Américains et Américaines: la grande divergence edit

8 juillet 2025

L’élection surprise de Zhoran Mamdani lors des primaires pour l’investiture démocrate pour les municipales à New York a suscité une stupéfaction au sein de son parti et au-delà chez les milieux progressistes occidentaux rêvant d’un recentrage radical vers la « vraie gauche ». Pour ce faire, il a mis à terre un vieux briscard, l’ancien gouverneur de New York Andrew Cuomo, un centriste dont l’élection semblait acquise. De là germent les spéculations sur la façon dont les démocrates vont rebondir après la défaite de Kamala Harris. Zhoran Mamdani, 33 ans, fils d’un anthropologue d’origine ougandaise et d’une mère d’origine indienne (Mira Nair, réalisatrice de films à succès primés dans de nombreux festivals comme Le Mariage des Moussons ou Salaam Bombay), a conduit une campagne conjuguant une offre sociale offensive (la presse le qualifie de socialiste) et la culture woke. Last but not least, il se présente comme propalestinien, un trait qui l’ancre dans le sillage des mouvements contestataires des universités de l’Ivy League des dernières années. Le secret de cette victoire ? Probablement le soutien des femmes éduquées américaines en alliance avec les minorités qui se posent aujourd’hui en hussardes du combat anti-Trump. De fait, il est le gagnant d’un clivage politique qui éloigne fortement l’électorat féminin de l’électorat masculin à l’ère du virilisme en majesté.

Lors d’un meeting de novembre 2024, Donald Trump, dans son style inimitable, avait déclaré que les femmes, « que cela leur plaise ou pas, je les protégerai ». De quoi ? L’orateur ayant une propension à ne pas s’embarrasser des détails, on ne sait toujours pas. Les électrices américaines ont riposté lors de la présidentielle : elles ont voté à 53% pour Kamala Harris et 45% pour Donald Trump, alors que les hommes, prenant le chemin inverse, optaient à 43% pour la candidate démocrate et 55% pour le candidat républicain[1]. Huit mois plus tard, expérience faite des promesses de protection, les femmes continuent de manifester avec plus de vigueur que jamais leur opposition au nouveau président, alors que les hommes confirment leur soutien. L’éditorialiste du journal de gauche The Nation, Katha Pollitt, ironise sur le projet de Trump Making America Guyland Again. Le genre est devenu un sismographe essentiel des choix politiques.

Les femmes, opposantes sans concession à Trump

Ainsi, en juin 2025 (sondage du Quinnipiac UniversityPolling Analyst), les femmes n’ont pas changé d’avis : la majorité (61%) d’entre elles rejettent ce Président, et désapprouvent (64%) sa politique (graphique 1). Il semble même que ces sentiments négatifs se soient renforcés. Cependant pour bien appréhender cette colère féminine, précisons que ce sont les femmes de couleur, d’une part, et les femmes blanches diplômées niveau bachelor ou plus, de l’autre, qui l’éprouvent en premier lieu. Les premières ont voté seulement à 7% (votantes noires) et à 39% (votantes hispaniques) pour lui en novembre 2024 ; et les femmes blanches éduquées à 41%. Notons cependant que 63% des femmes blanches non diplômées ont donné leur suffrage à l’ex-animateur de The Apprentice.

Cette désapprobation d’une bonne partie des femmes concerne aussi l’entourage politique proche de Donald Trump (graphique 2). Les premiers sur la sellette sont le secrétaire d’État à la Santé Robert Kennedy Jr, complotiste et anti-vax, et Elon Musk, zélateur de folles chimères pour remodeler nos sociétés sous la férule technologique et qui a réinventé, d’une façon toute personnelle (il a 14 enfants conçus avec plusieurs femmes différentes), l’idée de mères porteuses pour résoudre la crise démographique. Point intéressant : l’ancien chef du DOGE (Department of Government Efficiency) fait aussi l’objet d’un rejet majoritaire de la part des répondants masculins, mais à près de 20 points de distance derrière les femmes. Dans ce désamour des femmes à l’égard des hommes du Président, J.D Vance n’est guère mieux loti.

