Poutine démasqué edit
La plupart des dirigeants politiques sont médiocres, certains sont des héros et quelques-uns ont simplement de la chance. En Russie, beaucoup voient le président Poutine comme un héros - un réformateur autoritaire qui a ramené la croissance économique et la stabilité. Mais scrutons son bilan d'un peu plus près.
La plus remarquable réussite du pays est la multiplication par six du PIB, qui est passé de 200 milliards de dollars en 1999 à 1200 milliards cette année. Mais ce chiffre est largement à mettre au crédit des réformes du marché entreprises dans les années 1990. Le taux de croissance réel n'est pas exceptionnel. Les pays de la zone eurasienne, de la Chine à la Baltique, ont connu un taux de croissance annuel compris entre 7 et 11% depuis 2000 ; celui de la Russie n'a été que de 6,7%. En dépit de l'abondance du pétrole et du gaz, son taux de croissance ne la place qu'au neuvième rang parmi les 15 anciennes républiques soviétiques sur cette période. Pourquoi ? La raison principale est que la Russie est en retard sur la plupart des réformes. La stabilisation financière reste inachevée. L'an dernier, l'inflation était de 9%, et elle continue à croître. Le gouvernement n'a pas attendu les élections récentes pour abandonner la prudence macroéconomique, augmentant les dépenses publiques alors même que le taux d'inflation s'élevait. Dans le même temps, il a imposé un contrôle des prix sur l'essence et la nourriture, ce qui a causé des pénuries. Une pensée économique de type soviétique a fait son retour.
Quelle stabilité politique est possible quand personne ne sait rien de l'avenir politique de la Russie après mars 2008 ? Dans son discours du 21 novembre, Poutine a dit que dans les prochains mois, " un renouvellement complet au plus haut niveau du pouvoir russe " aurait lieu, mais il a refusé de s'expliquer plus en détail, laissant ainsi le pays dans l'incertitude complète. Il n'a pas non plus expliqué ce que le très médiatisé " Plan de Poutine " est en réalité.
Vladimir Poutine a construit un système autoritaire personnel dans lequel il prend toutes les décisions majeures. Cette extrême centralisation du pouvoir a pour conséquence une mauvaise information des décideurs. La presse, contrôlée par le gouvernement, étouffe tout débat politique. La crainte augmente avec la répression. En conséquence, les décisions centrales sont de médiocre qualité. Pendant son deuxième mandat, Vladimir Poutine n'a pratiquement pas entrepris de réformes économiques, et n'a donc guère contribué à la croissance économique. Ses efforts ont surtout été consacrés à renforcer l'autoritarisme et à laisser ses amis du KGB pétersbourgeois s'adonner aux renationalisations et aux vols qui ont empêché l'investissement et le développement de la production, surtout dans le secteur de l'énergie.
Les systèmes autoritaires personnels ne sont pas très stables, parce qu'ils reposent entièrement sur un dirigeant. Le système s'effondre habituellement quand celui-ci quitte ses fonctions. Comme Vladimir Poutine a consciencieusement miné de nombreuses institutions, il est évident qu'il compte rester aux commandes.
Ce système n'a d'autre légitimité que la croissance économique. Fort heureusement, le président russe n'a pas développé d'idéologie, même s'il joue avec le nationalisme russe. Il n'a pas non plus créé de parti : après tout, Russie Unie n'est qu'une coalition de bureaucrates d'Etat. Il est remarquable de constater que le grand discours de Moscou, le 21 novembre, n'a attiré que 5000 personnes. Si le régime peine à maintenir un haut niveau de croissance économique, il va probablement être affaibli, même s'il conduit une politique de répression.
