La stratégie spatiale de la Chine edit

5 décembre 2025

La Chine est à l’avant-garde d’un paysage mondial en pleine mutation, façonné par les technologies critiques et émergentes (CET) et par l’accélération de la commercialisation de l’espace. Dans la course au leadership dans les technologies de pointe, de l’IA et des systèmes quantiques aux véhicules autonomes et aux plateformes spatiales, la Chine a déployé une stratégie globale visant à consolider sa position de puissance spatiale dominante. Son approche combine une planification étatique à long terme, des investissements massifs dans les industries à forte intensité de connaissances, le contrôle des chaînes d’approvisionnement clés et un engagement délibéré en faveur du développement et de l’intégration des technologies émergentes dans les secteurs civil, commercial et de la défense.

La stratégie spatiale de la Chine est étroitement liée à son ambition de devenir un leader technologique mondial. Au cours de la dernière décennie, Beijing a considérablement développé ses capacités spatiales, non seulement en entrant dans la « course à l’espace », désormais multinationale, mais aussi en la remodelant.

Dans le passé, les États-Unis et l’ancienne Union soviétique étaient seuls en lice au-delà de l’atmosphère terrestre. Aujourd’hui, les acteurs sont beaucoup plus nombreux, et les investissements privés et publics ainsi que les partenariats se sont multipliés. Les agences spatiales se comptent par dizaines et les programmes spatiaux sont désormais très répandus. Les États-Unis, la Chine, le Japon, la Russie et la France représentent la majeure partie des dépenses publiques mondiales consacrées aux programmes spatiaux, suivis par l’Union européenne. De plus en plus de nouveaux venus, tels que l’Arabie saoudite, développent activement des stratégies spatiales nationales et s’engagent à investir des milliards.

Néanmoins, il ne fait aucun doute que la Chine s’est démarquée parmi les nombreux pays qui considèrent désormais l’espace comme un terrain de compétition géopolitique et une nouvelle frontière d’opportunités scientifiques, industrielles, sociales et économiques. Les récentes avancées de la Chine soulignent cette ambition. En 2021, peu après l’atterrissage du rover Perseverance de la NASA sur Mars, la Chine a réussi à poser son propre rover Zhurong sur la planète rouge.

Cette réussite était plus que symbolique. Elle a démontré la maîtrise croissante de la Chine dans les missions spatiales hautement complexes et à haut risque, ainsi que sa capacité à intégrer des systèmes avancés de robotique, de détection, d’intelligence artificielle et de fabrication, technologies essentielles dans le paysage des CET. Les données recueillies par Zhurong, notamment les nouveaux éléments suggérant l’existence d’anciennes plages sur Mars, renforcent les aspirations de la Chine non seulement à explorer, mais aussi à contribuer à façonner les futurs environnements extraterrestres.

Pour la Chine, Mars est un terrain d’essai pour des ambitions plus larges, notamment l’exploration de l’espace lointain, la science planétaire et l’accès futur aux ressources. Fin 2022, la Chine a achevé la construction de la station spatiale Tiangong, qui lui offre un banc d’essai essentiel pour les technologies nécessaires aux futures explorations spatiales et pour mieux comprendre les effets à long terme des vols spatiaux sur les êtres humains.

Ces réalisations sont indissociables de l’écosystème CET national. La Chine a développé une main-d’œuvre nombreuse et hautement qualifiée qui lui permet de mener à bien des programmes technologiques complexes à grande échelle. Plus de 40% des diplômés universitaires chinois obtiennent un diplôme en STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques), dépassant de loin les proportions observées aux États-Unis, en Europe et au Japon. De plus, les étudiants chinois à l’étranger manifestent désormais un intérêt accru pour les études STEM, en plus de leurs préférences déjà établies pour les cours de commerce et de droit.

Il est important de noter qu’en août 2025, le ministère de l’Éducation a également publié un plan d’action triennal visant à « ajuster et optimiser » les programmes universitaires afin de mieux les aligner sur les besoins en compétences de haut niveau des industries stratégiques chinoises et sur les objectifs de développement national.

Les sciences fondamentales et les domaines tels que l’IA, la biotechnologie et les circuits intégrés bénéficieront de ressources supplémentaires, tandis que les « filières en surcapacité » seront réorganisées. Tout cela sera facilité par le développement d’une plateforme nationale de mégadonnées permettant de suivre l’offre et la demande dans les programmes universitaires. La Chine abrite également la moitié des 20 premières villes scientifiques mondiales, ce qui illustre à la fois la profondeur géographique et la concentration de ses capacités de recherche.

