L’avenir de l’Europe se joue en Ukraine edit
Dans L’avenir se joue à Kyiv, sous-titré Leçons ukrainiennes, l’historien allemand Karl Schlögel, que nous avions rencontré lors sa présentation le 15 mars dernier à l’Ehess, rend compte d’aspects plus profonds sinon inédits de l’histoire ukrainienne au regard des combats en cours. Comme si d’un coup à la lumière d’une actualité tragique, l’Ukraine sortait enfin de l’ombre, dévoilant un pays pluriel avec ses Allemands, Arméniens, Hongrois, juifs, Lituaniens, Moldaves, Russes, Tatars… qui ont dans l’histoire animé une société multiculturelle. D’où une insistance sur les lieux, et sur la géographie. « Ma démarche se présente littéralement comme une marche, une exploration spatiale, une pérégrination d’un lieu à un autre. Ce dispositif n’est pas la simple application du principe méthodologique que je me suis fixé depuis des années déjà, à savoir raconter des lieux en suivant les lieux : c’est dans l’espace que nous lisons le temps. C’est la manière la plus à même de faire voir et de faire sentir la pluralité et l’hétérogénéité de l’Ukraine, cette Europe en miniature. Les portraits des villes sont comme les pierres de cette grande mosaïque qu’est l’Ukraine. »
Celle-ci, depuis l’invasion russe de 2022, a suscité de multiples ouvrages de circonstances alors que L’avenir se joue à Kyiv propose au contraire un parcours en profondeur autour d’enjeux de taille, décrivant une terre occupée au cours des siècles, puis martyrisée au XXe siècle, prise en étau entre les totalitarismes nazi et communiste.
Une perspective allemande
Historien à l’université de Francfort-sur-l’Oder près de Berlin, Karl Schlögel est l’auteur de très nombreux ouvrages qui font autorité sur l’URSS et le monde post-soviétique, dont un Moscou 1937 traduit en anglais à Polity Press/Cambridge (2012) et Le Berlin russe (2007) paru aux éditions de la Maison des Sciences de l’Homme en 2014. Son dernier ouvrage, L’avenir se joue à Kyiv : leçons ukrainiennes, fut publié déjà il y a près de dix ans en 2015 en Allemagne après l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass. D’une lecture agréable, jamais jargonnant, ce livre qui conjugue un récit historique avec plusieurs voyages en Ukraine, a été publié seulement en 2024 en France bien que considéré comme un des livres importants outre-Rhin de ces dernières années. Réactualisé pour les besoins de l’édition française, l’ouvrage nous donne à comprendre des situations à la fois nouvelles et bien plus complexes depuis l’invasion russe de 2022. Comme le rappelle cette recherche, l’espace ukrainien revendiqué par Poutine jusqu’à vouloir le détruire, fut toujours clivé entre la nation russe et son empire, rendant complexe la configuration de frontières autour d’un État-nation ukrainien à la fois pluriel et vulnérable.
Articulé en une vingtaine de chapitres, fondé à la fois sur des recherches passées mais aussi des articles très récents, le livre remet en perspective l’invasion russe de 2022 vécue comme inattendue par nombre d’experts pour en mesurer les conséquences sur l’Ukraine mais aussi sur l’Europe. Le passé est revu à la lumière du présent. Karl Schlögel souligne à la fois l’aveuglement des chancelleries européennes face aux déterminations criminelles de Poutine, envahissant au mépris du droit international un pays souverain mais critique par ailleurs les tergiversations actuelles du chancelier allemand dans son soutien jugé trop modéré à l’Ukraine. Karl Schlögel revisite les incapacités de l’Europe à avoir su accompagner les transitions post-soviétiques, génératrices de nombreuses guerres dans l’ex-Empire soviétique et n’avoir pu éviter les naufrages actuels. Mais l’historien, fils lui-même d’un soldat envoyé sur le front de l’Est au moment de la Seconde Guerre mondiale, nous renvoie à une perspective allemande pour nous aider à décrypter les événements actuels et comprendre toutes les imbrications sous fond d’une culpabilité allemande vis-à-vis de son voisin russe.
