Les élèves français et leur école edit
L’enquête PISA, réalisée par l’OCDE, apporte de précieuses informations, maintenant bien connues, sur les aptitudes d’élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. Mais cette enquête fournit aussi de très intéressantes données sur les sentiments éprouvés par les élèves à l’égard de leur école et de leurs professeurs, au sujet également de leur sentiment de bien-être ou de mal-être dans l’univers scolaire. Passage en revue de quelques résultats qui ne sont pas encourageants pour la France.
Le tableau 1 montre les notes moyennes obtenues par 27 pays d’Europe et les Etats-Unis sur cinq scores reflétant les sentiments des élèves à l’égard de leur classe et de leurs enseignants dans leurs cours de français (ou de langue nationale pour chacun des pays enquêtés). Sur 3 de ces scores, la position de la France est très mauvaise et sur deux d’entre eux elle est moyenne.
Tableau 1. Attitudes à l’égard de l’école des élèves de 15 ans interrogés dans l’enquête PISA 2018. Champ : UE 26 membres (données manquantes pour Chypre) plus les USA et la Grande-Bretagne
Source : OCDE, PISA 2018. Lecture : les scores, variant de 0 à 10, sont construits à partir d’un ensemble de questions (voir encadré). On vérifie la cohérence interne de chaque échelle d’attitudes à travers l’indicateur alpha de Cronbach (>0,8 pour chacune des échelles). Chaque colonne donne le classement décroissant des 28 pays retenus dans l’analyse en ne faisant figurer dans le tableau, pour plus de lisibilité, que les 5 premiers et les 5 derniers (plus la moyenne)
Qualité des relations élèves-professeurs: la France en queue de peloton.
Bien sûr, il faut garder à l’esprit que, par définition, ces indicateurs sont subjectifs puisqu’ils sont construits à partir des sentiments des élèves (recueillis à travers le questionnaire). Mais c’est précisément cette subjectivité qui nous intéresse en ce qu’elle révèle un sentiment de bien-être ou de mal-être qui peut être, dans ce dernier cas, préjudiciable à la réussite scolaire et plus largement à l’intégration sociale.
La France se distingue d’abord par un climat disciplinaire détestable. Elle est en dernière position sur ce score. Manifestement les classes françaises sont nettement plus perturbées que les autres par du bruit et de l’agitation qui font que les élèves « ne peuvent pas bien travailler » (une des questions constitutives de ce score).
Un point sur la construction des échelles d’attitudes
- Le score de climat disciplinaire est construit à partir des réponses à 5 questions sur la fréquence de l’agitation et des difficultés à travailler pour les élèves en cours de français du fait de cette agitation durant les cours. Plus le score est faible, plus les cours sont souvent perturbés.
- Le score de soutien scolaire à partir des réponses à 7 questions sur l’intérêt du professeur de français aux progrès des élèves et sur l’aide qu’il leur apporte lorsqu’ils ont des difficultés.
- Le score de qualité de la transmission est construit à partir de 4 questions sur la clarté du professeur de français et sur ses efforts pour s’assurer que les élèves ont bien compris.
- Le score d’écoute et d’empathie est construit à partir de 3 questions sur les efforts du professeur de français pour écouter les élèves, leur donner confiance.
- Le score d’incitation à la participation est construit à partir de 4 questions sur les encouragements du professeur de français à l’expression des opinions des élèves et la mise en relation du cours avec leur propre vie.
La France se situe également en bas de classement en ce qui concerne le sentiment des élèves d’être soutenus par leur professeurs, notamment lorsqu’ils rencontrent des difficultés, et leur sentiment d’être écoutés, compris et encouragés sur le plan personnel par leurs enseignants. La France obtient un meilleur score dans l’indicateur de qualité de la transmission, c’est-à-dire des efforts faits par les professeurs de français pour transmettre clairement leurs connaissances et guider les élèves dans leur apprentissage. Le sentiment qui se dégage est donc que l’enseignement en France, très centré sur la transmission des connaissances disciplinaires, est très peu individualisé et peu porté à prendre en compte les besoins des élèves les plus faibles. Les élèves français semblent considérer que leurs professeurs de français s’acquittent bien de leur tâche de transmission des connaissances mais font peu d’efforts pour adapter ces modes de transmission aux capacités variables des élèves dont ils ont la charge.
