La Biélorussie dans l’impasse edit

3 juin 2011

Une fois de plus, la Biélorussie est entrée dans une de ses nombreuses crises de paiements. Habituellement, cela se termine avec l’intervention de la Russie. La tentative de sauvetage a bien eu lieu cette fois-ci, mais cette crise est peut-être plus grave.

Mais au fait, y a-t-il une crise ? Officiellement, le PIB du pays a augmenté de 7,6% l’année dernière et le déficit budgétaire ne dépassait pas 3,5% du PIB. Néanmoins on ne peut pas tenir ces chiffres pour fiables. Les dépenses publiques n’incluent pas les importants prêts subventionnés par l’État, et on sait qu’un taux d’inflation élevé permet de gonfler le taux de croissance officiel, comme on le faisait au temps de l’URSS. L’économie biélorusse est essentiellement une économie surréglementée de type soviétique, qui n’a été que très partiellement libéralisée. Le secteur public génère 70% du PIB.

C’est le président Alexandre Loukachenko qui est à l’origine de l’actuelle crise des paiements, avec sa décision d’augmenter les salaires publics de pas moins de 50% à l’automne 2010, en vue de l’élection présidentielle du 19 décembre. Sur ses promesses d’un salaire moyen de 500 dollars par mois, les salaires nominaux ont augmenté de 41% en 2010 et les salaires réels de 25%. Notons que même après cette mesure populiste, Loukachenko a usé d’une violence sans précédent pour remporter cette élection.

Malgré cette énorme augmentation des salaires, économiquement injustifiée, la Biélorussie a maintenu l’indexation de sa monnaie au dollar américain. En conséquence, les productions du pays sont littéralement sorties des prix de marché, et les exportations ne peuvent plus suivre les importations. Le déficit du compte courant s’est élevé à 8,5 milliards de dollars l’an dernier, soit 15,6% du PIB, et les investissements directs étrangers ne dépassent pas 2 milliards par an.

Le pays a donc besoin de 6 milliards de dollars de financement international cette année. Traditionnellement, la Russie a contribué à combler ce trou grâce à des subventions implicites sur les prix de l’énergie, qu’on peut estimer à environ 15% par an du PIB biélorusse, car le pétrole et le gaz russe sont vendus beaucoup moins chers au Belarus qu’à d’autres pays. Pendant des années, le Kremlin a tenté de réduire ces subventions, mais Loukachenko a résisté avec succès. Son dernier exploit, en décembre, fut d’extorquer au Kremlin un gain de 2% du PIB en prix du pétrole. Même ainsi, les « subventions » russes à la Biélorussie s’élèveront à 7% de son PIB en 2011, ce qui est insuffisant. Et de nouvelles subventions sont peu probables aujourd’hui, compte tenu des relations assez tièdes qu’entretient en ce moment Loukachenko avec le Kremlin.

Au cours de la crise financière mondiale, la Biélorussie a pour la première fois signé avec le Fonds monétaire international un accord programmant 2,5 milliards de dollars d’aide d’urgence. Mais le FMI a récemment expliqué que les politiques économiques du pays ont été assouplies jusqu’à devenir insoutenables. L’an dernier, les prêts ont augmenté d’un intolérable 38%, et ces crédits sont subventionnés. L’inflation est en hausse rapide. En avril, l’inflation annualisée a atteint 18%, et elle pourrait facilement s’élever à 30% ou plus avant la fin de l’année. Le FMI a donc fermé ses portes au Belarus, tout comme l’avait fait l’Union européenne du fait des violations flagrantes des droits de l’homme. Beijing a partiellement comblé la brèche avec un important prêt en yuans au cours de la crise précédente, mais il s’agit simplement d’un mécanisme de compensation bilatérale pour les importations en provenance de Chine.