L’ouvrage permet de bien comprendre les tenants et aboutissements de cette relation URSS-Allemagne au moment de la guerre froide puis Allemagne-Russie qui fut si particulière au sein de l’Union Européenne. Comme le souligne justement dans sa préface son traducteur Thomas Serrier, lui-même historien de l’Allemagne à l’Université de Lille, tout au long d’une histoire marquée des suites de la Seconde guerre mondiale l’URSS était assimilée avant tout à la Russie, écartant les républiques périphériques. Poutine instrumentalise et invoque ce prisme russe constamment dans ses discours patriotiques actuels contre l’Allemagne, rappelant son passé nazi et la guerre. Des discours qui ont définitivement soldé son allocution en allemand au Reichstag du 25 septembre 2001, un an après son intronisation comme Président de la Fédération de Russie, alors qu’il avait été ovationné à Berlin pour son esprit d’ouverture envers l’Europe dix ans après la chute du mur et l’effondrement de l’URSS. En arrière-plan, comme le démontra la suite des événements, la primauté de la Russie resta sa priorité, cultivant la nostalgie d’un Empire russe à reconstituer autour d’un monde slave centré sur son noyau mythique, la Russie Kiévienne. De fait « cette priorité au germano-russe a eu pour corollaire la rétrogradation des autres peuples, nations et États de la région (Pologne, pays baltes, Ukraine, Biélorussie…) au rang de subalternes. » rajoute son traducteur évoquant cette concurrence induite autour de toutes les victimes périphériques des récentes guerres russes (Tchétchènes, Géorgiens, Ukrainiens…) et laissées pour compte. Au travers des méthodes de gouvernance du Kremlin, Karl Schlögel pointe ici les continuités entre l’URSS d’hier et la Russie d’aujourd’hui, alors que la guerre en Ukraine plus proche cette fois de l’Europe a généré une autre prise de conscience face à la Russie.
Une histoire urbaine
De fait l’Ukraine apparait ici comme un objet d’étude particulier car en décrivant aussi l’Ukraine de ces dernières années, l’historien Karl Schlögel explique assez longuement la prédominance de ce prisme russe en Europe occultant surtout après 1945, guerre froide oblige, d’autres types d’analyses permettant de rendre compte de la diversité culturelle de l’Ukraine[1]. Ses propos mettent en perspective l’histoire des principales villes ukrainiennes, celles qui aujourd’hui font l’objet de l’actualité autour de bombardements quotidiens et d’exactions massives de l’armée russe. Son savoir n’est pas uniquement livresque ou fondé sur une expérience passée de l’URSS, puisqu’il s’appuie sur plusieurs voyages et enquêtes de terrains menés d’abord en 2014-2015 puis ensuite avant l’invasion russe. Ici l’historien met en avant l’histoire urbaine d’une société ukrainienne qui fut essentiellement rurale. Mais une Ukraine diversifiée, sinon très partagée culturellement entre l’Ouest, le centre et l’Est aux frontières d’une Russie hégémonique. L’historien privilégie l’histoire des villes et le processus d’urbanisation d’une société ukrainienne enracinée dans un monde rural, souvent qualifié de grenier à blé de l’Europe.
Au XIXe on appartenait à une région, une ville sinon à un shtetl qu’à un pays qui, au fond, était occupé. Anton Tchékhov, lui-même d’origine ukrainienne de par sa mère, décrit en contrepied du monde russe cet univers paysan, où toute référence à l’Ukraine est alors interdite : « Hormis la nature, rien ne me frappe plus en Ukraine, que le contentement général, la santé populaire, le haut niveau de développement du moujik d’ici qui est tout à la fois intelligent, religieux, musicien, sobre, moral, toujours joyeux et rassasié. Pas question du moindre antagonisme entre paysans et hobereaux.[2] » Mais cette réflexion sur l’espace slave s’inscrit autour des principales villes d’Ukraine : Kyiv, Odesa, Kharkiv, Dnipro, Donetsk, Chernivtsi, Lviv, Marioupol. Ces villes palimpsestes se révèlent toutes très différentes au croisement de l’ère des Empires des Habsbourg et tsariste puis des révolutions qui vont les bouleverser. Il consacre à chacune un portrait circonstancié les plongeant dans l’histoire longue pour en montrer les traits les plus saillants. Cette approche permet de décliner un cadrage assez global de l’histoire de ses villes ukrainiennes avec des analyses plus ancrées dans le local, au carrefour d’interactions respectives avec l’histoire russe puis soviétique.
