Les enjeux de l’élection de Léon XIV edit

28 mai 2025

La réunion du conclave à la suite du décès du pape François, suivie de l’élection du nouveau pape Robert Francis Prévost qui a adopté le nom de Léon XIV, a constitué un évènement qui a retenu l’attention de monde entier, bien au-delà des 1400 millions de membres de la communauté catholique. Il est vrai que le vote des cardinaux a non seulement une signification religieuse pour une Eglise qui s’interroge sur sa place au sein des sociétés diverses et souvent antagonistes mais a aussi de vastes conséquences géopolitiques. Léon XIV est désormais un acteur important qui doit définir sa place et son rôle face aux empires américain, russe et chinois et aux puissances naissantes du Sud.

Une Eglise en mutation

L’Eglise elle-même est le reflet d’importantes mutations démographiques et politiques. En un demi-siècle, sa composition a profondément changé. L’Europe autrefois dominante a perdu sa suprématie en raison d’une baisse spectaculaire du nombre de fidèles. En France, à peine 3% de la population assiste régulièrement à la messe et on constate des chiffres comparables dans les pays voisins. Même la Pologne, qui reste le pays le plus catholique d’Europe, subit un déclin marqué de la pratique religieuse. En revanche, en Afrique subsaharienne le nombre de fidèles a progressé très fortement ce qui donne un poids considérable aux Eglises africaines qui représentent aujourd’hui 20% des catholiques, au même niveau que l’Europe. Il en va de même en Asie en raison notamment de l’essor démographique des Philippines. 11% des catholiques sont originaires d’Asie.

 Le tableau est plus nuancé dans les Amériques. Aux Etats-Unis, la communauté catholique représente environ 20% de la population soit 70 millions de fidèles en majorité latinos et dispose d’importantes ressources financières. En Amérique du Sud, la progression des cultes évangélistes a remis en cause le monopole de l’Eglise. Ainsi, le pays le plus peuplé du subcontinent, le Brésil, a vu la part des croyants catholiques passer de 95% en 1960 à 50% aujourd’hui ce qui a eu d’évidentes conséquences politiques. L’ex-président Bolsonaro a beaucoup profité de sa conversion à l’évangélisme. Néanmoins près de la moitié des catholiques sont américains.

Ces bouleversements ont modifié les rapports de force entre courants progressistes et conservateurs. Les Eglises européennes et notamment l’Eglise allemande ont préconisé depuis des décennies des réformes permettant aux femmes de jouer un rôle plus important notamment dans l’administration du Vatican et favorisant une plus grande tolérance de la communauté gay. Or ces demandes se heurtent à l’opposition résolue des Eglises africaines et asiatiques très hostiles aux homosexuels et peu favorables à la promotion des femmes. Pour les Africains le défi culturel majeur est la tolérance de la polygamie.

Le pape François, venant d’Argentine, a essayé au cours de ses douze ans de pontificat de tirer les conséquences de ces évolutions. Il a considérablement modifié la composition du sacré Collège en réduisant la part des Européens et surtout des Italiens et en nommant des cardinaux issus de pays les plus divers d’Asie et d’Afrique. En 2025, la composition du conclave était très différente de celle de 2012. Sur 135 cardinaux, il n’y avait plus que 52 Européens dont seulement 17 Italiens.  On comptait 37 Américains et 17 Africains.

Des obstacles et des défis pour un pape américain

En revanche, François s’est heurté à des obstacles majeurs quand il a voulu modifier le statut des femmes dans l’Eglise et préconiser une attitude plus tolérante à l’égard des gays. Il n’a pas pu non plus mener à bien sur tous les continents une action efficace contre les abus sexuels dans l’Eglise. En Afrique et en Asie, les Eglises locales ont été très réticentes pour suivre l’exemple de l’Europe et des Etats-Unis qui se sont efforcé même trop tardivement de mettre un terme à des abus manifestes et d’écouter enfin les victimes.  Les Eglises africaines et asiatiques ont fait savoir qu’elles n’avaient pas de leçons à recevoir des anciens colonisateurs et que leurs priorités étaient ailleurs. Enfin, la montée en puissance aux Etats-Unis d’un courant ultraconservateur incarné par le vice-président JD Vance, converti catholique et porte-parole officieux de ce courant, a constitué une difficulté supplémentaire alors que l’Eglise américaine fournit près d’un tiers des ressources du Vatican.

