Le Nouveau Front populaire: un mort-vivant edit

12 juin 2025

Qu’est devenu le Nouveau Front populaire (NFP) ? Rappelons qu’il était au départ un accord électoral en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet entre les quatre formations de gauche au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République. Cet accord passé le 10 juin 2024 reproduisait dans ses grandes lignes celui signé le 1er juin 2022 par ces mêmes formations, qui fondait la Nouvelle Union Populaire et Sociale (Nupes) pour affronter les élections législatives ayant suivi la réélection d’Emmanuel Macron. En 2024 il s’agissait de réanimer dans l’urgence et sous la contrainte des événements une coalition qui, à la veille des élections législatives, paraissait à bout de souffle[1].

Avec 193 élus, le NFP fut battu, comme l’avait été la Nupes en 2022, mais la coalition gagnait 42 sièges, essentiellement à l’avantage du PS (+35). Ce progrès était dû dans une trentaine de circonscriptions à la constitution d’un large front anti-RN, le « Front républicain », qui avait très bien fonctionné. Rappelons que pour la première fois une unité de candidature à gauche avait été réalisée dès le premier tour. Cet accord électoral n’a cependant pas été un premier pas vers un renforcement de l’union. Tout au contraire, les relations entre LFI et ses partenaires n’ont fait que se dégrader depuis les dernières élections, au point que le destin du NFP a paru scellé à plusieurs moments. Ainsi, par exemple, après le rejet d’une motion de censure déposée par La France insoumise mais non votée par les socialistes, Jean-Luc Mélenchon estimait le 19 janvier dernier que « le Parti socialiste n’est plus un partenaire ». « C’est un allié, et encore, de circonstance. Tous ceux qui ne votent pas la censure sortent de l’accord du NFP. »

Pour définir ce qu’est aujourd’hui le NFP, le plus simple est de commencer par comprendre ce qu’il n’est pas. Le NPF n’est pas une fédération de partis politiques ; il n’est en rien une organisation politique. Il n’est pas non plus une communauté d’idées, de valeurs et d’objectifs politiques. Le programme de gouvernement adopté par les quatre partenaires au moment de sa création n’était en rien crédible et les signatures communes cachaient de profonds désaccords. En 2023, au temps de la Nupes, Jean-Luc Mélenchon déclarait déjà : « Une écologie qui n’est pas anticapitaliste pour moi, c’est du jardinage. Le socialisme qui ne remet pas en cause le capitalisme, c’est mignon et le communisme qui ne se donne pas comme objectif de mener une révolution socialiste, je me demande ce que c’est ! »

Deux raisons principales expliquent que la création du NFP n’ait pas permis de relancer le processus politique de rassemblement de la gauche après l’échec de la Nupes : la stratégie solitaire de Jean-Luc Mélenchon au sein de la gauche et l’action de LFI au sein du système politique, la seconde découlant de la première. Depuis 2017 le dirigeant de LFI n’a pas admis le refus de ses partenaires de former un groupe unique à l’Assemblée, ce qui lui aurait donné le leadership de la gauche. Il joue donc seul avec LFI, son but étant d’affaiblir au maximum les autres formations de gauche et notamment le Parti socialiste. Il compte en priorité sur la prochaine élection présidentielle pour dominer à nouveau ses partenaires et occuper le plus largement possible l’espace électoral de la gauche. Ses partenaires du NFP ayant exclu de soutenir sa candidature à cette élection, il entend les dominer sur le terrain électoral. Loin de rechercher un compromis avec eux il radicalise au contraire son discours et son action, espérant incarner ainsi à lui seul la vraie gauche, dans le droit fil de l’histoire de la gauche française où sa partie extrême a longtemps joui de la plus grande légitimité.

L’application de cette stratégie au niveau du système politique consiste à entretenir une guérilla permanente avec le président de la République et le gouvernement et à entraîner les autres formations de gauche dans son sillage, leur laissant le choix entre la soumission ou la « trahison ». Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée, appelant à de nouvelles élections présidentielles, déclarait : « Oui 2025 sera une belle année. Celle où nous réussirons à faire partir ce président arrogant et autoritaire. » Le groupe dépose motion de censure sur motion de censure, exigeant de ses partenaires qu’ils les votent, réclamant la démission du président et martelant son slogan « tout le programme rien que le programme » du NFP. Cette stratégie, repoussée par les autres composantes du NFP, vise à présenter LFI comme le seul véritable adversaire tant du gouvernement que du Rassemblement national. La tactique de blocage et de chahut à l’Assemblée exprime un certain mépris pour le parlementarisme qui amène ses partenaires à se dissocier d’elle. Récemment, la députée LFI Rima Hassan a traité d’ordure le président du Sénat qui s’interrogeait sur la pertinence d’un État palestinien. Il n’existe donc pas de vision commune du NFP sur le fonctionnement des institutions.