Les sujets de divergence femmes/hommes

Le sujet de l’avortement a été un point-clé de clivage des choix électoraux[2] de novembre 2024 dans un pays où près d’un tiers de la population pense que l’avortement doit être illégal dans la plupart des circonstances : ceux qui partagent cette conviction ont presque tous voté pour Trump. Ainsi, l’avortement, et plus globalement les dits « droits reproductifs » ont été le second principal motif pour voter démocrate (le premier étant l’inquiétude face à l’évolution de la démocratie américaine, et donc face à l’essor du populisme) : on retrouve là deux des éléments qui déportent les femmes diplômées et les femmes de couleur loin des visées trumpiennes.

Le sondage du Quinnipiac UniversityPolling Analyst dévoile aussi chez les femmes une sensibilité aux questions sociales bien plus développée que chez les électeurs masculins – les écarts entre genres étant significatifs mais toutefois moins marqués que ceux concernant l’adhésion à la personnalité et aux projets de Trump. Par de multiples voies juridiques directes ou indirectes (rendre plus difficile l’accès à la participation aux scrutins électoraux en donnant la preuve de sa citoyenneté[3] ; réduction des fonds du Medicare dont bénéficient 70 millions de personnes pauvres, en particulier 13 millions de femmes en âge de procréer ; remplacer les impôts sur le revenus par les tarifs douaniers, ce qui fera augmenter l’inflation, touchant alors les produits de base, etc.), un ensemble de dispositions vont toucher les plus démunis et en premier lieu les femmes. Or il faut noter qu’aux Etats-Unis, 45% des mères constituent le principal soutien financier de leur foyer, et ce d’autant plus que la moitié d’entre elles sont l’unique adulte en activité dans ce foyer[4] – ainsi 69% des mères « black » sont le pilier financier de leur famille.

Le principal clivage hommes/femmes concerne la politique restrictive de Donald Trump envers l’immigration, rejetée massivement par les femmes pour deux tiers d’entre elles, et soutenue par 55% des hommes. On repère dans cette divergence la fibre sociale féminine, notamment celle des femmes à bon niveau de diplôme, et le soutien de la communauté noire qui a voté radicalement contre Donald Trump (7% seulement des femmes noires ont voté pour lui, nous l’avons vu, et 21% des hommes noirs).

Le soutien féminin à la cause palestinienne

Les divergences politique entre les sexes connaissent leur prolongement avec l’opinion sur le conflit israélo-palestinien. Certes, bien des répondants avouent leur difficulté à se déterminer, faute de connaissances suffisantes du sujet. Parmi les répondants, pourtant, la sympathie des hommes se dirige assez nettement vers Israël, alors que celle des femmes incline plutôt vers les Palestiniens (graphique 4). Comment interpréter ces inclinations dans un pays où la communauté musulmane représente environ 4,5 millions d’habitants dispersés sur le territoire, et la communauté juive 5,7 millions, avec une forte concentration à New York (ce qui rend encore plus paradoxale l’investiture démocrate dont a bénéficié Zhoran Mamdani) ? En vérité, les Palestiniens ont remplacé dans l’imaginaire ce que fut jadis la classe ouvrière, pour les personnes en quête d’actions subversives : ils sont vus comme les damnés de la terre, les victimes expiatoires à défendre. Les images de milliers de familles palestiniennes abandonnées à elles-mêmes sur un champ de ruines à Gaza ébranlent les consciences, suscitent l’empathie et ces souffrances des plus faibles indignent particulièrement les femmes.

De ce fait se dessine une alliance politique entre communautés ethniques et femmes diplômées sur la cause palestinienne, et plus largement face au dénuement social : un mouvement dans lequel Zohran Manoni a sans doute puisé (l’absence de sondages rend difficile de l’affirmer) son succès aux primaires démocrates de New York. Cet arrière-fond recomposant le spectre politique aux États-Unis permettra-t-il à la « gauche américaine » de renaître de ses cendres, ou au contraire lui sera-t-il fatal ? L’évolution des votes respectifs des femmes, d’une part, et des hommes, de l’autre, est un élément décisif de la réponse à la question.

[1] Exit polls from the 2024 presidential election publié le 29 novembre 2024 par le Washington Post.

[2] Source : sondage du Pew Research Center, octobre 2024.

[3] The Safeguard American Voter Eligibility (SAVE) Act.

[4] Une analyse du Center for American Progress (Institut indépendant non partisan) fondée sur les derniers chiffres du U.S. Census Bureau Current Population Survey Annual Social and Economic Supplement, en 2023.