Cette histoire culturelle de grande ampleur se dévoile alors sur fond d’une violence de masse qui a traversé toutes les strates de la société ukrainienne. Ces interactions et ces conflits, suscitant répressions de masses comme modalités de résistances dans ces différentes villes, nourrissent un récit historique dense et riche de détails. Par exemple, des questions vastes sur la fonction du religieux, comme le schisme catholico/orthodoxe, peuvent être abordées avec des éclairages plus circonstanciées sur la vie d’une synagogue ou d’une communauté juive dans telle ou telle ville de l’Ukraine.
Ces traits dominants des violences de masse, répertoriées en grande partie à l’époque soviétique, marquèrent durablement l’architecture respective de ces villes ukrainiennes. Les destructions participent d’une nouvelle mémoire de ces villes, comme notamment son chapitre consacré au « Retour à Babyn Yar : lieu de mémoire européen ». Ici un quartier à la périphérie de Kyiv témoigne des massacres nazis, les 29 et 30 septembre 1941, de plus de 33 000 juifs, enfouis dans un ravin puis oubliés dans la planification et reconstruction soviétique du quartier d’après-guerre, pour réapparaitre successivement en 1961 lors d’une inondation puis en 1976 avec un monument sur l’héroïsme, loin du lieu des massacres retracés ultérieurement à l’indépendance lors d’expositions et de commémorations. En mars 2022, des bombardements russes eurent lieu à proximité du Mémorial.
L’histoire des traces se retrouve conjuguée avec celle d’une histoire plus locale de ces villes ukrainiennes. Elles rappellent le travail critique du réalisateur ukrainien Serge Loznitsa, résidant en Allemagne, qui dans ces derniers films documentaires, notamment Babi Yar contexte (2021) reconstituait ce contexte de l’occupation allemande et ses massacres ; un travail poursuivi dans Le Procès de Kiev (2022) à partir d’archives de l’époque rarement visibles jusqu’ici sur tous ces crimes de guerre commis en Ukraine. Toute une série de films récents qui font écho au travail de l’historien.
De l’ukrainité
La marque du système soviétique reste donc essentielle pour comprendre l’Ukraine et ses évolutions successives. Les villes ukrainiennes ici présentées ont été à des degrés divers successivement russifiées pendant l’Empire, pour une bonne partie d’entre elles, puis, pour toutes, soviétisées au moment des planifications staliniennes et l’industrialisation soviétique. Mais le livre nous interpelle sur la question de l’ukrainité et les conditions de sa survie au cours des siècles. Celle-ci semble pouvoir enfin exister au XXe siècle que sur des périodes très courtes d’une Ukraine indépendante, de la fin de la première guerre mondiale à la révolution au cours d’une brève indépendance chaotique (1918-1920) écrasée au final par les bolcheviks. La révolution soviétique, en interrompant son indépendance et en liquidant ses élites, puis les collectivisations forcées pendant le stalinisme jusqu’aux grandes famines de 1931-1933 (Holodomor), ont détruit un tissu rural original, sans oublier par la suite les déportations massives au Goulag et la terreur de 1937[3]. Ces traumatismes ont marqué les mémoires des générations ukrainiennes. Puis les conséquences du pacte Germano-Soviétique du 23 août 1939 suivi de l’invasion et partage de la Pologne, de l’occupation par l’Allemagne nazie de l’Ukraine aux exactions massives et à la Shoah par balles, puis la soit-disant libération par les troupes soviétiques venant régler en 1943 leurs comptes aux milliers d’Ukrainiens supposés avoir collaboré avec les Allemands, ont parachevé l’éradication d’une ukrainité qui se cherchait ou restait interdite[4].
