Dynamiques politiques des européennes: quel impact sur la direction politique de l’UE? edit

30 mai 2024

Dans une étude récente publiée par l’Institut Jacques Delors, nous avons analysé les dynamiques politiques qui prévalent avant les élections européennes et leurs implications sur les équilibres et l’agenda politiques de l'Union européenne (UE) au cours de la prochaine législature. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes.

Les élections européennes se déroulent dans un paysage politique caractérisé par la fragmentation et la montée rapide et généralisée des partis populistes, en particulier de l'extrême droite, au cours de la dernière décennie. Les partis populistes détiennent désormais plus de 30% des sièges dans les parlements nationaux des États membres de l'UE, contre moins de 10% au début des années 2000.

Figure 1. Le paysage populiste dans l'UE. Part des sièges (%) détenus par les trois types de partis «populistes» dans les parlements nationaux

Rouge : extrême gauche ; gris clair : populistes ; gris foncé : extrême droite

Source : ParlGov ParlGov , The PopuList et calculs personnels. Note : La taille des parlements est normalisée entre les pays et pondérée en fonction de la taille de la population, ainsi qu'ajustée en fonction des adhésions à l'UE. Les dernières observations portent sur décembre 2023. Les partis populistes, tels que définis par The PopuList (2023), sont définis comme des « partis qui soutiennent l'ensemble des idées selon lesquelles la société est en fin de compte séparée en deux groupes homogènes et antagonistes, "le peuple pur” contre “l'élite corrompue”, et qui soutiennent que la politique devrait être l'expression de la volonté générale du peuple ».

Les partis populistes détenaient la majorité des sièges dans trois États membres de l'UE en décembre 2023 : en Italie (70%), en Hongrie (64%) et en Croatie (59%). En outre, ils disposaient de plus d'un tiers des sièges en Bulgarie (49%), en Slovaquie (45%), en Slovénie (44%), en Pologne (42%), en France (38%), aux Pays-Bas (35%), à Chypre (34%) et en Espagne (33%).

Figure 2. Le paysage populiste dans l'UE. Part des sièges (%) détenus par les partis «populistes» dans les parlements nationaux, par pays

Source : ParlGov, The PopuList et calculs personnels : ParlGov, The PopuList et calculs personnels Note : Malte est exclue car il n'y a pas de parti populiste dans le pays. Les dernières observations datent de décembre 2023.

Parce que les partis populistes sont traditionnellement eurosceptiques, leur progression a coïncidé avec une représentation croissante des partis eurosceptiques dans l'UE. Toutefois, le narratif de ces partis ne semble plus relever d’une stratégie eurosceptique « dure » traditionnelle ; il viserait plutôt à porter à l’échelle de l’Union un discours qui séduit au niveau national et à l’incarner dans des politiques européennes. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre la « normalisation » de la droite conservatrice radicale et aussi extrême dans plusieurs pays européens dont la France. Le débat européen n’y est plus réduit au clivage pour ou contre l’Union européenne. Il est désormais davantage centré sur le projet politique, l’orientation des politiques européennes et les manques qui ont été révélées par les crises successives.

Figure 3. L'euroscepticisme et le populisme dans l'UE. Part des sièges (%) dans les parlements nationaux occupés par des partis eurosceptiques

Source : Eurobaromètre, ParlGov et calculs propres : Eurobaromètre, ParlGov et calculs personnels. Note : La taille des parlements est normalisée entre les pays et pondérée en fonction de la taille de la population et ajustée en fonction des adhésions à l'UE. Les partis eurosceptiques sont tirés de la PopuList (2023).

La montée des partis populistes a profondément transformé le paysage politique européen et entraîné une fragmentation politique croissante. Au niveau national, la fragmentation a augmenté de manière significative depuis le début des années 2000 et en particulier au cours de la dernière décennie.

Figure 4. Fragmentation du paysage politique dans l'UE27. Nombre effectif de partis dans les parlements nationaux (au niveau UE puis par pays ; 2023 vs. 2000)

Source : ParlGov et calculs propres : ParlGov et calculs personnels. Note : Le nombre effectif de partis quantifie la fragmentation ou la concentration d'un système de partis - il compte le nombre de partis et le pondère par la force relative des partis. Il est calculé comme un divisé par la somme des carrés des parts de sièges de tous les partis dans chaque pays. La moyenne de l'UE27 est une moyenne simple qui n'est pas ajustée en fonction de l'adhésion ou de la taille de la population.

La fragmentation du paysage politique au niveau national accroît le risque de gouvernements nationaux moins cohérents et plus faibles. La part des gouvernements composés de trois partis ou plus est passée d'environ 30-40% au début des années 2000 à environ 60% ces dernières années. Dans le même temps, le nombre moyen de sièges occupés par le parti du/de la premier(e) ministre a diminué, passant de 35-40% à environ 30%.

Les paysages politiques nationaux se sont en outre éloignés d’une division entre deux grands blocs de gauche et de droite pour se caractériser aujourd'hui par une quadripartition. Depuis 2000, les partis traditionnels (centre-gauche et centre-droit) ont perdu des sièges dans les parlements nationaux, tandis que les partis plus à droite et les libéraux en ont gagné.

Si l'on considère les évolutions récentes, alors que le centre-gauche (« social-démocratie ») est stable depuis 2017 (autour de 20%), le centre-droit (« démocratie chrétienne » et « conservateurs ») a continué à décliner (à 28%). Tous deux restent loin de leurs niveaux les plus élevés (respectivement 43% et 45% au début des années 2000). La droite radicale et les partis libéraux se situent respectivement à 16 et 17%.

