L’équation à quatre inconnues d’Angela Merkel edit

10 octobre 2017

Plus de deux semaines après les élections au Bundestag, la vie politique allemande est suspendue à un scrutin régional en Basse-Saxe qui semble concentrer toute l’attention des partis politiques. La grande coalition entre les chrétiens démocrates et les sociaux-démocrates vit ses derniers jours et expédie les affaires courantes mais les préparatifs pour une nouvelle coalition n’ont pas vraiment commencé.

Le SPD qui, avec l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz, a enregistré son plus mauvais résultat depuis le début de la République fédérale en 1949 (20,5% des voix), s’est décidé pour une cure d’opposition. Politiquement – si l’on coupe l’omelette par les deux bouts, Die Linke à l’extrême-gauche, et l’AfD, à l’extrême-droite – et arithmétiquement, il n’existe alors qu’une seule constellation possible : la coalition dite « jamaïcaine » aux couleurs du drapeau de la petite République des Caraïbes, noire pour la démocratie chrétienne, jaune pour les libéraux (FDP) et verte pour les écologistes. Cette formule, inédite au niveau fédéral – elle a échoué en Sarre et goûte l’euphorie des débuts au Schleswig-Holstein –, a de bonnes chances de voir le jour, mais le nouveau gouvernement allemand ne devrait pas être en place avant la fin de l’année.

D’interminables palabres

Le calendrier est à peu près fixé. Après les élections régionales de Basse-Saxe commenceront les « sondages » entre les partis concernés. On ne sait pas encore si, à ce stade, tout le monde parlera avec tout le monde ou si les « sondages » auront lieu sur une base bilatérale. Puis viendra le temps des négociations proprement dites pour la mise au point d’un accord de gouvernement censé durer quatre ans. Les Verts ont déjà composé leur délégation qui ne compte pas moins de quatorze membres représentant toutes les tendances du parti. À chaque étape, selon les statuts des différentes formations, les instances dirigeantes ou des mini-congrès, voire des consultations des adhérents, seront appelés à entériner sur les résultats obtenus.

L’accord de gouvernement qui devrait sortir de ces interminables palabres sera inévitablement un compromis entre les positions des différents partis. Apparemment, il y a trois protagonistes : la démocratie chrétienne, les libéraux et les Verts. Mais l’apparence est trompeuse. Angela Merkel doit en réalité résoudre une équation à quatre inconnues. La CSU, l’avatar bavarois de la démocratie chrétienne, se comporte en fait comme un parti indépendant de la CDU. Menacée sur sa droite par les populistes de l’AfD, elle risque de perdre au Parlement régional de Munich la majorité absolue qui est sa raison d’être. Dans les négociations pour la formation du gouvernement fédéral, elle réclamera un coup de barre à droite et pourrait être pour la chancelière un interlocuteur plus coriace que les libéraux et les écologistes réunis. Avant de commencer les « sondages », il faut voir si la CDU et la CSU sont « toujours des partis frères sur le fond de la politique », a déclaré le chef des députés CSU au Bundestag, qui est encore par ailleurs ministre des Transports. En fait, les dirigeants bavarois n’ont qu’une obsession, la fixation d’un « plafond » au nombre de réfugiés que l’Allemagne pourrait accepter chaque année. Depuis 2015, ils se heurtaient à un refus d’Angela Merkel. Avant d’entamer des négociations avec les autres partis, CDU et CSU ont trouvé un compromis : l’Allemagne accueillera 200 000 réfugiés par an, sauf si des circonstances exceptionnelles exigent qu’elle en reçoive plus. C’est ce qu’Angela Merkel a appelé « résoudre la quadrature du cercle ».

Le Canada, modèle pour l’immigration

A priori les positions des libéraux et des Verts sur l’immigration sont aussi aux antipodes. Les premiers veulent durcir les conditions de l’asile pour les réfugiés et n’accepter que des migrants hautement qualifiés. Les écologistes, qui ont soutenu l’ouverture des frontières décidée par Angela Merkel, plaident pour une politique migratoire « humaniste ». Tous pourraient toutefois se retrouver autour d’une loi sur l’immigration inspirée du modèle canadien.

