Baisser la TVA sur la restauration, une bien mauvaise idée edit

20 décembre 2005

Les restaurateurs remettent le couvert à propos de la baisse à 5,5% de la TVA sur la restauration. Développer l'emploi constitue, nous dit-on, la raison première de l'instauration d'une telle mesure. Monsieur Daguin, le président de l'Union des métiers de l'industrie hôtelière, en promet 40 000, qui sont à rapporter au coût brut de cette mesure pour les finances publiques : environ 3 milliards d'euros. Ainsi chaque emploi créé coûterait la bagatelle de 70 000 euros ! La belle affaire ! Les hypothèses qui étayent cette estimation sont plus qu'optimistes.

Plaçons-nous dans le cas le plus favorable pour l'emploi, celui où les forces de la concurrence s'exercent dans les nombreuses villes où le nombre de restaurants est important. Il faut s'attendre à une réduction appréciable du prix acquitté par le consommateur qui devrait être plus prononcée à long terme, lorsque tous les investissements nécessaires pour satisfaire le surcroît de demande auront été opérés. En admettant que les rendements d'échelle soient constants, ce qui est assez réaliste pour ce type d'activité, on peut même imaginer que, dans un horizon de 5 ans, la baisse soit intégralement répercutée sur le consommateur. Sous cette hypothèse, le prix TTC baisserait de près de 12%. Les estimations dont on dispose sur les variations des prix de la demande de repas au restaurant nous indiquent des valeurs assez faibles de l'ordre, dans le meilleur des cas, de -0,6. Dans ces conditions, la baisse de 12% des prix entraînerait une augmentation du nombre de repas consommés au restaurant de l'ordre de 7%. L'emploi dans le secteur augmenterait dans la même proportion, d'où une création de 33 000 emplois. Nous nous sommes placés dans le scénario le plus optimiste possible, celui où la baisse des prix est intégralement répercutée.

Si les restaurateurs s'entendent pour laisser les prix inchangés, la demande de restauration et donc l'emploi n'ont pas de raison d'augmenter à court terme, dans le secteur de la restauration s'entend. A long terme, le résultat en terme d'emploi devrait cependant être positif, mais le nombre d'emplois créés serait de toute façon inférieur à celui du scénario optimiste. La promesse de Monsieur Daguin paraît donc difficile à tenir, mais en tout état de cause, le bilan coûts-bénéfices en terme d'emplois est franchement médiocre.

Le contexte conjoncturel et structurel de nos finances publiques rend cette mesure particulièrement inopportune. La France a toutes les peines du monde à rester dans les clous des 3% et la dette dépasse les 66% du PIB. Dans ces conditions, il faut se demander quels sont les impôts qui doivent être mobilisés pour financer ce déficit et le remboursement de la dette, de manière à handicaper le moins possible notre croissance et notre compétitivité. Le raisonnement économique nous enseigne que ce sont les biens ou les facteurs de production les moins mobiles qui devraient supporter cette surcharge fiscale, à moins que ne s'y opposent des arguments de justice sociale ou de sous-emploi manifeste. A cet égard, la restauration offre l'exemple, comme un grand nombre d'activités de services aux particuliers, d'un secteur que l'on peut qualifier d'immobile. Le restaurateur qui entend servir le client français ne va pas aller s'installer en Angleterre ! De plus, la relative inélasticité de la demande au prix et le sous-emploi modéré dans ce secteur pointent dans la même direction. L'équité fiscale joue aussi contre cette mesure. Ce sont les classes aisées et urbaines qui sortent au restaurant, le 10e décile de revenus y dépense cinq fois plus que le premier décile. Ajoutons que nos restaurants accueillent une importante clientèle étrangère qui contribue ainsi au remboursement de la dette publique. Se priver de cette générosité si simplement consentie en payant une addition est tout simplement inepte. Nos impôts et contributions obligatoires sont objectivement lourds. Si une partie en est acquittée de bonne grâce par la clientèle étrangère, c'est autant de gagné pour le contribuable français.

Heureusement que nous avons besoin de l'accord de nos partenaires européens pour adopter cette mesure. L'Allemagne y est opposée. Tant mieux, c'est la meilleure nouvelle possible pour la France.

Cet article a été repris par le quotidien Libération.