L’Ukraine apparaît en filigrane dans cette histoire de passages tragiques et dominations interminables, tant du côté polonais que russe. À la différence de la Russie, devenue une puissance coloniale, l’Ukraine ne s’est jamais constituée comme puissance étatique. Ne s’agirait-il alors pas de prendre en compte la dimension asymétrique de cet espace slave russisé, qui dans l’histoire partagea un territoire commun et le brassage de populations diversifiées ? Cet espace (Biélorussie, Russie, Ukraine) fondé sur un autre mythe poutinien pour justifier sa guerre, celui de retrouver la Russie Kievienne (IX/XIIe siècle) ne représentait qu’un agrégat de duchés féodaux et rivaux qui se désagrégea très vite avec les différentes invasions mongoles. La question de l’ukrainité, au-delà de la seule question des nationalismes aujourd’hui, permet de s’interroger sur les fondements et les continuités/discontinuités d’une véritable histoire nationale, compliquée à réécrire. D’autant plus comme le montre bien Karl Schlögel, ce sentiment d’appartenir à l’Ukraine renvoie à des appartenances culturelles toutes plurielles sans référence à un nationalisme particulier. Même si l’ukrainisation interdite et réprimée des années 1920 n’a jamais été finalement oubliée malgré l’ampleur des successives répressions soviétiques puis l’occupation nazie, pour aujourd’hui revenir en force.
On peut se demander si en mettant l’accent essentiellement sur les villes, l’auteur ne tend pas non plus à sous-estimer plutôt la force de cette ukrainité dans les campagnes qui furent toujours des terres de résistance culturelle, notamment linguistique, au détriment des centres urbains bien plus multiculturels.
De fait, cette Ukraine multiculturelle, devenue indépendante après 1991, a participé comme d’autres républiques de l’éclatement de l’URSS pour reconstruire peu à peu une société civile comme en témoignèrent les événements de Maidan qui donnèrent lieu à des élections démocratiques et le souhait d’intégrer l’Europe. De ce point de vue, l’Ukraine, après la Géorgie, était allée sans doute beaucoup trop loin pour le Kremlin, comme elle s’efforçait de retrouver une identité propre et de reconstruire une ukrainité resurgissant d’un contexte post-soviétique très chaotique. Un sentiment très profond dans les jeunes générations d’Ukrainiens comme de Géorgiens, ayant vécu des guerres de proximité, s’est peu à peu développé, une aspiration à renforcer leur identité au travers de leurs langues respectives et un rejet de la Russie et aujourd’hui du russe comme la langue d’une puissance occupante, pour aujourd’hui vouloir espérer dans l’Europe.
Une posture éthique
L’ouvrage ne se limite donc pas à une seule grille d’analyse pour décrypter différentes villes ukrainiennes ou leur tissu urbain. La grande force de l’ouvrage est autant de conjuguer la courte et la longue durée autour de ses objets, que de déployer la rigueur scientifique de l’historien avec une posture éthique de chercheur. Le point de vue de l’historien proche de l’association Mémorial, bannie en Russie, se fondant dans cet esprit sur des faits intangibles, prend évidemment à contrepied les thèses de la propagande russe actuelle sur la nazification de l’Ukraine[5]. Il réfute tous ses mythes, notamment celui d’un antisémitisme général en Ukraine, consacrant de nombreuses pages à la dimension inégalable sinon essentielle de cette culture juive éradiquée peu à peu à l’Est de l’Europe. Bien au contraire, une grande partie de la société ukrainienne apparaît sous l’angle d’une société martyrisée tout au long de ses implications au totalitarisme nazi puis communiste.
Au fil du texte, un effet de contraste se dessine entre cette société plurielle, s’appuyant sur son histoire pour tenter la démocratie, et l’évolution de la Russie voisine. Ici le constat de l’historien devient implacable. Comme d’autres spécialistes du champ, l’auteur montre au final comment un poutinisme de guerres échelonnées sur quinze années a réussi à promouvoir un modèle d’économie industrielle reproduisant et décuplant le modèle militariste et soviétique d’antan. L’Occident si honni par Poutine n’y a prêté que peu d’attention au regard des nombreuses inquiétudes qui prévalaient à la chute de l’URSS en 1991 sur l’avenir de ce complexe militaro-industriel et ses prétendues velléités de reconversion, appuyées à l’époque pourtant par des programmes européens d’aide à cette reconversion. Au contraire, malgré l’avènement dans une grande partie de l’espace post-soviétique d’une nouvelle classe moyenne, avide de nouvelles formes de consommation, le régime poutinien a peu à peu développé sa propre conception d’un capitalisme au service d’une oligarchie dans l’ombre d’un Etat-nation renforcé mais sans réelles préoccupations pour la démocratie.
