille de route 2022-2026 a permis le lancement des « Écoles Pionnières », dispositif déployé depuis septembre 2023 et couvrant désormais 7 % des écoles primaires, soit environ 322 000 élèves. Ce programme s’appuie sur les recommandations du Global Education Evidence Advisory Panel, comité d’experts coprésidé par l’économiste Abhijit Banerjee (MIT), prix Nobel d’économie, qui analyse dans la littérature scientifique les interventions éducatives les plus efficaces et efficientes dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Deux piliers structurent la démarche marocaine : d’une part, l’approche « Teaching at the Right Level » (TaRL), consistant à organiser les groupes d’élèves selon leur niveau réel d’apprentissage plutôt que selon l’âge ; d’autre part, la fourniture de séquences pédagogiques structurées, complétée par une formation initiale de 120 heures aux méthodes TaRL et un accompagnement hebdomadaire à distance.

Une application sur tablette permet, toutes les deux semaines, d’évaluer les acquis et d’ajuster les groupes en conséquence ; ces données, agrégées, sont transmises en temps quasi réel au rectorat pour un pilotage réactif de chaque école.

La mesure de l’impact du dispositif est assurée par une évaluation indépendante menée par le J-PAL (Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab), centre de recherche basé au MIT, spécialisé dans l’évaluation scientifique des politiques publiques de lutte contre la pauvreté et fondé en 2003 notamment par Esther Duflo, autre prix Nobel d’économie. L’évaluation associe également plusieurs universités marocaines et américaines, ainsi qu’un comité de chercheurs indépendants.

Après seulement une année, les analyses expérimentales du J-PAL mettent en évidence un gain moyen de +1,3 écart-type en compréhension écrite et de +0,93 en mathématiques, des résultats unanimement qualifiés d’exceptionnels pour une réforme déployée à l’échelle nationale, sans ressources additionnelles majeures.

Ces résultats, bien que spectaculaires, sont conformes aux observations sur le paradigme pédagogique du TaRL : l’enseignement explicite ou direct instruction. Il prône une pédagogie centrée sur l’enseignant, avec phase de démonstration par l’enseignant puis une pratique guidée et enfin des exercices en autonomie.

Plus concrètement, la leçon s’articule autour de trois phases : « je fais », « nous faisons », « vous faîtes ». Par exemple, l’enseignant commence par lire un problème en mathématiques et expose à voix haute, étape par étape, les opérations qui conduisent à la solution. Vient ensuite une pratique guidée : sous la supervision de l’enseignant, les élèves résolvent un exercice analogue en reproduisant la démarche présentée, souvent sur ardoise. Le reste de la séance est ensuite consacré à des exercices en autonomie croissante et la production d’une synthèse[1]. Ce déroulé pédagogique, appliqué au Maroc, constitue une adaptation locale du TaRL par rapport à ce qui a été déployé initialement en Inde[2]. Rappelons que le TaRL implique également le regroupement des élèves en fonction de leur niveau dans les notions abordées sur tout ou partie du déroulé précédemment écrit, ce que le Maroc applique également dans les « Écoles pionnières »[3].

Ce modèle pédagogique de l’enseignement explicite est connu, depuis les années 70 comme le plus efficace notamment pour les élèves en difficulté, ce qu’avait mesuré à l’époque le Follow Through Project, la plus grande étude encore menée à ce jour dans le domaine des Sciences de l’Education. Depuis, les expériences scientifiques ont régulièrement souligné la pertinence de ce paradigme pédagogique[4]. Précisons que l’un des experts clé du programme des « Ecoles Pionnières » au Maroc, Steve Bissonnette, est l’un des chercheurs francophones les plus réputés sur l’enseignement explicite.

Le contraste avec la situation française mérite réflexion. La tentative d’introduire l’enseignement explicite sous Jean-Michel Blanquer (2017-2020) s’est heurtée au manque de ressources clé en main et à l’absence d’un comité scientifique externe. Notre pays souffre également d’un manque de culture de l’évaluation systématique, la France peinant à documenter l’impact réel de la qualité de son enseignement. La France demeure également peu encline à intégrer les apports de la recherche scientifique en éducation dans ses pratiques. C’est une chose pourtant loin d’être hors de portée : le Royaume-Uni, grâce à l’Education Endowment Foundation et à l’OFSTED, évalue très régulièrement l’efficacité de l’action de son école et voit ses scores progresser dans les enquêtes internationales comme PIRLS (lecture) et TIMSS (mathématiques et sciences).

Il est probable que l’absence d’une culture systématique de l’expérimentation et de l’évaluation contribue de manière significative aux difficultés de notre système éducatif, qui peine à voir émerger une stratégie basée sur l’évaluation de l’efficacité des politiques publiques. Cette carence s’inscrit dans un contexte de très forte inertie car la conviction qu’une politique éducative met du temps à porter ses fruits semble faire consensus en France alors que le Maroc constitue un formidable contre-exemple. Ce dernier tend à montrer qu’un dispositif centré sur des pratiques pédagogiques efficaces et l’évaluation des politiques publiques peut mener à des résultats rapides. D’autres pays ont connu des hausses spectaculaires dans PISA comme l’Estonie, le  Royaume-Uni, l’Irlande ou la Pologne.

L’expérience marocaine des « Écoles Pionnières » montre également qu’un dispositif fondé sur la mesure régulière des acquis et la diffusion de pratiques pédagogiques éprouvées peut générer, en quelques mois seulement, des progrès d’apprentissage significatifs. Si le Maroc confirme ces résultats lors des prochaines évaluations internationales, son modèle ou au moins la démarche qui le sous-tend pourrait s’imposer comme une référence.

Jusqu’à présent, des pays performants comme l’Estonie ou Singapour n’ont que rarement inspiré notre système éducatif, souvent faute de consensus sur les politiques à reproduire. Avec le Maroc, le constat est plus évident : son exemple rappelle qu’une école conçue comme un terrain d’expérimentation continue, à l’image de la médecine clinique, offre une voie solide pour dépasser les débats idéologiques et asseoir la politique éducative sur des preuves concrètes.

A minima, cette démarche invite la France à placer l’évaluation rigoureuse et le partage de pratiques efficaces au cœur de la formation initiale et continue des enseignants, sans remettre en cause la liberté pédagogique. Par ailleurs, l’essor de l’intelligence artificielle et la nécessité de mieux documenter les acquis renforcent l’intérêt d’outils comme ceux développés au Maroc : séquences pédagogiques clé en main pour accompagner les enseignants, évaluation standardisée, pilotage par la donnée. Plusieurs pays ayant fait leurs preuves dans PISA, tels que Singapour ou l’Estonie, suivent d’ailleurs une logique similaire.

En somme, le succès des « Écoles Pionnières » invite à repenser l’innovation pédagogique non comme une exception presque organique, mais comme une méthode scientifique : systématique, mesurable, et partageable.

[1] M. E. Hoque (2011), « Reading explicit instruction: A classroom-based study » Education and Development Research Council (EDRC).

[2] C. Gauthier  et S. Bissonnette (2025), « Effets des pédagogies structurées, enseignement explicite et TaRL, déployées dans la réforme scolaire du Maroc TELUQ ».

[3] TaRL Webinar Series: Session 1, 2017.

[4] S. Bissonnette, M. Richard et C Gauthier (2005), « Interventions pédagogiques efficaces et réussite scolaire des élèves provenant de milieux défavorisés », Revue française de pédagogie(150), 87–141.