Ligue 1: une vraie réforme et quelques fausses pistes edit

La victoire du PSG en finale de la Champions League ne doit pas faire illusion. Depuis cinq ans, le football professionnel français traverse de profondes difficultés : économiques, sportives, structurelles et conjoncturelles. En cinq saisons seulement, il a connu le retrait de deux diffuseurs majeurs (Médiapro en 2020, DAZN en 2025), une saison arrêtée (2019-2020) et la crise du COVID, qui a lourdement affecté les revenus liés au transfert de joueurs. Au total, selon les comptes récents de la DNCG, le gendarme comptable du football, les pertes des 36 clubs professionnels se cumulent à 1,2 milliard d’euros.
La nécessité d’un changement
La Fédération française de football, face à cet inquiétant constat, a pris la décision récente de réformer en profondeur et d’imposer une véritable révolution. Exit la ligue de football professionnelle, subdélégation de service public : une société de clubs actionnaire va être créée pour la saison 2026-2027 qui sera chargée, sous l’égide de la fédération, de gérer l’organisation et la gestion des championnats professionnels. Dorénavant, les équipes de première et deuxième division seront parties prenantes, en tant que membres actionnaires de la nouvelle entité commerciale.
À ce titre, et contrairement à ce qui se faisait depuis trente ans et le début de l’ère des droits TV, les clubs auront un intérêt direct à développer la visibilité et l’attractivité de leur championnat, afin de booster les droits TV. Initialement, à travers la LFP, les clubs cédaient, par contrat, les droits de diffusion, et touchaient, sans participer ou travailler à la production médiatique des rencontres, l’argent garanti par contrat. L’intérêt était que la somme était certaine, et les clubs pouvaient construire leur budget prévisionnel sur la base des droits tv données sur une période de trois à cinq ans. L’inconvénient était que les clubs se désengageaient du développement et de la valorisation de leur propre championnat, puisqu’ils n’avaient aucun intérêt direct à y contribuer. Pas d’alliance avec le diffuseur pour produire du contenu premium ou du contenu exclusif, pas de caméras dans les vestiaires ou dans les coulisses, et donc pas de valorisation du montant des droits.
Désormais, à travers cette société de clubs actionnaires, leur rémunération ne sera plus fixée par contrat mais versée sous forme de dividende, calculée au prorata du chiffre d’affaires de la chaîne LFP. Si elle attire des abonnés payants, le CA grimpe et les équipes voient leur rémunération croître, et inversement. Ces dernières acquièrent donc un rôle prépondérant dans le développement de la ligue, il va falloir attirer les téléspectateurs pour augmenter les recettes. Mais à cette question, comment faire ?
Faut-il augmenter l’incertitude?
Nous l’avons déjà cité, le premier élément consiste à produire du contenu premium et exclusif, sans se limiter à la seule diffusion des rencontres. Si l’abonnement ne contient pas seulement des matchs une fois par semaine mais aussi des interviews, des reportages et des débats toute la semaine, le consentement à payer du consommateur pourrait croître et le CA de la chaîne avec, donc les recettes des clubs. Un autre élément a néanmoins été mis en avant par les membres de la Ligue, à la charge de la réforme de la gouvernance : la possibilité d’organiser des playoffs en fin de saison, sous la même forme que le rugby, en top 14, ou en basket, avec la NBA.
L’idée serait de ne plus désigner le champion à l’issue des 34 journées de championnat, mais d’organiser des playoffs entre les quartre à six premières équipes. Ces phases finales comprendraient des quarts, des demi-finales, puis une grande finale, afin de renforcer l’intensité compétitive et l’incertitude du résultat. En procédant ainsi, les dirigeants imaginent que cela pourrait redynamiser l’intérêt de la Ligue 1, en sortant de l’idée que le Paris Saint-Germain serait quasi assuré d’être champion et en redonnant les cartes en fin de saison. Sur un match, le favori pourrait perdre et les surprises pourraient revenir. Pourtant, il n’existe aucune certitude sur le lien entre « incertitude » et « intérêt pour le championnat ».
