La Communauté politique européenne, une solution pour l’Ukraine? edit

May 30, 2022

À l’occasion de la journée de l’Europe, le 9 mai, le président Macron a lancé l’idée au Parlement européen d’une « Communauté politique européenne » (CPE), en réponse aux demandes d’adhésion à l’Union européenne présentées par l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie. Cette idée, qui fait écho à celle de Confédération européenne de François Mitterrand reprise par Enrico Letta, propose d’instituer un espace politique européen, au-delà de l’Union européenne. Elle pourrait constituer une solution pratique pour arrimer à l’UE des pays qui ne remplissent encore pas tous les critères pour y entrer formellement. Il convient alors d’en décrire succinctement les contours, d’en préciser le contenu et de pointer les interrogations soulevées.

La nouvelle question de l’élargissement

La guerre en Ukraine ravive la question de l’élargissement de l’UE, la demande d’adhésion de l’Ukraine ayant été déposée dès le début du conflit par le président Zelensky, qui émet par ailleurs des réserves sur l’idée de Communauté politique européenne. La Géorgie et la Moldavie ont aussi déposé leurs demandes d’adhésion.

L’UE doit répondre à ces demandes mais ces circonstances historiquement exceptionnelles montrent le besoin de mettre en place un format original d’arrimage.

Du rejet de la demande à l’adhésion complète, il existe déjà divers types de relations à l’Union : l’Espace économique européen (EEE), des accords bilatéraux (Suisse), le statut du Royaume-Uni, etc. L’Ukraine, elle, a un accord d’association avec l’UE en vigueur depuis 2017.

Classiquement, le candidat doit assimiler l’acquis communautaire dans son droit national, mettre à niveau son économie et être une démocratie libérale (critères dits de Copenhague). Le respect seul de ce dernier critère n’a jusqu’ici jamais permis de concrétiser une adhésion, la capacité à intégrer le marché intérieur ayant été posée en condition sine qua non, créant ainsi de l’impatience et du découragement chez les candidats. De même, les enjeux de politique étrangère n’ont jamais été suffisamment pris en compte, bien que cet aspect devienne clé pour l’avenir de l’UE.

Celle-ci dispose aujourd’hui d’une offre structurée et crédible pour les États motivés uniquement par la dimension économique de l’UE et en mesure de s’y conformer : l’Espace économique européen (EEE). Cependant, concernant les Etats dans la situation inverse (aspirant à l’intégration politique, mais pas encore prêts sur le plan économique), il n’existe pas de réponse claire, structurée et attractive.

Affirmer un arrimage politique à l’Union

Or les trois nouvelles demandes d’adhésion à l’UE invitent à penser une démarche permettant une forme d’adhésion rapide à la dimension politique de l’UE, tout en gardant une logique progressive de moyen/long termes pour l’intégration économique : l’idée d’une Communauté politique européenne telle que nous l’esquissons ici répondrait à ce besoin, devenu impératif face aux enjeux géopolitiques, dans le voisinage oriental, mais aussi dans les Balkans occidentaux.

C’est là que la CPE doit se distinguer de l’initiative de « Confédération européenne » lancée par François Mitterrand en 1989, alors perçue comme une alternative peu attractive à la volonté des pays concernés de rejoindre l’UE et, surtout, qui intégrait l’URSS. Or, aujourd’hui, la CPE doit non seulement constituer une réponse forte à la rivalité géopolitique entre l’UE et la Russie poutinienne, mais surtout être définie comme la première étape en vue de l’adhésion à l’UE, comme une promesse univoque des Etats membres, tout en laissant au pays concerné le choix d’en rester à l’intégration politique ou d’aller jusqu’au bout du processus d’une adhésion pleine et entière à l’Union. Ainsi, la question de l’adhésion ne se poserait plus en termes de « si », mais en termes de « quand », et l’adhésion pourrait être graduelle, s’effectuant « par tranches », plutôt que d’une façon monolithique, en passant d’un coup du statut de candidat à celui de membre. Cela permettrait aux pays s’y préparant de se sentir davantage reconnus et de construire un lien plus sain avec la construction européenne. En effet, cette intégration graduelle permettrait mieux de bâtir la confiance mutuelle, en relativisant le clivage entre les « membres » et les « candidats ». De plus, la CPE favoriserait le sentiment global d’un espace démocratique unique, de valeurs et destinée communes. D’autres appellations restent possibles, comme Confédération européenne ou encore Espace politique ou démocratique européen, en parallèle avec l’Espace économique européen. Charles Michel évoque, quant à lui, une Communauté géopolitique européenne.