L'entourage de Poutine est notoirement corrompu, mais beaucoup pensent que le président est honnête. En février 2004, le candidat à la présidentielle Ivan Rybkin a nommé trois hommes qui seraient les intermédiaires du président. Parmi eux figurait Gennady Timchenko, cofondateur de la compagnie pétrolière Gunvor. Après cette déclaration, Rybkin a disparu de la scène politique. En septembre, la revue polonaise Wprost écrivait que Timchenko, un ancien officier du KGB qui est aussi membre de la coopérative pétersbourgeoise de datchas de Poutine, est à la tête d'une fortune de 20 milliard de dollars. Officiellement, Timchenko négocie le pétrole de quatre compagnies russes ; mais comment les prix sont-ils fixés, pour produire de tels profits ?
Dans un entretien sensationnel accordé au journal allemand Die Welt le 12 novembre dernier, Stanislav Belkovski, un homme de réseaux qui fut à l'origine de la campagne du Kremlin contre Yukos en 2003, a donné quelques éléments plus précis sur la richesse de Vladimir Poutine. Il pense que Poutine possède 37% de Surgutneftegaz (pour une valeur de 18 milliards de dollars), 4,5% de Gazprom (13 milliards) et la moitié de la compagnie de Timchenko, Gunvor (probablement 10 milliards). Si cette information est vraie, la fortune personnelle totale du président russe s'élèverait à 41 milliards de dollars au moins, ce qui en ferait un des dix hommes les plus riches du monde.
Cela fait des années que des rumeurs courent sur ces actions, mais elles sont aujourd'hui relayées par un éminent journal international interrogeant une source fiable. Si ces chiffres sont vrais, Vladimir Poutine serait le dirigeant politique le plus corrompu de toute l'histoire mondiale, loin devant le Philippin Marcos et le Zaïrois Mobutu.
L'an dernier, un tribunal arbitral de Zurich a établi que Leonid Reiman, proche pétersbourgeois de Poutine depuis ses années dans les services secrets, détient environ 6 milliards d'actifs dans les télécommunications ; il se trouve qu'il est aussi ministre des Télécommunications. La seule réaction du Kremlin fut de bloquer cette information dans la presse russe.
Aussi bien la Banque mondiale que Transparency International estiment que la corruption a augmenté en Russie après 2004, alors qu'elle diminuait dans la plupart des anciennes républiques soviétiques. Récemment, quelques hauts fonctionnaires ont été arrêtés pour crime organisé, mais cela n'a rien à voir avec une véritable lutte contre la corruption. On considère que ces arrestations ne sont que la conséquences de querelles intestines au sein des amis tchékistes pétersbourgeois du président.
Vladimir Poutine n'a pas non plus ramené l'ordre en Russie, comme le montre une excellente analyse de Brian Taylor, de l'université de Syracuse. Malgré une hausse spectaculaire des dépenses consacrées au maintien de la loi, le taux de meurtre annuel moyen a été plus haut sous Vladimir Poutine que sous Eltsine. Selon Brian Taylor, aucun autre pays, en dehors de l'Irak et de l'Afghanistan, n'a subi autant d'attaques terroristes que la Russie (même hors Tchétchénie) après le 11-Septembre.
Ceux qui soutiennent Vladimir Poutine affirment qu'il a restauré le rang de la Russie sur la scène mondiale et qu'il a restauré ses capacités militaires ; or, ce n'est pas vrai. La réforme de l'armée s'est arrêté, et des centaines d'appelés sont conduits au suicide chaque année parce qu'ils sont traités comme des esclaves. Les listes d'achats militaires se fixent sur les priorités de la Guerre Froide dans les années 1970, avec des missiles balistiques intercontinentaux, des sous-marins et des porte-avions nucléaires, au lieu des nouvelles armes intelligentes qui répondent aux besoins militaires contemporains.
Mon verdict est que Vladimir Poutine a eu une chance fantastique, qu'il a utilisée pour asseoir un pouvoir autoritaire anachronique. On pourrait dessiner une analogie historique avec le tsar Nicolas I, qui a régné de 1825 à 1855 à l'avantage de personne sauf du cercle de ses proches. Les abondants revenus de pétrole ont permis à Poutine d'éviter des réformes difficiles et ont permis à ses amis de s'adonner à l'une des pires corruptions que le monde ait jamais vues.
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