Le rapport Dongbi Index publié en début d’année montre qu’il y a désormais plus de « talents scientifiques et technologiques de haut niveau » en Chine qu’aux États-Unis. Cette tendance devrait s’accentuer en raison de l’exode croissant des talents scientifiques de haut niveau hors des États-Unis, alors que la réduction des financements, les pressions politiques accrues et l’incertitude grandissante pour les chercheurs s’intensifient sous l’administration Trump.

Ce moteur scientifique et technologique constitue le pilier intellectuel de la stratégie spatiale de la Chine, ainsi que de ses efforts dans les domaines de l’IA, des biotechnologies, de la technologie quantique, des matériaux avancés et de l’énergie verte. Les avantages de la Chine en matière de fabrication et de ressources renforcent encore ce positionnement stratégique. Le pays domine largement la production mondiale et la chaîne d’approvisionnement des éléments de terres rares, des matériaux essentiels pour les capteurs avancés, les aimants, les batteries, le matériel informatique et les systèmes de défense. Cette domination confère à la Chine un puissant levier dans le développement des technologies spatiales, des systèmes de guidage aux composants satellitaires en passant par la robotique autonome. Cette base complète les stratégies nationales à long terme de la Chine, notamment le plan historique « Made in China 2025 », qui donne la priorité aux secteurs manufacturiers de haute technologie essentiels à l’innovation terrestre et extra-terrestre.

Le soutien de la Chine aux technologies spatiales va au-delà de programmes de financement isolés pour englober un cadre politique intégré. Par exemple, au début de cette année, la Chine a publié un plan d’action mondial pour l’intelligence artificielle, destiné non seulement à intégrer l’IA dans les industries nationales, mais aussi à exporter le soutien basé sur l’IA vers les économies moins développées. Cela s’inscrit dans la stratégie plus large de la Chine qui consiste à se positionner à la fois comme un leader technologique et un partenaire mondial, une double approche qui renforce son influence internationale dans l’économie spatiale en plein essor. L’IA devenant de plus en plus essentielle pour la navigation spatiale, la robotique autonome, les réseaux satellitaires et la surveillance des débris, la stratégie chinoise en matière d’IA fait également office de stratégie spatiale.

La dernière décennie a également vu l’essor des entreprises de « deep tech » à l’échelle internationale. Ces entités, souvent des start-ups, repoussent les limites de la science et de l’ingénierie afin d’apporter des solutions novatrices et évolutives aux grands défis dans des domaines tels que l’énergie, l’alimentation, l’espace et la santé. L’essor des entreprises de deep tech en Chine a encore renforcé sa capacité à rivaliser dans le domaine de l’innovation spatiale. Ces entreprises, dans des domaines tels que l’informatique quantique, la biotechnologie, l’aérospatiale et les matériaux avancés, bénéficient d’un soutien important de l’État. Conformément à sa stratégie d’innovation, la Chine a créé un fonds de 138 milliards de dollars soutenu par le gouvernement afin d’accélérer les percées dans ce que le président Xi Jinping a qualifié en 2020 d’« industries du futur », notamment la technologie spatiale.

Les start-ups chinoises, soutenues par cet environnement politique, concentrent leurs investissements sur les technologies de pointe et les avancées industrielles qui complètent les objectifs nationaux en matière d’aérospatiale. Les investissements publics de la Chine dans la R&D sont également remarquables. Le taux d’investissement du pays est environ deux fois supérieur à celui des États-Unis après ajustement des coûts (la R&D est moins coûteuse en Chine) et, en 2015, la Chine dépassait déjà les États-Unis d’environ 90% en termes de brevets. Ces investissements soutenus sont gages de fiabilité, un élément essentiel pour les programmes spatiaux qui nécessitent une continuité sur plusieurs décennies, d’importantes réserves de capitaux et une tolérance à l’expérimentation et à l’échec. La Chine a stratégiquement intégré ses ambitions spatiales dans le contexte mondial de l’économie spatiale émergente. Alors que l’espace devient central pour les découvertes scientifiques, la sécurité nationale et les opportunités commerciales, les pays du monde entier lancent des programmes spatiaux nationaux, élaborent des stratégies industrielles et forgent de nouveaux partenariats entre les organismes publics et les entreprises privées.

L’économie spatiale mondiale devrait atteindre 1800 milliards de dollars d’ici 2035, alimentée par les services satellitaires, la fabrication spatiale, les innovations énergétiques, le tourisme et les industries en orbite basse. La Chine est profondément intégrée dans cette dynamique et est en concurrence directe avec d’autres puissances spatiales, en particulier les États-Unis, dans des domaines tels que les constellations de satellites, la robotique et les technologies de plateformes basées sur l’intelligence artificielle.