En prise directe avec les vies institutionnelle et citoyenne de l’UE

Un membre de la CPE devrait réunir trois conditions principales : être un pays du continent européen, respecter pleinement et durablement le premier critère de Copenhague et ratifier la Charte européenne des droits fondamentaux.

La participation devrait se traduire par une association à la vie institutionnelle de l’UE : sommets réguliers avec les dirigeants des 27 ; accès aux réunions des familles politiques en amont des sommets ; droit d’intégrer pleinement les partis politiques européens ; disposer de sièges au Parlement européen, sans droit de vote mais avec droit de parole et participation au travail des commissions parlementaires ; participation à certaines réunions du Conseil, notamment sur les affaires étrangères. Cela permettrait de favoriser un sentiment d’appartenance à un socle de valeurs communes, ainsi qu’une convergence des visions politiques et l’émergence d’un sentiment d’être partenaires égaux, « copropriétaires » du projet européen. Il faudrait également que l’appartenance à la CPE se traduise de manière concrète au niveau des citoyens, en octroyant, par exemple, l’accès complet à des programmes comme Erasmus+ ou au futur service civique européen.

La coopération, voire l’intégration devrait être rendue possible pour certains domaines (énergie, infrastructures, santé, etc.) et servir de prélude à une future adhésion, si l’Etat concerné la souhaite. Bien entendu, pour ne pas mettre en péril la cohérence politique de l’UE, ces coopérations devraient être soumises à des conditions strictes et à une clause de réversibilité.

Parallèlement à ces éléments d’intégration déjà acquis, l’examen des demandes d’adhésion et le processus de négociations d’adhésion devraient se poursuivre selon le modèle rénové d’aujourd’hui.

Interrogations soulevées par la Communauté politique européenne

La CPE permettrait un arrimage rapide et solide des pays candidats à l’UE en échappant au dilemme délétère entre une adhésion accélérée contreproductive et une procédure interminable à l’horizon incertain. Mais elle soulève aussi des interrogations importantes.

Défense : Quelles garanties de sécurité pourraient apporter la Communauté politique européenne à ses membres qui n’ont pas rejoint l’Otan ?

Frontières : Les pays dont les frontières sont encore contestées peuvent-ils rejoindre la CPE ? Cela parait indispensable mais soumet la création de la CPE à des échéances incertaines.

Sortie : Selon quelles modalités l’entrée dans la CPE serait-elle réversible ?

Balkans occidentaux : La CPE n’étant pas par définition une alternative à l’adhésion à l’UE, ces pays pourraient rejoindre la CPE sans que cela ne porte préjudice à leur statut de pays candidat. Bien au contraire, cela permettrait de dynamiser un processus d’adhésion qui tend à s’enliser.

Turquie : La CPE pourrait être une issue aux relations singulières entre l’UE et ce pays-candidat, dont les négociations d’adhésion sont dans l’impasse, si toutefois la Turquie a la volonté et la capacité à répondre aux critères politiques évoqués ci-dessus.

La proposition lancée par Emmanuel Macron mérite d’être poursuivie et précisée. L’Ukraine, que ce projet vise en premier lieu, doit être assurée qu’il ne s’agit pas d’une alternative à l’adhésion, mais bien de l’accompagnement politique graduel de cette procédure nécessairement longue.

Le soutien public des autres dirigeants européens est essentiel. Le chancelier allemand et le président italien l’ont déjà manifesté, celui des pays du Benelux est présumé. Parallèlement, l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Albanie et à la Macédoine du Nord en juin prochain assurerait que la volonté d’élargissement se poursuit dans cette région.

Dans un contexte géopolitique tendu, il en va, par la création de cette Communauté, de l’affirmation d’un bloc européen soudé par des valeurs et un destin communs.

Une version plus développée de ce texte est parue initialement sous le titre « La Communauté politique européenne. Nouvel arrimage à l’Union européenne », Institut Jacques Delors, 18 mai 2022.