Ukraine: la démocratie progresse, la corruption aussi edit
Depuis deux ans, l'Ukraine a subi des changements rapides et complexes qui peuvent déconcerter les observateurs étrangers, mais il reste possible de dégager les traits les plus saillants : avancées de la démocratie, retour de la corruption.
Les thèmes dominants de la Révolution Orange étaient la liberté, la démocratie et la justice, alors que les thèmes économiques et sociaux en étaient notablement absents. On n’obtient souvent que ce qu’on demande : les réussites les plus spectaculaires et les plus rapides de la Révolution Orange furent la liberté d'expression et celle des médias. La diversité de ceux-ci semble solidement garantie par celle de leurs propriétaires, et leur qualité s'est beaucoup améliorée. Par ailleurs, divers mouvements populaires se sont succédé au niveau local, ce qui montre que les Ukrainiens n'ont plus peur.
La démocratie a aussi fait de gros progrès. L'Ukraine a beaucoup avancé dans la voie du parlementarisme, un système qui garantit plus de transparence et de responsabilité. Elle a adopté un système électoral à la proportionnelle, qui a permis de structurer le système des partis. Un équilibre des pouvoir s’est établi entre le Parlement et le président.
De nombreux Ukrainiens s’irritent que l'on n'ait pas envoyé les « bandits » en prison. Mais l’Etat de droit n’admet pas l’arbitraire de la justice révolutionnaire. L’évolution du système judiciaire commence toujours par le haut, et on notera à cet égard que dans leur nouvelle composition, la Cour de Justice constitutionnelle et la Cour suprême se sont sérieusement renforcées. Représentant différents corps, ces instances sont plus équilibrées et on peut espérer qu’elles se montreront plus objectives. A en croire Transparency International, une ONG qui fait autorité sur ce sujet, la corruption a beaucoup décliné tant en 2005 qu'en 2006, comme on pouvait s’y attendre au vu des nouvelles possibilités de la dénoncer publiquement.
Les législatives du 26 mars 2006 furent un franc succès pour la démocratie. Cinq partis ont passé le seuil de 3 % qui permet la représentation au Parlement. Pour former le gouvernement, au moins deux des trois principaux, le parti des Régions du Premier ministre Viktor Ianoukovitch, le Bloc de Ioulia Timochenko et Notre Ukraine du Président Viktor Iouchtchenko, ont dû former une coalition.
A l’issue de marchandages peu glorieux, Ianoukovitch et Iouchtchenko se sont mis d'accord au début du mois d'août sur un gouvernement de coalition. À ce moment, on a pu avoir l’impression d’un compromis historique. Le parti pro-occidental Notre Ukraine obtenait ce qui lui importait le plus – la politique étrangère, l'application de la loi et la culture, tandis que les Régions recevaient ce qui intéresse davantage l'est du pays, l'économie, même si la nomination du président de la banque centrale revenait à Viktor Iouchtchenko.
Malheureusement, cette coalition était mort-née. Notre Ukraine a débattu deux mois pour décider si le parti devait rejoindre la coalition, pour finalement décider que non – bel exemple de suicide politique. Ses dirigeants se sont tellement disputés qu’ils ont laissé leur espace politique vacant.
Les oligarques se sont dès lors empressés de réoccuper le terrain. Il faut savoir que le pays est dominé par quatre entreprises métallurgiques, toutes basées à l'Est et qui comptent chacune 100 000 salariés environ. Deux sont installées à Donetsk et deux à Dniepropetrovsk ; toutes se font une âpre concurrence.
La plus importante est System Capital Management, basé à Donetsk et propriété de Rinat Akhmetov, qui est la colonne vertébrale du parti des Régions. Ioulia Timochenko a quant à elle réuni de nombreux et puissants hommes d'affaires dans son groupe parlementaire, tout en s’alliant étroitement au Privat Group de Dniepropetrovsk. Après l’effondrement de Notre Ukraine en octobre, le président Iouchtchenko a réorienté sa stratégie. Il a invité à rejoindre son équipe plusieurs dirigeants du troisième groupe industriel, l'Union Industrielle du Donbass (dont le siège est à Donetsk). Il s’est également rapproché du quatrième groupe, l'Interpipe de Viktor Pinchuk (basée à Dniepropetrovsk).
L'Ukraine a ainsi équilibré les pouvoir entre gouvernement, président et opposition parlementaire et par la même occasion entre les grands groupes industriels et les trois principales personnalités politiques. Tout ce petit monde peut régler ses conflits devant une Cour de Justice constitutionnelle qui n’est pas sans évoquer les États-Unis au 19e siècle. En termes de législation, l'Ukraine est toujours en retard sur les autres ex-pays de l’est, mais en étant optimiste on peut imaginer que ce nouvel équilibre des pouvoirs amènera le développement, plus rapide que celui de la législation, d’une jurisprudence qui vu la préséance de la Cour de Justice pourrait fonder un système de common law..
La politique économique est entièrement aux mains du parti des Régions, qui soutient les intérêts des grandes entreprises. Le nouveau gouvernement centre ses efforts sur la croissance, et sur le plan fiscal il se montre conservateur. La grande question est une adhésion à l’OMC qui aura probablement lieu vers février 2007, bien avant celle la Russie. Cela suppose de jouer avec les transferts sociaux, en les indexant sur les prix plutôt que sur les revenus. Comme conséquence, le gouvernement espère faire passer l’imposition des entreprises de 25 à 20 % et la TVA de 20 à 18 % en 2008. Il a abandonné les discussions sur les reprivatisations et recommande de renforcer les droits de propriété existants ainsi que les ventes de terrain agricole privés.
La corruption à grande échelle reste un sérieux souci. Les mauvaises habitudes sont vite revenues, et en particulier la distribution de remboursements de TVA aux exportateurs. Dès le premier mois du nouveau gouvernement, l'Ouest a presque cessé de percevoir ses remboursements alors que l'Est obtenait deux fois sa part. La rumeur publique dit aussi que les fonctionnaires du fisc demandent un bakchich de 30 % pour ces remboursements indus.
Le gouvernement Ianoukovitch a également interdit les exportations de céréales, affirmant que les exportations doubleraient les prix domestiques. En réalité, l'Ukraine n'exportera probablement pas moins de 10 millions de grain cette année, on donnera le monopole de ces exportations à quelqu’un qui en profitera pour imposer aux paysans ukrainiens un prix en dessous du marché.
La troisième source d’inquiétude, en termes de corruption, est le commerce du gaz. Le ministre de l’Energie n’est autre que Yuriy Boiko, plus connu comme fondateur de RosUkrEnergo. Des voix éminentes affirment que Boiko a pour ambition de mettre en faillite l’entreprise publique Naftohaz Ukrainy, afin d’en racheter les débris à bas prix.
La création de zones franches et les nouveaux investissements publics, enfin, pourraient bien être destinées à satisfaire les intérêts des acteurs économiques les plus puissants, alors que les PME pourraient bien faire les frais de ces cadeaux fiscaux.
La question est simple. La démocratie ukrainienne est-elle assez forte pour arrêter ce terrible retour de la corruption ? J’ose espérer que la plupart de ces projets sont trop bien connus du public pour pouvoir être menés à terme, mais seul l’avenir le dira.
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