Trumponomics: ça passe ou ça casse edit
Les premières décisions du président Donald Trump ont beau soulever un tollé dans le monde, il faut reconnaître qu’elles étaient inscrites noir sur blanc dans son programme. S’agissant des relations économiques entre les Etats-Unis et leurs partenaires, l’Europe en particulier, l’analyse prospective sera plus utile que la dénonciation, aussi justifiée soit celle-ci. Malgré, ou peut-être en raison des incertitudes ouvertes par les contradictions du programme économique du candidat Trump, on peut tenter de voir se dessiner un avatar du pragmatisme économique américain, certes plus agressif mais pas fondamentalement différent des précédents. Il est également clair que le coup de barre nationaliste du nouveau président est gros de risques, aussi bien pour l’économie américaine que mondiale.
Navarro = Mélenchon ?
Commençons par l’interprétation la plus pessimiste et, on l’espère, la moins probable. Elle consiste à prendre au pied de la lettre les imprécations du conseiller commercial du président, l’économiste Peter Navarro, auteur d’un très populaire pamphlet devenu film, ‘Tué par la Chine’ (‘(Death by China, 2011), et faire l’hypothèse que la politique America First appliquera une doctrine mercantiliste qu’on peut résumer par « les exportations c’est bien, les importations c’est mal », proche de celles d’un Jean-Luc Mélenchon ou d’une Marine Le Pen. Le bon sens politique, conforté par l’histoire économique, montre qu’une politique protectionniste enclenche inévitablement une escalade protectionniste. L’agressivité à l’égard de la Chine et de l’Allemagne, qui ont en commun d’être les plus grands exportateurs de la planète et d’avoir des excédents extérieurs considérables, apporte de l’eau à cette interprétation. Les deux pays sont mis au pilori, la Chine accusée de manipulation de sa devise, l’Allemagne d’avoir concocté un arrangement monétaire machiavélique, l’euro, pour nourrir sa « machine à exporter » et asservir ses partenaires, selon une rhétorique qu’on croirait empruntée à Yannis Varoufakis.
Les Etats-Unis ne peuvent s’offrir le luxe du protectionnisme
Peu importe l’absurdité de ces accusations – en réalité, la Chine cherche désespérément à endiguer les fuites de capitaux qui font chuter le yuan et l’Allemagne n’accepta l’euro que sous la pression politique de la France – la désignation de boucs émissaires fonctionne bien politiquement. Cependant, et même si les premiers décrets présidentiels s’y rattachent idéologiquement, une politique systématiquement mercantiliste se heurterait rapidement à la dure réalité. Les Etats-Unis sont bien plus insérés dans le commerce mondial qu’à l’âge d’or de la suprématie américaine, dans l’immédiat après-guerre. La part des échanges commerciaux (moyenne des exportations et des importations) dans le PIB américain a plus que triplé depuis 1950, passant de 4% alors à 13% en 2016. De plus, la spécialisation américaine, parfaite illustration de la théorie des avantages comparatifs tant honnie des protectionnistes, porte sur les produits technologiques et les services, ces derniers représentant 34% des exportations totales. Une guerre commerciale frapperait donc les Etats-Unis là où ils sont les plus forts et créent le plus de valeur. Elle ne ramènerait pas les emplois « perdus » au profit des pays à bas salaires non plus, tant est large l’écart de coûts salariaux – ils sont 17 fois plus bas aux Philippines qu’aux Etats-Unis. Elle provoquerait une contraction du commerce mondial – déjà atone— et un fort ralentissement économique, sans compter que l’inflation qui en résulterait forcerait la Fed à monter les taux, augmentant ainsi le risque de récession. De tels enchaînements ruineraient les ambitions de M. Trump de conserver une majorité aux élections législatives de 2018 et de se faire réélire en 2020.
La stratégie du blaireau africain
Une interprétation qu’on espère plus réaliste consiste à observer la tactique que Donald Trump a suivie dans ses affaires et que son idéologue en chef Steve Bannon nomme la tactique du ratel, ce blaireau africain considéré comme le plus agressif des mammifères : attaquer, toujours attaquer, négocier ensuite seulement. Selon cette interprétation, les premières décisions de la Maison-Blanche, sortie du partenariat transpacifique (TPP), renégociation imminente de l’accord de libre-échange nord-américain (NAFTA) sous la menace d’une dénonciation du traité, menace de relèvement des tarifs douaniers, sont avant tout destinées à construire une forte position de négociation vis-à-vis des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis.
Le beurre OK, mais l’argent du beurre aussi ?