Ces résultats font écho au travail des sociologues de l’éducation Nathalie Mons, Marie Duru-Bellat et Yannick Savina[1], qui distinguaient trois modèles éducatifs parmi les pays développés – à partir de données de l’OCDE sur les curricula, c’est-à-dire les contenus et l’organisation des formations. Ils appelaient le premier le modèle de l’éducation totale, le second le modèle éducatif producteur et le troisième le modèle de l’éducation académique. Le modèle de l’éducation totale, dominant dans les pays nordiques, « est caractérisé par un enseignement à spectre large, intégrant des contenus qui dépassent le cadre étroit des disciplines académiques traditionnelles et ouvrent sur le monde extérieur ». Le second auquel se rattachent l’Allemagne et les pays d’Europe continentale, « valorise le lien entre école et marché du travail par l’introduction, dès le secondaire inférieur, d’enseignements préprofessionnels et la hiérarchisation des écoles et des filières ». Le système dual allemand est bien connu. Enfin, le modèle de l’éducation académique, qui concerne notamment la France, vise à dispenser des savoirs universels via des contenus d’enseignement traditionnels coupés du monde professionnel et fermé aux particularismes religieux, régionaux et linguistiques.
Injecter un certain degré d’individualisation de l’enseignement n’est donc pas dans l’ADN du système éducatif français. La doctrine de l’élitisme républicain conduit plutôt à penser qu’il faut récompenser avant tout les mérites scolaires qui se distingueraient assez naturellement à travers les performances disciplinaires. Dans la pensée éducative française il y a sans doute une grande réticence à admettre que ces mérites ne sont pas également répartis parmi les enfants au moment où ceux-ci commencent leur scolarité. L’inégalité n’est pas niée, mais elle est rapportée à un manque de moyens du système éducatif dans son ensemble plutôt qu’à des déficits cognitifs individuels. Pourtant, la sociologie et l’économie de l’éducation (notamment les travaux de James Heckman) ont bien établi que beaucoup de choses se jouent dès la petite enfance et que le niveau différentiel de stimulation intellectuelle précoce des jeunes enfants dans le cadre familial a des conséquences importantes sur leurs acquis cognitifs dès leur entrée à l’école primaire. Compenser ces inégalités de départ devrait être une des missions du système éducatif. Cela suppose de ne pas traiter également tous les élèves (ou toutes les classes) et, parfois, d’adapter le cours et les méthodes d’enseignement aux particularités du public. Il est probable que le système éducatif français est peu adapté, mentalement et culturellement, pour faire cela. Les résultats de cette enquête en constituent une illustration.
L’impact du soutien des professeurs sur les performances scolaires
Or ces méthodes éducatives peuvent avoir des conséquences sur les performances des élèves. Les élèves qui ont le sentiment de recevoir moins d’aide de leurs professeurs, d’être peu écoutés par ces derniers et peu sollicités pour participer ont des scores en lecture plus faibles que ceux qui estiment recevoir plus de leurs enseignants sur tous ces plans (figure 1). Il faut bien sûr rester prudent car il peut y avoir plusieurs interprétations de ces résultats[2]. L’une d’entre elles est néanmoins que le soutien, l’empathie des professeurs et l’incitation à faire participer les élèves ont un effet positif sur leurs performances (ici en compréhension de l’écrit)[3]
On note également dans les résultats qu’en France, les corrélations entre ces sentiments de soutien, d’aide ou d’empathie des professeurs et les performances des élèves sont assez nettement plus faibles que dans les autres pays étudiés ici. Concernant spécifiquement le soutien scolaire la corrélation est même négative en France : le soutien scolaire semble y avoir un effet plutôt contreproductif. Ainsi, le système éducatif français soutient moins ses élèves que dans les autres pays européens et, lorsqu’il le fait, les performances des élèves ne semblent pas s’améliorer.
En réalité les professeurs français sont certainement démunis pour effectuer ce travail de soutien individualisé. Ils ne savent pas trop comment s’y prendre parce qu’ils n’ont pas été formés à cette tâche, comme je l’avais montré dans une chronique précédente (https://www.telos-eu.com/fr/societe/premier-degre-une-grande-misere-pedagogique.html ) rendant compte des résultats d’une enquête internationale (l’enquête TALIS) sur les enseignants du premier degré. Un des résultats principaux de cette enquête était le constat que les enseignants français se sentaient extraordinairement démunis face aux exigences pédagogiques de l’enseignement, par défaut de formation (initiale et continue).
Figure 1. Scores en lecture en fonction des relations avec les professeurs (champ : UE26 + USA et GB)(source : PISA 2018)
Lecture : les élèves qui estiment que le soutien scolaire qu’ils reçoivent de leurs professeurs est très faible ont un score de 493,7 en compréhension de l’écrit ; ceux qui estiment que ce soutien est élevé ont un score de 510,7.
