Les Européens, l’UE et le soutien à l’Ukraine edit

25 juin 2025

Le dernier Eurobaromètre de la Commission européenne, publié en mai 2025, est plein d’enseignements[1]. Au cours de la dernière décennie les peuples de l’Union Européenne ont exprimé une confiance croissante dans l’Union européenne, ses institutions et ses réalisations (tableau 1). La confiance dans l’Union elle-même et, en particulier, dans la Commission Européenne, s’est accrue d’une vingtaine de points depuis 2013-2014. En 2025, pour la première fois, cette confiance est devenue majoritaire. L’Union monétaire et l’euro, d’une part, le projet d’une politique de défense et de sécurité commune, d’autre part, sont plébiscités par les habitants de l’Union alors qu’il s’agit pourtant de deux des principales fonctions régaliennes de l’État.

Cette confiance croissante dans l’Union s’accompagne du développement du sentiment d’appartenance chez les européens. Les trois-quarts d’entre eux se sentent aujourd’hui citoyens de l’UE. L’optimisme sur l’avenir de l’Europe est également largement majoritaire. Seule l’image de l’UE demeure, malgré des progrès, relativement négative. Il ne fait pas de doute que, dans cette période marquée par le retour de la guerre en Europe et de l’insécurité dans le monde, le sentiment de constituer une communauté s’est renforcé chez les peuples de l’UE.

Tableau 1. Évolution des attitudes des Européens à l’égard de l’Union européenne (%)

Si l’idée européenne progresse clairement dans l’ensemble des peuples de l’Union européenne, il faut constater que le peuple français, lui, est à la traîne. Avec la Grèce, Chypre et la Slovénie il occupe les dernières places sur la plupart des questions (tableau 2). Les Français ne sont que 42% à faire confiance à l’UE. Certes, cette confiance est très nettement supérieure à celle qu’ils témoignent à leur propre gouvernement (23%) mais ce chiffre est faible, comparé à la moyenne dans l’UE (52%). 36% seulement des Français ont une image positive de l’UE et 27% une image négative et ils se partagent par moitié entre ceux qui sont optimistes et ceux qui sont pessimistes sur son avenir. Enfin, ils ne sont qu’une moitié à estimer que les peuples de l’UE ont beaucoup de choses en commun contre une moyenne de 64% dans l’UE.

Cependant, si les Français se distinguent par leur relativement faible attachement à l’UE, en revanche ils soutiennent aussi massivement que les autres ses réalisations et ses projets. Les trois-quarts d’entre eux soutiennent l’union monétaire et une politique de défense et de sécurité commune.  

Tableau 2. Les Français par rapport aux autres Européens

  

Un certain manque de confiance à l’égard de l’UE ne signifie donc pas qu’ils rejettent les progrès les plus importants de la construction européenne. Bien au contraire. Cette contradiction apparente entre un attachement relativement faible à l’Union européenne et un soutien à ses réalisations ne doit pas nous étonner. La France est le pays de l’ouest de l’UE qui compte la plus forte proportion d’électeurs des partis d’extrême-droite et d’extrême-gauche, autour de 50%, tous hostiles une accélération de la construction européenne. Pour ces forces politiques ont progressivement abandonné leur combat contre la monnaie unique et le Rassemblement national a en ce moment une position ambigüe sur la politique de sécurité et de défense commune. Ces évolutions sont favorisées par l’européanisation de leur électorat. Il n’est plus question de revenir en arrière, quelles que soient les hésitations pour aller de l’avant. Ainsi, selon un sondage ELABE de 2024, 63% des proches de LFI et 55% des proches du RN étaient favorables au principe d’une politique de sécurité et de défense commune.

Les citoyens de l’UE sont majoritairement favorables à fournir un soutien à l’Ukraine (tableau 3). Ici, les Français ne se distinguent pas de la moyenne. Ce soutien varie cependant en intensité selon le type d’aide dont il s’agit. Il est massif pour l’aide financière et humanitaire, les sanctions contre la Russie et l’accueil des Ukrainiens fuyant la guerre. Il est moins élevé s’agissant de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et de la livraison de matériel militaire. Ce soutien se maintient dans le temps, augmentant même entre 2024 et 2025 pour l’aide financière et humanitaire.

Tableau 3. Le soutien à l’Ukraine

Le moindre engagement des Français dans le processus de la construction européenne ne s’explique pas seulement par la forte influence qu’y ont acquis les partis extrêmes. Cette particularité s’explique également selon nous par la différence d’engagement sur l’Europe entre les formations pro et anti européennes. Pour différentes raisons, celles qui soutiennent la construction européenne n’en font pas comme leurs adversaires un enjeu politique central. Tandis que la gauche non extrême continue de concentrer ses critiques de l’Union européenne sur son libéralisme économique, la droite républicaine, toujours pénétrée de gaullisme, ne défend pas clairement le nécessaire équilibre à promouvoir dans la construction européenne entre les institutions nationales et les institutions supranationales, nécessité que les Français comprennent pourtant très bien. Quant au président de la République, qui est très allant sur ces questions, sa propre impopularité ne lui permet pas de transformer en soutien à la construction européenne les efforts qu’il déploie dans ce domaine. Dans le même temps, les droites anti-européennes s’organisent nationalement et internationalement avec l’aide de l’Amérique trumpienne et de la Russie poutinienne qui, toutes deux, ont fait de l’UE leur adversaire principal. Le 9 juin dernier Marine le Pen s’est exprimé à Montargis lors d’un meeting où se sont retrouvés Viktor Orban, Matteo Salvini, et Andrej Babis. Elle a lancé une lourde charge contre l’Union européenne, la qualifiant « d'empire marchand, wokiste, ultralibéral" tandis que Jordan Bardella dénonçait un "monstre bureaucratique gouverné par des technocrates » et son « pacte européen pour les migrations [...] qui force la France à répartir les migrants dans nos villes et nos villages ».

Les deux extrêmes se font écho. Tandis que Jordan Bardella accuse l’UE de "mettre son énergie dans un projet de guerre programmée", Sophia Chikirou, députée LFI, déclarait récemment lors d’une manifestation d’associations pro-russes : « Aujourd’hui, l’Europe est en guerre à nouveau, et des fascistes à l’ancienne, comme ceux promus par l’Otan, sont présents sur notre sol », qualifiant le projet d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union européenne de « provocations inutiles » vis-à-vis de Moscou. Face à l’union des extrêmes antieuropéens et pro-russes les partisans de l’Europe se font trop discrets, hésitant à mobiliser un électorat, plus réceptif qu’il n’y paraît, en faveur du projet européen.  

 

[1] Eurobaromètre de la Commission européenne, Mai 2025. 26.600 personnes interrogées dans les 27 pays de l’Union européenne.