Karl Schlögel avance un constat sévère sur le bilan de ces années Poutine. Il souligne comment cette soit-disante modernisation poursuivant au départ l’ouverture de l’économie russe initiée par Eltsine s’est incarnée dans un modèle d’économie corporatiste hiérarchisé et militaire pour finalement dériver vers un système fermé, autoritaire, tourné sur la corruption généralisée. Sur le fond et bien que bénéficiant de toutes une série de complicités de certains dirigeants européens majoritairement aveugles ou impuissants (comme Sarkozy lors des négociations de la seconde guerre de Géorgie en 2008) ou cyniques (comme l’ex-chancelier Schroeder au service en 2006 de Gazprom puis de Rosneft après 2017), Poutine n’a pas été capable de moderniser l’Etat russe. L’annexion illégale de la Crimée en 2014, puis l’explosion du vol de la Malaysian Airlines touché par un missile russe en juillet 2014 au-dessus de Donetsk suivi de l’instrumentalisation du Dombass par des milices pro-russes ont été les signes avant-coureurs d’une déflagration générale. Dans un docu-fiction remarquable, Donbass (2018), Serge Loznitsa montra bien l’avènement de ces pouvoirs régionaux fantoches qui sur fond de gangstérisme sévissent dans toute cette zone russophone de l’Ukraine. La réalité a dépassé la fiction et tous ces signes patents n’ont été finalement que les prémisses d’une invasion russe massive en 2022 qui sous couvert d’opération spéciale n’a fait que s’enliser dans un nouveau poutinisme de guerre, comme en témoigne encore le dernier film de Loznitsa, L’Invasion (2024) montré récemment à Cannes.
L’Ukraine, présent et avenir de l’Europe ?
L’Ukraine, forte de ses expériences du passé, souhaite aujourd’hui asseoir des valeurs démocratiques tout en reconstruisant son identité autour de sa langue face à un voisin russe agressif et hégémonique. En conclusion Karl Schlögel propose un petit précis pour ordonner ses idées face au désordre du monde, devant ce poutinisme de guerre fonctionnant comme modèle impérial repoussoir, à la foi autocratique et autoritaire. Maidan marqua en février 2014 une véritable rupture générationnelle dans le souhait de reconstruire une société ukrainienne, économiquement et moralement gangrénée par la corruption de ses propres oligarques, mais désormais tournée après l’élection de Zelensky en 2019 sur des valeurs démocratiques proches de l’Europe. D’où le plaidoyer de Karl Schlögel pour qui si l’avenir se joue à Kyiv, il se jouera effectivement aussi en Europe. Au présent bien que faute d’avenir à court-terme, bombardés au quotidien, les 40 millions d’Ukrainiens dont encore environ 6 millions réfugiés en Europe, ressoudés dans leur grande majorité face à l’envahisseur russe, font eux preuve depuis déjà dix ans d’une résistance à toute épreuve pour préserver cette identité. Il s’agit de sortir maintenant de l’impasse dans laquelle Poutine a précipité l’Ukraine. Mais à quel prix, l’Ukraine en partie détruite pourra-t-elle retrouver une véritable autonomie dans un proche futur ?
Karl Schlögel, L’Avenir se joue à Kyiv. Leçons ukrainiennes, Paris, Gallimard, coll. « La Suite des temps », 2024. Traduit de l’allemand par Thomas Serrier.
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[1] Karl Schlögel fait notamment référence aux ouvrages de l’historien suisse Andreas Kappeler parmi lesquels Petite Histoire de l’Ukraine, Paris, Institut d’Etudes Slaves, préface de Daniel Beauvois, traduit en français par Guy Imart en 1997.
[2] Extraits de Lettre à Leikine, 21 juin 1888 p. 134, in Anton Tchekhov, Vivre de mes rêves. Lettres d’une vie, traduites et annotées par Nadine Dubourvieux, Paris, Robert Laffont, 2016.
[3] Plus de quatre millions de paysans ukrainiens périrent entre 1931-1933 lors de l’Holodomor, voir Nicolas Werth, Les Grandes Famines soviétiques, Paris, PUF, 2020.
[4] Timothy Snyder, Bloodlands: Europe between Hitler and Stalin, New-York, Basic Books, 2010.
[5] Voir Bernard Chappedelaine, « Victimisation et agression : le cas russe », Telos, 27 mai 2024.