Dans le deuxième volume de leur livre L’Argent du football, consacré à L’Amérique du Nord (CEPREMAP, 2023), les économistes Luc Arrondel et Richard Duhautois expliquent la distinction culturelle entre le public sportif nord-américain et le public européen. Outre-Atlantique, du fait de l’organisation des ligues fermées, sans relégation, ultra concurrentielle (entre le basket, le foot US, le hockey sur glace, le baseball et le soccer), l’intensité compétitive et l’incertitude sont très élevées. Cela dans le but de soutenir l’intérêt du fan, et donc du téléspectateur, et de capter des parts de marché. On parle de « randomisation du champion » où n’importe quel supporter de n’importe quelle franchise peut, au moins une fois dans sa vie, espérer être champion, à travers des mécanismes de solidarité, de redistribution (draft et droits TV égalitaires) et d’organisation du championnat (playoffs sur plusieurs matchs).
Pas une question de suspense, mais d’attractivité
À l’inverse, le public européen est attiré non pas par le challenge et le suspense mais par la présence de son équipe favorite et par sa capacité à remporter la rencontre. Des championnats comme la Bundesliga allemande ou la Liga espagnole ont une concentration de champions très importante (la domination du Bayern Munich, du Barça et du Real Madrid) et pourtant attirent un nombre important de téléspectateurs et génèrent des droits TV très élevés. Selon Arrondel et Duhautois, « une abondante littérature empirique concernant le football professionnel en Europe montre que la relation entre équilibre compétitif et demande des supporters est loin d’être établie. La Bundesliga est par exemple le championnat qui remplit le plus ses stades en Europe mais présente la récurrence des champions la plus forte » (entre 1996 et 2022, 70% des titres ont été remportés par le seul club du Bayern Munich).
De la même manière, alors que le Paris Saint-Germain a remporté les huit derniers titres de champion de France sur dix possibles, les stades n’ont jamais été aussi remplis, avec une affluence record en 2024-2025 à 27 948 spectateurs par match en moyenne en Ligue 1. Il s’agirait, contrairement à la culture et à la philosophie nord-américaine, d’une forme de relation positive entre l’intérêt de la rencontre et probabilité que l’équipe receveuse gagne le match. Autrement dit, ce qui compterait ne serait pas le suspense et l’incertitude du résultat – regarder le match sans savoir qui va gagner – mais la certitude que le favori l’emporte. Conclusion qui viendrait remettre en cause la proposition de la ligue avec les playoffs. Elles seraient inutiles, inefficaces et ne correspondraient pas à l’esprit et à la culture européenne.
La littérature, à ce sujet (cf. L. Arrondel et R. Duhautois, « Les supporters français de football sont-ils sensibles au résultat ? », 2020), identifie quatre variables significatives et explicatives de l’intérêt des rencontres : la performance sportive (le jeu proposé), la qualité des rencontres (l’affrontement entre les adversaires), le confort de la diffusion et la tarification. Une enquête réalisée conjointement par le quotidien L’Équipe et la Paris School of Economics, avec 22 000 répondants, avait d’ailleurs montré que le suspense n’était cité que par 21% des sondés, loin derrière le beau jeu, l’ambiance ou le confort. Ca n’est donc pas sur des playoffs que la ligue devrait travailler pour développer et valoriser les droits du foot mais sur l’attractivité, la visibilité, le confort de la diffusion et, surtout, l’accessibilité via la tarification. Pour faire venir des gens devant la télévision et vendre des abonnements, il ne s’agit pas simplement d’organiser des playoffs mais surtout leur garantir une offre accessible et abordable, à moins de 20€ par mois, selon toutes les études de marché réalisées (et pas les 39€90 qu’avait proposés le diffuseur DAZN en août 2024…).
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