En fin de compte, seul le Kremlin cherche à aider Loukachenko. Après tout, la Biélorussie est un membre de l’union douanière avec la Russie et le Kazakhstan. La Russie a également établi une facilité de crédit extraordinaire d’urgence, le fonds anticrise de la Communauté économique eurasienne, avec le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Arménie et la Biélorussie. Son volume total est censé être de 10 milliards de dollars, dont 7,5 milliards de dollars fournis par les Russes. Après de longues négociations, ce fonds a décidé d’offrir à la Biélorussie un prêt de 3 milliards à 3,5 milliards de dollars qui sera versée sur trois ans, avec une première tranche d’un montant de 1,24 milliard de dollars cette année. L’argent est censé n’être versé que si sont réunies des conditions aussi difficiles que celles édictées par le FMI. Mais seul le FMI dispose des compétences pour effectuer ces contrôles, et son engagement actuel avec la Biélorussie est susceptible d’être limité.

Les Russes réclament essentiellement deux choses : une dévaluation du rouble biélorusse, probablement de 40%, et la privatisation de nombreuses entreprises de l’ancienne Union soviétique que de grandes sociétés russes veulent acheter.

La Biélorussie a commencé depuis plusieurs semaines à dévaluer sa monnaie. À l’heure actuelle, il a trois taux de change différents, avec une fourchette de variation de 40%. Le FMI a forcé la Biélorussie à procéder à une dévaluation similaire il y a deux ans, quand a été mis en œuvre le programme évoqué plus haut. Une dévaluation non contrôlée peut facilement amener la monnaie à dévisser, comme c’est le cas actuellement sur le marché libre.

Le ministre des Finances, Alexeï Koudrine, a déclaré en mai que la Biélorussie acceptait de privatiser 2,5 milliards de dollars d’actifs par an pour les trois prochaines années, à partir de 2011. Ce qui sera vendu, précisément, n’est pas encore connu. Loukachenko s’est catégoriquement opposés à certaines ventes d’importants actifs publics.

Certains observateurs pensent que la dévaluation et les privatisations vont résoudre la crise, en supposant que l’industrie manufacturière du pays développe rapidement ses exportations et que la balance courante s’améliore rapidement. Même s’il est dirigé par Loukachenko, la Biélorussie a quelques bons décideurs économiques.

Mais cette fois peut être différente. Les montants nécessaires sont plus élevés et le pays s’est aliéné tous les créanciers potentiels, à l’exception des Russes. Enfin les fortes hausses de salaires du secteur public sont à ranger parmi les politiques les plus absurdes de la présidence Loukachenko, qui a pourtant placé la barre assez haut.

Une question cruciale est de savoir si le modèle économique du Belarus est épuisé. Ce pays fabriquait les meilleurs produits soviétiques… mais ils sont encore soviétiques. Pour simplifier, il a vécu sur la vente de marchandises soviétiques aux provinces russes et du pétrole russe raffiné et des engrais à l’Europe occidentale. Mais les provinces russes sont désormais trop exigeantes pour les biens soviétiques.

Et le fardeau de la dette est toujours plus lourd. Avec la dévaluation, le PIB en dollars courants connaîtrait une forte contraction, passant de 55 milliards de dollars en 2010 à 35 milliards de dollars en 2011. En conséquence, la dette extérieure augmenterait de manière significative. La dette publique était de 11,9 milliards de dollars à la fin de 2010, soit 34% du PIB révisé. Pour un paria international comme la Biélorussie, c’est inquiétant. Ajoutons la dette des entreprises, et la dette extérieure totale du pays s’élève à 80% du PIB.

La précarité de cette situation est illustrée par les réserves internationales. Officiellement, elles sont tombées en dessous de 3 milliards de dollars, mais certains affirment que les réserves nettes sont négatives en raison des engagements pris.

La principale préoccupation de Loukachenko est la stabilité politique, mais la dévaluation nécessaire dans une économie fortement dépendante au commerce extérieur est susceptible de réduire les salaires réels d’environ un cinquième, reprenant la plupart des avantages accordés avant l’élection. Il est difficile de savoir si un régime autoritaire peut supporter un tel choc pour le niveau de vie. Mais si le gouvernement ne dévalue pas, le pays devra faire défaut. Loukachenko navigue entre aujourd’hui entre Charybde et Scylla.