Un autre point de désaccord entre le FDP et les Verts que la chancelière devra arbitrer concerne la politique fiscale. Ce sujet avait été au cœur des dissensions entre les démocrates chrétiens et les libéraux dans la coalition « bourgeoise » présidée par Angela Merkel entre 2009 et 2013. Le FDP s’est toujours présenté comme le « parti de l’économie et de l’entreprise ». Il plaide pour des allègements fiscaux allant de 30 à 40 milliards d’euros par an jusqu’en 2021, notamment pour les contribuables les plus aisés, rendus possibles, selon lui, par les recettes supplémentaires attendues. Le chef du parti, Christian Lindner, 38 ans, est candidat pour le poste de ministre des Finances. Celui-ci vient opportunément de se libérer, son détenteur actuel Wolfgang Schäuble devant accéder à la présidence du Bundestag.

Les Verts ne sont pas opposés à une baisse de la fiscalité à condition qu’elle profite aux familles. Ils ont abandonné leur revendication d’un impôt sur la fortune dont même la gauche du parti ne parle plus. Cette gauche qui avait fait échouer une coalition a  vec la CDU-CSU en 2013. Les rentrées fiscales étant florissantes, une baisse des impôts fait l’unanimité. Seul le montant diffère. La CSU aussi plaide pour 30 milliards. Angela Merkel et Wolfgang Schäuble étaient d’accord pour 15 milliards. Ce ne sera pas un casus belli.

Les libéraux, de l’euro-enthousiasme à l’euroscepticisme

Plus délicate à rédiger pourrait être le chapitre « Europe » de l’accord. Pour attirer les électeurs et revenir au Bundestag après quatre ans d’opposition, le FDP a adopté pendant la campagne un ton eurosceptique qui a plu à ses électeurs les plus âgés (48% des électeurs libéraux ont plus de 60 ans). Pas question de mettre en danger les économies des Allemands en acceptant des transferts en faveur des pays de la zone euro en déficit. Le FDP s’est prononcé contre la création d’un budget de la zone euro – Angela Merkel aussi est sceptique – et contre la transformation du Mécanisme européen de stabilité en Fond monétaire européen, une idée soutenue par Wolfgang Schäuble. Officiellement les propositions d’Emmanuel Macron ne trouvent pas grâce aux yeux des libéraux. Mais le vieux parti de Genscher n’a pas complètement oublié sa tradition européenne. « L’Allemagne n’a pas d’autre intérêt national que l’intérêt européen », disait celui qui a été pendant dix-huit ans ministre des Affaires étrangères de Helmut Schmidt puis de Helmut Kohl. Avec le FDP au pouvoir et surtout si Christian Lindner devient ministre des Finances, un poste stratégique dans la politique européenne, le dialogue avec l’Allemagne sera toujours fondé sur le même principe : plus d’Europe oui, mais selon les règles allemandes et avec moins d’argent.

L’autre sujet sur lequel les libéraux et les Verts se sont affrontés pendant la campagne électorale concerne le climat. Le FDP est contre la fermeture des centrales à charbon les plus polluantes ; les écologistes sont pour. Il est contre l’interdiction des moteurs diesel ; ils sont pour. Il est contre des règles contraignantes pour laisser jouer le marché ; ils veulent une politique volontariste. Toutefois Christian Lindner s’est défendu d’être un « climatosceptique ». Libéraux et Verts pourraient très bien tomber d’accord sur les objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique même s’ils diffèrent sur les moyens. La CSU bavaroise est plutôt du côté des libéraux. La CDU oscille entre les deux, ouvrant un espace bienvenu pour les arbitrages d’Angela Merkel.

Avant même que les contacts officiels aient eu lieu entre les alliés potentiels, la future coalition a trouvé son slogan : faire de l’Allemagne une République numérique. Pour l’école, la formation, le développement des réseaux… Modernité et numérisation seront les deux piliers du nouveau gouvernement si les querelles internes, les rivalités personnelles, la peur de l’extrême-droite n’empêchent pas in extremis une expérience politique inattendue.