L’offensive médiatique russe edit
La Russie amplifie son offensive médiatique en direction des pays européens, en particulier, la France. Avec trois objectifs : d’abord, proposer une vision autorisée de la politique intérieure du pays et une conception russe de la vie internationale, ensuite soutenir les intérêts stratégiques de la Russie comme grande puissance renaissante, enfin saper les valeurs occidentales au nom d’un nouveau conservatisme global.
La dernière initiative concerne la création, annoncée le 22 février par le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, d’une nouvelle force militaire chargée de mener des « opérations d’information » contre les ennemis de la Russie. « La propagande doit être intelligente, compétente et efficace », a déclaré le ministre, sans préciser si cette nouvelle force sera placée sous son autorité ou si elle sera indépendante. Les autorités militaires sont devenues particulièrement actives depuis l’intervention russe en Syrie en septembre 2015, en multipliant les comptes-rendus sur Facebook et twitter. Elles ont mis en ligne des vidéos sur les attaques par les chasseurs russes des places fortes des djihadistes pour contrecarrer les affirmations occidentales selon lesquelles la Russie ne s’en prenait pas à l’Etat islamique mais aux groupes d’opposition.
Une semaine auparavant, le ministère des Affaires étrangères avait annoncé le lancement d’un site internet destiné à « s’attaquer aux fausses nouvelles ».
L’initiative du ministère de la Défense dépasse la simple guerre de l’information. Dotée d’un budget annuel de 300 millions d’euros et employant jusqu’à un millier de personnes, la nouvelle division « opérations d’information » devrait être aussi chargée de mener des attaques cybernétiques sur des sites occidentaux, officiels ou privés. Des centaines de « trolls », payés par le Kremlin, sont déjà actifs depuis Saint-Pétersbourg et d’autres villes de province, pour saturer les réseaux sociaux en Europe et aux Etats-Unis avec des « informations, des commentaires ou des dénonciations ». Ils sont intervenus dans la campagne présidentielle américaine, au-delà de l’intrusion dans les réseaux informatiques de la candidate démocrate. Des craintes du même ordre existent pour les élections françaises du printemps et les élections allemandes de l’automne.
La guerre de l’information utilise aussi les nouveaux medias pour atteindre les publics européens. En 2013 déjà, un décret présidentiel a créé l’agence de presse Rossia Segodnya (La Russie d’aujourd’hui), dirigée par un journaliste vedette de la télévision russe, Dmitri Kisseliev, un ancien libéral devenu nationaliste et conservateur par la grâce de Vladimir Poutine. Cette agence, dotée d’un budget de 300 millions d’euros, gère un site internet, Spoutnik, qui se propose de « dire ce qui est tu », sous-entendu par les médias « mainstream ». Rossia Segodnya et la chaîne de télévision Russia Today (RT) sont officiellement deux entités indépendantes mais partagent la même rédactrice en chef, Margarita Simonyan.
En France, RT est actuellement disponible sur le web mais le Conseil supérieur de l'audiovisuel a donné son accord pour que cette chaîne d’informations en continu soit diffusée sur le câble dans le courant de cette année. 20 millions d’euros ont été mis à sa disposition par le gouvernement russe. Dans le « comité d’éthique » de RT France se retrouvent notamment Hélène Carrère d’Encausse, Jacques Sapir et Thierry Mariani, député (LR) des Français de l’étranger qui a fait plusieurs voyages en Crimée depuis l’annexion de 2014, proche du pouvoir russe et hôte régulier de Bachar el-Assad.
Tous ces « amis de la Russie » ne manqueront pas de travail si l’on en juge par quelques dérapages « éthiques » dont RT s’est rendue coupable. Deux exemples : après les attentats du 13 décembre 2015, RT a laissé entendre que ces actes terroristes auraient été préparés par des services secrets, en interrogeant un « expert » totalement inconnu. On pense au soi-disant expert suédois interrogé récemment par la chaine américaine Fox News dans le but de voler au secours de Donald Trump qui avait évoqué un faux attentat terroriste en Suède pour justifier sa politique anti-immigrés.
Autre exemple : c’est Spoutnik qui a relayé les insinuations du député (LR), Nicolas Dhuicq, un autre visiteur régulier d’Assad, sur les liens supposés d’Emmanuel Macron avec le « riche lobby gay ».
Plus généralement, RT et Spoutnik sont appréciés des sites complotistes et des bloggeurs d’extrême-droite.
Il serait erroné de penser que ces activités médiatiques restent marginales. Elles peuvent être les prémices de campagnes politiques massives et officielles comme on l’a vue en Allemagne, voilà un an. En janvier 2016, la disparition d’une jeune fille de 13 ans était signalée par sa famille dans le quartier populaire de Marzahn à Berlin. Comme il s’agissait de ce qu’on appelle une « Russlanddeutsche » (une famille russe d’origine allemande émigrée après la chute de l’URSS), les médias russes se sont emparé de l’affaire, d’autant plus qu’après un mois de « captivité » la jeune fille avait expliqué qu’elle avait été enlevée et violée par des « hommes d’apparence méditerranéenne ». L’ambassadeur russe à Berlin est intervenu auprès du ministère des Affaires étrangères, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a officiellement critiqué les enquêteurs et les hommes politiques allemands qui, adeptes du politiquement correct, auraient sciemment freiné les investigations pour ne pas mettre en cause des réfugiés. Des associations de Russlanddeutsche ont manifesté devant la chancellerie fédérale, soutenues par les sites néonazis se déchainant contre la « presse mensongère » et les élites cosmopolites.
L’enquête a finalement montré que la jeune fille s’était enfuie de chez ses parents à cause de problèmes à l’école, qu’elle s’était réfugiée chez son ami allemand, âgé de 19 ans, et qu’elle avait tout inventé de l’histoire du kidnapping. En attendant la tension était montée entre Moscou et Berlin, la défiance vis-à-vis du monde politique et de la presse, qui est un des moteurs de la droite populiste représentée par le parti AfD (Alternative pour l’Allemagne) avait été entretenue, et la politique d’ouverture d’Angela Merkel en direction des réfugiés mise en cause. Trois ingrédients propices à une déstabilisation de la vie politique ainsi qu’à la contestation des valeurs libérales et démocratiques.
Cet objectif idéologique s’appuie sur un réseau d’institutions créées sur le modèle des think tanks américains, qui se développe en Europe. A Berlin, la Russie a ouvert un centre pour le « dialogue des civilisations », présidé par Vladimir Iakounine, ancien collègue de Vladimir Poutine au KGB et ancien président des chemins de fer russes. A Paris, le Centre spirituel et culturel orthodoxe et l’Institut de la démocratie et de la coopération, dirigée par une ancienne députée à la Douma du parti nationaliste Rodina (la patrie) jouent le même rôle, avec l’aide intéressée ou inconsciente de ceux que Lénine appelait « les idiots utiles »
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