Le principal argument en faveur de cette analyse est offert par l’incompatibilité des objectifs du programme Trump, qui revendique le beurre (stimulation budgétaire et protectionnisme) et l’argent du beurre (des taux bas et un dollar faible). D’un côté, le président veut engager un programme de remise à niveau des infrastructures du pays, tout en baissant les impôts sur le revenu et les bénéfices, ce qui ne peut qu’augmenter le déficit budgétaire. Peter Navarro le conteste, mais au prix d’hypothèses d’impact sur la croissance tellement invraisemblables – un doublement de la croissance potentielle – qu’on espère pour lui qu’il n’y croit pas. Or une politique budgétaire expansionniste poussera le dollar à la hausse, car, appliquée à une économie déjà au plein emploi, elle accélérera les hausses de salaires et l’inflation, et donc poussera la Réserve Fédérale à remonter ses taux plus qu’elle ne le ferait autrement, incitant les investisseurs à la recherche de rendement à arbitrer en faveur des obligations américaines. Une taxe sur les flux commerciaux inspirée de la TVA, pour laquelle les importations ne seraient pas déductibles alors que les exportations le seraient, augmenterait le niveau des prix et donc, temporairement, l’inflation, ce qui renforcerait le mécanisme précédent. Il est d’ailleurs piquant de noter que le député républicain Kevin Brady, en charge des questions fiscales à la chambre et partisan de cette taxation des flux avec « ajustement à la frontière », explique que la taxe ne serait pas inflationniste, car le taux de change s’ajusterait « d’une façon efficiente », douce litote pour dire que le dollar s’apprécierait à due concurrence.
Les Etats-Unis devront s’accommoder d’un dollar fort
Le candidat Trump n’hésitait pas à dire que la Fed devrait soutenir sa politique (en s’abstenant de remonter les taux) une fois élu et que le dollar était surévalué. La contradiction est donc flagrante mais on peut observer que, si les premières mesures budgétaires (le mur) et protectionnistes ont été prises, la nouvelle Administration est bien moins bruyante sur la Fed et le change, le futur Secrétaire d’Etat au Trésor Steven Mnuchin ayant même été jusqu’à dire que le Président Trump souhaite un dollar fort « à long terme ». Il semble donc que la nouvelle Administration devra bien s’accommoder à la fois de taux d’intérêts plus élevés et d’un dollar plus fort, ce qui réduirait considérablement l’impact négatif sur le reste du monde de ses velléités protectionnistes.
Sous cette hypothèse et pour le reste du monde, la politique économique du Président Trump n’aurait pas nécessairement un impact négatif : par le canal du taux de change, les tensions inflationnistes américaines seraient exportées vers le reste du monde où le risque penche encore du côté de la déflation, et l’accélération, même temporaire, de la croissance américaine pourrait compenser les frictions crées par les mesures protectionnistes partielles de la nouvelle administration. Les partenaires commerciaux des Etats-Unis devraient faire des concessions, à commencer par la Chine, le commerce mondial en souffrirait très probablement mais de façon limitée, à condition, bien entendu, que les mesures protectionnistes restent suffisamment limitées pour ne pas déclencher pas une escalade protectionniste.
Le risque d’hybris
Que se passerait-il si le président Trump voulait vraiment le beurre et l’argent du beurre ? Il pourrait faire pression sur la Fed en remplaçant Janet Yellen à la fin de son mandat, début 2018, par un homme à ses ordres. L’histoire nous offre un épisode de ce genre, lorsqu’Arthur Burns, président de la Fed de 1970 à 1978, céda aux pressions de Richard Nixon et laissa l’inflation s’envoler sans réagir, de peur de causer une récession. Le résultat fut à la fois une très forte inflation (13% en 1980) et une dure récession, lorsque son successeur Paul Volcker dut prendre le taureau par les cornes. Alternativement, le Trésor américain pourrait décider d’intervenir unilatéralement sur les marchés de change pour affaiblir le dollar, en violation des accords du G7. Là aussi, le verdict de l’histoire est net : une « guerre des changes », c’est-à-dire un cycle de dévaluations compétitives, s’ensuivrait, ce qui déstabiliserait le système financier mondial, ferait flamber les taux d’intérêt et, très probablement, causerait une récession. L’échec serait d’ailleurs total car, plus chaotique serait la situation mondiale, plus le dollar finirait par se renforcer, les investisseurs internationaux ayant toujours pour réflexe de privilégier les obligations du Trésor américain en cas de crise, pour des raisons de sûreté et de liquidité.
On peut craindre qu’aveuglé par de premiers succès commerciaux bien visibles, le nouveau président ne cède encore plus à l’hybris et ne cherche à forcer la logique économique. Mais il le ferait à ses dépens, car la montée du chômage aux Etats-Unis lui ôterait toute chance d’être réélu. On ose espérer que l’anticipation de cet enchainement sera suffisamment dissuasive.
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