Figure 5. Paysage politique dans l'UE. Part des sièges (%) dans les parlements nationaux par famille de partis

Source : ParlGov et calculs personnels. Note : La taille des parlements est normalisée entre les pays et pondérée en fonction de la taille de la population, ainsi qu'ajustée en fonction des adhésions à l'UE. Les dernières observations sont pour décembre 2023.

Des évolutions similaires peuvent être observées au niveau européen. L'équilibre politique au sein du Conseil européen s'est éloigné du Parti populaire européen (PPE, centre-droit) et des sociaux-démocrates (S&D, centre-gauche). Les libéraux (ADLE/Renouveau) et la droite conservatrice (ECR) ont progressé.

Les élections européennes devraient refléter ces évolutions. Le centre-droit, le centre-gauche et les libéraux – qui ont soutenu la Commission actuelle – continueront de disposer ensemble d'une majorité au Parlement européen. Mais cette majorité sera plus faible dans le prochain Parlement que dans l'actuel. Le PPE devrait rester le groupe le plus important avec un nombre de sièges stable, tandis que S&D et Renew devraient perdre des sièges. A l'inverse, les groupes politiques eurosceptiques situés plus à droite - ECR et le groupe d'extrême droite Identité & Démocratie (ID) - devraient gagner des sièges.  Les Verts, favorables à une intégration accrue de l'UE, devraient subir des pertes significatives, tandis que la Gauche unitaire européenne (extrême gauche) devrait rester stable.

Figure 6. Élections au parlement européen en 2024. Projections par groupe politique et dans le temps

Source : Politico, Europe Elects et Parlement européen. Note : Les parts de sièges prévues pour chaque groupe politique correspondent à la moyenne de deux projections réalisées par Politico et Europe Elects. Les projections ont été réalisées le 1er avril (Politico) et le 31 mars (Europe Elects). Dans le panneau de droite, les groupes eurosceptiques et pro-UE comprennent les prédécesseurs des groupes politiques existants tels que l'ADLE (actuellement Renew) et l'ENF (actuellement ID).

Qu'est-ce que cela signifie pour le Parlement européen au cours de la prochaine législature ?

Les majorités sur les nominations (par exemple, la nouvelle Commission) ou sur les dossiers controversés seront plus difficiles à atteindre. Elles demanderont une cohésion plus importante des groupes politiques composant la coalition actuelle ou le soutien ponctuel de députés hors de la coalition (par exemple des Verts ou de l’ECR).

Les équilibres politiques se déplaceront vers la droite. Une coalition de gauche / centristes (Renew, S&D, Verts et Gauche unitaire européenne) ne serait plus possible. Une majorité de droite (Renew, PPE, ECR, ID) resterait en principe possible. Cela pourrait conduire le PPE à chercher à renforcer son influence et à déplacer l'orientation politique vers la droite, ce qui créerait des tensions au sein de la coalition actuelle.

La voix de la droite nationaliste sera plus forte. ID ou l'ECR pourrait devenir le troisième groupe politique par la taille, avec des implications pour l'attribution du temps de parole et des postes tels que les présidences de commission[1].

Dans ce contexte de fragmentation politique accrue, le risque pour l’Union européenne est que se creuse l'écart entre l'ampleur des défis et la capacité à s'accorder sur des réponses ambitieuses. Ceci pourrait conduire la prochaine Commission à se concentrer sur un agenda politique de nature à réunir un soutien transpartisan, comme le besoin de renforcer l'UE face aux défis extérieurs économiques et géopolitiques :

. la compétitivité de l'UE et sa capacité à renforcer les sources de croissance internes, face aux risques croissants de fragmentation du commerce international et aux subventions massives accordées par les États-Unis et la Chine à leurs entreprises nationales.

. le positionnement stratégique de l'UE, dans un monde où elle semble comparativement moins déterminée et unie dans l'affirmation de ses intérêts et de ses valeurs que d'autres grandes puissances géopolitiques telles que les États-Unis, la Chine ou la Russie.

. les transitions verte et numérique. La transition verte étant désormais confrontée à des réactions politiques hostiles, elle pourrait être de plus en plus abordée sous l'angle de la compétitivité et de l'autonomie stratégique.

Au-delà des élections européennes, le choix des personnalités qui dirigeront les institutions de l’UE et la manière dont elles exerceront leur rôle seront déterminants pour porter l’agenda stratégique européen et incarner les intérêts et valeurs de l’Union dans le monde actuel et à venir.  Alors que le rôle de président de la Commission sera de plus en plus celui de réunir des majorités politiques pour les initiatives législatives de la Commission, un président du Conseil européen respecté en Europe et dans le monde permettrait de fournir une vision stratégique à plus long terme et de jouer le rôle de gardien de l'Union.

Toutes les opinions exprimées ci-dessus et dans le document sont celles des auteurs et non celles des institutions pour lesquelles ils travaillent. Le document complet est disponible ici.

[1] Il convient de souligner ici l’incertitude sur la composition de certains groupes, notamment au vu de certains développements politiques récents, et notamment la rupture entre le Rassemblement National et l’AfD mais aussi les tensions au sein des libéraux de Renew du fait de la participation du VVD néerlandais à un gouvernement avec le PVV de Geert Wilders.