En Pologne, la mouche du PiS prise dans la toile de la Confédération edit

19 juin 2025

L’histoire semble se répéter. En 2007 et en 2023, dans une première phase, la Coalition civique (KO, libérale) dirigée par Donald Tusk parvenait à prendre le pouvoir sur l’alliance sortante menée par le parti Droit et justice (PiS, conservateur) de Jaroslaw Kaczyński. Dans un deuxième temps, en mai 2015 et en mai 2025, après une période d’exercice des responsabilités par le nouveau gouvernement, celui-ci subissait un revers, perdant l’élection présidentielle pour laquelle son candidat était pourtant favori, au profit du PiS. La troisième phase, durant laquelle les conservateurs parviennent à reprendre le pouvoir aux libéraux après leur victoire à la présidentielle, se reproduira-t-elle de la sorte ?

Si la perspective d’un retour au pouvoir du parti de Kaczyński semble, à ce jour, parfaitement possible, il apparaît cependant qu’il y aura au moins un élément qui différera. Car, dans la situation actuelle, il semble difficile d’imaginer le PiS retrouver, à la Diète, la majorité absolue qui a caractérisé ses années au pouvoir entre 2015 et 2023. Le parti présente en effet un paradoxe qui, malgré la similitude apparente de la situation actuelle avec celle de 2015, les rend distinguables. Malgré la victoire surprise, le 1er juin, de Karol Nawrocki sur Rafal Trzaskowski, le PiS apparaît de fait bien plus faible qu’il y a dix ans : pour la première fois lors d’une élection présidentielle, son candidat a échoué à franchir le seuil des 30% de suffrages exprimés recueillis. Pour la première fois également, il s’est trouvé être sérieusement menacé sur sa droite.

Depuis 2019, une structuration politique à la droite du PiS

Lors de la première prise de pouvoir de Donald Tusk, l’extrême droite extérieure à Droit et justice n’avait pas été en mesure d’incarner une alternative crédible au parti de Jaroslaw Kaczyński, pourtant affaibli par la défaite. Divisée, peu structurée, elle n’avait su se faire entendre au sein du camp conservateur. Le PiS, une fois remis de son échec, avait ainsi pu se reprendre rapidement pour reconquérir le pouvoir. Mais, dans la nouvelle séquence, cette extrême droite a su tirer les leçons de son précédent acte manqué.

La constitution, en vue des élections parlementaires de 2019, d’un rassemblement de ses forces au sein de la Confédération lui a ouvert un premier accès à la Diète, lui garantissant une assise institutionnelle et une visibilité en-dehors des campagnes électorales, tout en permettant à ses membres d’acquérir une expérience pratique de l’action politique, laquelle, jusque-là, leur manquait. Cela a permis au candidat de la Confédération, Slawomir Mentzen, d’avoir toutes les clés en main pour profiter au maximum de la double fenêtre d’opportunité qui s’est ouverte lors de la présidentielle de 2025.

L’affaiblissement du PiS suite à son échec de 2023 lui a en effet donné les moyens de se présenter comme l’heureux renouveau du camp conservateur, tandis que la perte par la Confédération de son aile la plus extrémiste a eu pour conséquence, en présentant la candidature du complotiste Grzegorz Braun, de recentrer la candidature de Mentzen, la rendant plus audible pour nombre d’électeurs. Au premier tour, le candidat a ainsi mis pour la première fois en difficulté le PiS jusque dans ses bastions, à l’image de la voïvodie des Basses-Carpates, fief historique des conservateurs où le président Duda avait franchi la barre des 60% lors du scrutin de 2020, et où Nawrocki n’a plus obtenu que 43% en mai, tandis que Mentzen y signait son meilleur score régional avec 18%.

Ce constat de la progression des candidats d’extrême droite sur l’électorat conservateur traditionnel se retrouve également dans la sociologie du vote. L’ensemble Mentzen-Braun est ainsi parvenu à capter une large part de suffrages au sein de catégories sociales où, jusque-là, le PiS régnait sans partage. Ainsi, la puissante catégorie des agriculteurs (quelque 10% de la population active), historiquement acquise à la droite conservatrice de Kaczyński et au sein de laquelle le poids de la Confédération était jusque-là négligeable, a octroyé près d’un quart de ses suffrages aux deux candidats d’extrême droite, quand celui du PiS n’en obtenait plus que la moitié, contre les deux tiers lors des élections parlementaires de 2023. Pareillement, le tandem Mentzen-Braun a su capter environ un tiers des voix ouvrières exprimées au premier tour (soit presque autant que Nawrocki) ; deux ans plus tôt, le PiS cumulait, selon l’Ipsos, à 49,6% dans cette catégorie, quarante points devant la Confédération.

Les dangers de la radicalisation du conservatisme polonais

Dans cette situation, le PiS devra, pour revenir au pouvoir, soit faire des concessions à la Confédération, soit s’engager plus encore dans la course à la radicalité à l’accélération de laquelle les 21% de Braun et Mentzen au premier tour de la présidentielle ont ouvert la voie à droite. Le statut de favori de cet ensemble d’extrême droite fait craindre que l’illibéralisme, proche des actuels modèles hongrois et slovaque, et dans lequel le PiS a versé lorsqu’il était au pouvoir, ne reprenne vie sous un jour plus féroce encore.

Face à cela, les perspectives de riposte sont faibles pour la gauche et les libéraux : leurs électorats sont minoritaires, et Slawomir Mentzen a su marquer des points dans les segments de la population historiquement favorables aux partis composant ou ayant composé le gouvernement de coalition de Tusk. Si la candidature d’Adrian Zandberg, dont le parti (le plus à gauche de la Diète) s’est récemment retiré de l’alliance au pouvoir, a beaucoup fait couler d’encre par l’écho qu’elle obtenait auprès des plus jeunes électeurs, il demeure en effet que c’est bien Slawomir Mentzen qui, de tous les candidats en lice, est parvenu à obtenir la plus large part du vote étudiant, ainsi que de celui des moins de 35 ans. Chez les chefs d’entreprises, catégorie historiquement pourvoyeuse de voix pour le camp libéral, le candidat de la Confédération, avec son discours libertarien aux accents parfois mileiristes, est également parvenu à gagner du terrain au détriment de Trzaskowski, s’imposant à la deuxième place devant le PiS, et faisant reculer la KO.

Si elle est compliquée pour Droit et justice, l’équation l’est donc encore plus pour les partis de gauche et du centre qui semblent, pour le moment, impuissants face à la progression d’une extrême droite plus radicale que jamais. Car loin de s’imposer uniquement comme le centre de gravité du conservatisme polonais, c’est en réalité sur l’ensemble du paysage politique polonais que la Confédération étend son influence, se trouvant désormais en position de décider de l’avenir politique de la Pologne. Et de priver potentiellement l’actuelle coalition européenne, prise en étau entre Trump et Poutine, d’un de ses plus ardents défenseurs, en la personne de Donald Tusk.