La stratégie mélenchoniste s’accompagne d’un discours le plus souvent insultant et haineux à l’égard les autres leaders de gauche, ce qui rend impossible toute affectio societatis au sein du NFP. On ne s’y aime pas. En 2023, Jean-Luc Mélenchon déclarait ainsi : « Je ne fais pas la Nupes parce que j’aime les autres. Je ne les aime pas. Non. » Récemment, il envoyait ce message de menace à la dirigeante de EELV, Marine Tondelier : « On va te renvoyer la dose que tu mérites. » La députée LFI Sophia Chikirou a comparé Fabien Roussel, le leader du PCF, à Jacques Doriot, ancien dirigeant communiste qui, évoluant vers un anticommunisme violent, avait fondé en 1936 le Parti populaire français (PPF) d’idéologie fasciste. Cette radicalisation divise gravement la base électorale de la gauche. Selon un sondage récent les deux tiers des sympathisants socialistes estiment que LFI est un parti qui attise la violence et 57% qu’il est dangereux pour la démocratie. Ainsi, le NFP n’a pas de base électorale large et unifiée. Il ne dispose pas d’un potentiel électoral propre.

Dans ces conditions, lors des prochaines élections municipales et législatives, sans même parler de l’élection présidentielle, il n’y aura probablement pas au premier tour de candidats du NFP proprement dits. Le comportement de LFI découragera probablement des électeurs des autres composantes de voter pour son candidat lorsque celui-ci sera arrivé en tête de la gauche au premier tour et aura été qualifié pour le second. Quant à un nouveau « Front républicain » englobant LFI, il n’en sera sans doute plus question. Relancer le NFP aux prochaines élections risque donc d’être sans grande utilité.

À ceci s’ajoutent les désaccords de fond sur les questions aujourd’hui cruciales de politique extérieure et de sécurité. S’agissant de la guerre en Ukraine, tandis que le PS et les écologistes sont favorables à son soutien ce n’est pas le cas de LFI. Sophia Chikirou, s’étant rendue le 8 mai dernier à une manifestation d’associations pro-russes, a déclaré ainsi : « Aujourd’hui, l’Europe est en guerre à nouveau, et des fascistes à l’ancienne, comme ceux promus par l’Otan, sont présents sur notre sol », qualifiant le projet d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union européenne de « provocations inutiles » vis-à-vis de Moscou. Quant à la crise au Proche Orient, LFI soutient clairement l’action du Hamas. La députée LFI Rima Hassan déclarait ainsi : « Nous, ce qui nous intéresse c’est une libération totale du Jourdain à la mer ». Elle avait déclaré auparavant : « le Hamas a une action légitime du point de vue du droit international. » Tout aussi graves sont les désaccords sur la construction européenne.

Enfin le NFP manque d’un leader capable d’offrir un projet de renouvellement de la gauche et un espoir de victoire. L’isolement volontaire de Jean-Luc Mélenchon ainsi que sa radicalisation lui interdisent de jouer ce rôle et ni le PS, ni les écologistes, ni le Parti communiste ne comptent dans leurs rangs une telle personnalité. Ce corps sans tête dérive ainsi sans but précis au gré du courant. Il ne peut servir de masse de manœuvre électorale à aucun leader qui aurait pour but de ramener la gauche au pouvoir.

Dans ces conditions, comment se fait-il que ce mort-vivant continue de hanter l’espace politique à gauche ? Répondre à cette question oblige à se demander non plus ce que n’est pas le NFP mais ce qu’il est réellement. Son maintien exprime d’abord la volonté des organisations de gauche de préserver le mythe de l’union, encore vivant dans une part importante de leurs électorats, craignant que le fait de le briser serait dénoncé comme une trahison ; ensuite l’absence d’une stratégie alternative à l’union de la gauche, aucune des composantes n’ayant accompli la révision doctrinale qui lui permettrait d’envisager d’autres alliances ; enfin, chez nombre d’élus, l’espoir que l’alliance électorale de 2024 pourrait être ranimée pour les prochaines élections et leur permettrait de conserver leur siège. Le NFP, réduit aux acquêts, traduit en réalité le renoncement des formations de gauche à envisager sérieusement quels seraient les moyens nécessaires pour avoir une chance d’accéder un jour au pouvoir.

 

[1] Une version courte de cet article a paru le 11 juin dans Le Figaro dans le cadre d’une présentation de l’ouvrage dirigé par Anne Muxel et Bruno Cautrès, Le Vote sans issues. Chronique électorale 2024, PUG, 2025.