Le choix de Robert Prévost est donc apparu comme une tentative de réponse à ces multiples défis. Dans le long portrait qu’il lui consacre, le New York Times explique ainsi son succès : « Un homme qui a un pied sur deux continents et maitrise plusieurs langues, Léon XIV affiche un parcours qui lui a permis d’accéder à la fonction : une profonde éducation religieuse, un travail pastoral dans des zones sensibles, la gestion d’un ordre religieux et l’expérience d’importantes responsabilités au Vatican. Il a aussi bénéficié du puissant appui du pape François qui, à la fin de sa vie a donné une impulsion décisive à sa carrière. »

Ce qui a frappé tous les observateurs, c’est le fait que le pape était de nationalité américaine alors que l’élection d’un natif de la plus grande puissance mondiale semblait impossible aussi bien pour les Européens que pour les cardinaux du Sud. Or il apparaît que le choix d’un Américain qui a vécu vingt ans au Pérou dont il a acquis la nationalité et qui s’est toujours soucié du sort des migrants était aussi un message adressé aux partisans de Trump et de Vance qui espéraient faire élire un conservateur proche de leur idéologie nationaliste et xénophobe. Les catholiques américains les plus extrémistes ont bien perçu le sens de ce choix et ont critiqué vivement Léon XIV mais ils sont restés très minoritaires face à l’enthousiasme du reste de leur communauté.

Les désaccords avec la présidence de Trump

Les premières déclarations de Robert Prévost ont reflété à la fois ses préoccupations face à une Eglise profondément divisée qu’il espère réunifier et certaines divergences par rapport à son prédécesseur sur les choix plus politiques. Contrairement à François, très soucieux de ménager la Russie, il a clairement manifesté son soutien à l’Ukraine et à un cessez le feu immédiat et il a reçu Volodymyr Zelensky pour lui manifester sa sollicitude. Il semble d’ailleurs que ce point ait été abordé avec JD Vance et Marco Rubio, le secrétaire d’Etat américain lorsqu’il les a reçus au lendemain de son sacre. En revanche, un accord avec Trump sur le traitement des migrants semble impossible tant Leon XIV a consacré de temps et d’énergie à venir au secours des populations d’Amérique du Sud, et notamment les Vénézuéliens, contraintes de fuir leurs pays. Comme Mike Madrid, un spécialiste républicain du subcontinent, l’a indiqué au Washington Post : « Il y aura des différences très significatives sur ce point entre le pape Léon et la tendance Vance-Banon de l’Eglise catholique. »

En définitive, Léon XIV devra tenir compte des nouveaux rapports de force aussi bien en interne que sur le plan international. En interne, il devra poursuivre le soutien aux Eglises africaines et asiatiques désireuses de mettre un terme à la suprématie de l’Europe mais dont le message est beaucoup plus conservateur si bien que sur le statut des femmes et l’accueil des homosexuels, il sera peut-être plus prudent que son prédécesseur. Sur le plan international il lui faudra maintenir le dialogue avec des interlocuteurs difficiles aux Etats-Unis, en Inde ou en Chine.

Comme l’indique Fintan O Toole dans la New York Review of Books : « Est-ce qu’une papauté impériale peut vraiment présenter une alternative à une présidence impériale ? Ou, est ce que l’Eglise peut devenir une puissance qui ne soit pas une tyrannie ? François pensait que c’était une obligation et on a toutes les raisons de penser que Léon comprend cette nécessité mais réaliser ce projet ne sera pas aisé. »