L’empreinte croissante de la Chine dans l’espace est également liée au défi de plus en plus complexe des débris spatiaux. Bien que les États-Unis, la Russie et la Chine génèrent collectivement la majorité des débris orbitaux, la responsabilité réglementaire en matière d’atténuation reste floue. Cela contribue à accroître les risques pour les satellites et les missions dans le monde entier.

Pour la Chine, la question des débris spatiaux est à la fois une vulnérabilité et une variable stratégique : les débris peuvent mettre en péril ses propres infrastructures spatiales, mais l’ambiguïté réglementaire crée également un terrain sur lequel les grandes puissances cherchent à façonner des normes mondiales conformes à leurs intérêts nationaux. Dans l’ensemble, la stratégie de la Chine reflète la compréhension que les technologies de communication et de transport et les technologies spatiales sont indissociables, et que le leadership dans un domaine renforce le leadership dans l’autre.

Les technologies émergentes telles que l’IA, les systèmes quantiques, la robotique autonome et les matériaux avancés sont essentielles pour lancer, naviguer et entretenir des engins spatiaux, pour collecter et analyser de vastes quantités de données provenant de missions planétaires, et pour construire les infrastructures nécessaires à l’exploration ou à l’extraction de ressources hors de la planète. L’intégration de ces technologies dans une stratégie holistique confère clairement à la Chine un avantage concurrentiel distinct dans la course à l’espace.

L’Europe n’est pas en reste. En juin 2025, la Commission européenne a publié son Acte spatial européen et sa stratégie industrielle spatiale, avec l’ambition explicite de jouer un rôle de premier plan dans l’économie spatiale en pleine croissance. La proposition de l’UE relative à la boussole de la compétitivité prévoit la création d’un Fonds européen pour la compétitivité qui investira dans des technologies stratégiques telles que l’IA, l’informatique quantique, la robotique et les semi-conducteurs, et qui ciblera la défense et l’espace comme l’un des quatre domaines prioritaires. Fin novembre, les États membres de l’UE ont également accepté la demande de l’ESA d’augmenter les dépenses spatiales d’environ 30 % au cours des trois prochaines années.

La France est depuis longtemps un leader de l’économie spatiale européenne, avec des investissements publics importants et une base industrielle représentant plus de la moitié du secteur spatial européen. Cependant, le président Macron a récemment reconnu qu’il était impératif de reconnaître que « l’espace n’est plus un sanctuaire, il est devenu un champ de bataille » et que la France devait défendre sa souveraineté en matière d’accès à l’espace. Lors du lancement de la Stratégie spatiale nationale 2025-2040 à la mi-novembre, Emmanuel Macron a souligné l’importance de la collaboration avec les partenaires européens, du développement ciblé des talents et de la capacité à fournir des technologies essentielles pour soutenir les priorités tant civiles que militaires dans le domaine spatial, deux domaines qui devraient bénéficier d’une augmentation significative des dépenses.

À peine deux semaines plus tard, l’Agence spatiale chinoise (CNSA) annonçait la création d’un département dédié à l’aérospatiale commerciale afin de superviser le secteur spatial commercial chinois en pleine expansion, qui compte plus de 600 entités. Cette initiative est directement liée au plan d’action pour la promotion d’un développement sûr et de haute qualité de l’espace commercial (2025-2027), qui vise à élargir l’écosystème spatial commercial et à l’intégrer directement dans la stratégie spatiale nationale chinoise. À l’instar de la France, la Chine considère également les partenariats comme importants. Début 2025, la CSNA a fait part de son ouverture à l’approfondissement des collaborations internationales afin de poursuivre l’exploration spatiale, de promouvoir le partage des ressources et d’élargir les connaissances au profit de l’humanité. Plusieurs institutions internationales, notamment françaises, japonaises, pakistanaises et américaines, ont depuis collaboré sur les échantillons lunaires collectés par la mission chinoise Chang’e-5 en 2020.

En matière d’élaboration, de financement et de mise en œuvre de politiques stratégiques et coordonnées pour les CET et l’espace, la Chine a déjà surpassé de nombreux concurrents. En effet, la question n’est pas tant de savoir si les autres nations qui ont des ambitions dans le domaine de l’économie spatiale peuvent réellement rattraper la Chine, mais plutôt si elles sont même des concurrents dans la même course. Et en tant que l’une des plus anciennes civilisations continues au monde, avec une histoire écrite remontant à plus de 3500 ans, à la dynastie Shang, il est évident que la Chine sait clairement comment jouer le long terme.