L’effet marqué du climat disciplinaire sur les performances scolaires
Un autre facteur, qui ne tient pas directement ou moins directement aux pratiques des professeurs, exerce un effet très net sur les performances scolaires (toujours les scores en compréhension de l’écrit) : le climat disciplinaire. En effet, en France, comme dans les autres pays européens et aux Etats-Unis, un climat disciplinaire dégradé dans les cours de langue nationale est associé à de plus faibles performances en lecture[4] (figure 2).
On a vu dans le tableau 1 que ce climat disciplinaire était tout particulièrement dégradé en France. Cela constitue certainement un facteur très négatif pour la réussite des élèves français. L’enquête ne permet pas d’identifier les causes de ce fort déficit français dans la tenue des classes et le maintien du calme propice au travail. Le système éducatif français accueille-t-il des élèves plus difficiles que dans les autres pays européens ? Les tensions sociales, ethniques ou religieuses que connaissent certaines zones du territoire contribuent-elles à cette dégradation du climat scolaire ? Il est possible également que les professeurs soient mal formés pour gérer les situations conflictuelles et les élèves dissipés ou provocateurs. Dans l’enquête TALIS déjà citée, 19% seulement des professeurs du premier degré français déclaraient avoir une grande capacité pour gérer les comportements perturbateurs, contre respectivement 59%, 50%, 53% et 39% de leurs homologues anglais, belges, danois, et suédois.
Figure 2. Performances en lecture en fonction du climat disciplinaire en France, dans autres pays de l’UE et aux USA et en Grande-Bretagne (sources PISA 2018)
Lecture : les élèves français dont le score de climat disciplinaire est très mauvais ont un score de compréhension de l’écrit de 483 contre 516 pour ceux dont le score de climat disciplinaire est bon.
Au total, la France gagnerait à prendre à bras-le-corps la question de la formation pédagogique des enseignants, ce qu’elle ne fait certainement pas assez. Un professeur bien formé sur le plan académique ne sera pas performant s’il ne sait pas adapter ses cours au profil de ses élèves. Sans abandonner l’ambition de donner le même savoir à tous, il faut également renoncer à une fausse égalité qui consiste à nier les inégalités cognitives de départ, d’autant qu’avec la massification de l’enseignement ces inégalités se sont accrues du fait de l’accès à des niveaux plus élevés d’enseignement de jeunes d’origines sociales, culturelles et ethniques plus diversifiées. La sempiternelle lamentation sur la baisse du niveau est, en partie au moins, le fruit de cet effet de structure. Pour y répondre, la solution ne doit pas consister à accroître aveuglément les exigences académiques, mais à imaginer, localement, les moyens pédagogiques qui permettent à des jeunes aux profils variés d’y satisfaire. Cela suppose aussi certainement de laisser plus d’initiative aux établissements scolaires et à leurs équipes pour imaginer et mettre en place ces moyens.
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[1] Nathalie Mons, Marie Duru-Bellat, Yannick Savina. Modèles éducatifs et attitudes des jeunes : une exploration comparative internationale. Revue française de sociologie, Presse de Sciences Po / Centre National de la Recherche Scientifique, 2012, 53 (4), pp.589 - 622. hal-01719460v2
[2] Il y a trois interprétations possibles des liens entre les sentiments des élèves sur le soutien ou l’empathie de leurs professeurs et leurs performances en lecture. Une première interprétation est celle d’un biais subjectif : elle part du fait que ce n’est pas le soutien effectif qui est mesuré mais l’appréhension qu’en ont les élèves. Il est possible que les meilleurs élèves aient des meilleurs résultats en lecture, qu’ils soient soutenus ou pas, et qu’ils en attribuent les mérites, pour une part au moins, à leurs enseignants. Une deuxième interprétation est une interprétation « inégalitaire » : les professeurs aideraient tout simplement plus et auraient plus de contacts avec leurs meilleurs élèves. La relation causale serait dans le sens performances->soutien. Enfin la dernière interprétation est celle de la relation causale inverse de la précédente : le soutien et l’empathie des professeurs contribueraient à améliorer les performances des élèves.
[3] Cette interprétation est renforcée par le résultat suivant : en Norvège, pays très égalitaire dans sa conception de l’éducation et très soucieux de la réussite des plus faibles, les corrélations positives entre le soutien perçu des professeurs, leur empathie et leur désir de faire participer les élèves d’une part et les performances en lecture d’autre part sont nettement plus élevées que dans la moyenne de l’échantillon des autres pays d’Europe.
[4] Performances mesurées par les tests passés par les élèves. En 2018, sur les 28 pays étudiés dans ce papier, la France se situe en moyenne en 12ème position (score de 493, moyenne générale OCDE 487).