Le deuxième quinquennat européen d’Emmanuel Macron edit
Quel impact la réélection du Président de la République peut-elle avoir à l’échelle de l’Union européenne ? Si beaucoup de commentateurs considèrent qu’après sa victoire Emmanuel Macron sort renforcé sur la scène européenne, il faut attendre le résultat des élections législatives pour confirmer que son leadership politique se trouve véritablement accru. Par ailleurs, la fin de la Présidence française du Conseil de l’UE (PFUE) devra également être observée avec attention.
Même si la PFUE a été surdéterminée par la guerre en Ukraine depuis l’invasion russe le 24 février dernier, la France a obtenu des résultats tangibles sur les priorités de sa présidence : accord sur les législations sur les marchés et les services numériques (DMA, DSA) permettant notamment de mieux réguler les géants du numérique ; lutte contre le changement climatique (avec un accord au Conseil sur le projet de taxe carbone aux frontières, CBAM) ; réciprocité en matière de marchés publics ; sans oublier la « Boussole stratégique ». Des accords sur d’autres sujets sont peut-être possibles (sur les salaires minimums ?) avant la fin de la PFUE.
Face aux urgences
Au-delà des priorités de la PFUE, Emmanuel Macron doit désormais montrer que la France peut contribuer à orchestrer avec ses partenaires une réponse cohérente et efficace face aux urgences, autrement dit concrétiser la déclaration du sommet européen de Versailles du 11 mars dernier : il devra notamment convaincre de l’utilité de l’UE face à l’augmentation des prix de l’énergie ce qui suppose, à court terme, de protéger les ménages contre le choc de la flambée des prix de l’énergie sur leur pouvoir d’achat, et à moyen-long termes des investissements supplémentaires permettant d’accélérer la transition énergétique et de réduire la dépendance excessive aux énergies fossiles importées.
Certaines de ces urgences renvoient aux rapports de force géopolitiques avec la Russie de Vladimir Poutine dans le contexte de guerre en Ukraine (avec notamment la question d’un embargo sur les importations de pétrole et de gaz russes, mais aussi la possibilité de droits de douane, de la fixation d’un prix plafond ou encore de paiement des importations sur un compte bloqué tant que la guerre continue).
Dans un tel contexte, il faut souligner l’extrême importance du 9 mai cette année. Le Président russe va s’efforcer de déclarer victoire à l’occasion de la commémoration de la capitulation du Troisième Reich (« Jour de la Victoire » en Russie), le jour même de notre journée de l’Europe commémorant la Déclaration Schuman. Il est dès lors fondamental d’afficher l’unité européenne et la solidarité avec l’Ukraine ce jour-là. Il s’agit de souligner le contraste entre les « deux 9 mai », qui incarneront deux systèmes de valeurs, deux modèles de régimes politiques, deux modèles de société, deux approches opposées des relations internationales et de la force. Tandis que Vladimir Poutine mettra en scène un « show » nationaliste et impérialiste, les Européens devront affirmer la force des valeurs démocratiques et libérales européennes, faire la démonstration de l’unité et de la solidarité européennes vis-à-vis de l’Ukraine et, finalement, de notre identité commune face à la prétention poutinienne de revendiquer la victoire. Les valeurs de « souveraineté », de « solidarité » et d’« identité » européennes pourraient structurer le narratif qui devrait être porté ce jour-là. Cela pourrait prendre une forme très concrète : les 27 chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’UE pourraient organiser un événement commun avec le président Zelensky le 9 mai, journée où le Emmanuel Macron est attendu à Strasbourg pour la clôture de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Dans une perspective de moyen-long termes, dans la continuité de la déclaration de Versailles, le président français devra s’efforcer de faire progresser davantage le débat européen en vue d’affirmer l’Union européenne comme un acteur stratégique qu’il n’est pas encore suffisamment, notamment dans le domaine de la sécurité et de la défense mais aussi de l’énergie.
Agenda stratégique: vers un changement de méthode?
Cela peut permettre au président de la République d’exercer une capacité politique d’initiative dans un contexte européen porteur marqué par le nouveau gouvernement en Allemagne et aux Pays-Bas et par une proximité avec l’Italie du gouvernement Draghi mais aussi avec l’Espagne de Pedro Sánchez ou encore avec Kaja Kallas en Estonie.
Dans un contexte d’isolement progressif de Viktor Orban (après la défaite d’Andrej Babis en République tchèque en octobre 2021 et l’échec de Janez Jansa en Slovénie le week-end dernier), la réélection d’Emmanuel Macron contre une candidate néo-nationaliste et europhobe avec le soutien de ses partenaires pro-européens dans les principaux Etats membres de l’UE ouvre une fenêtre d’opportunité pour des initiatives, des réformes et un agenda stratégique ambitieux pour l’UE.
Si la volonté politique est importante, la méthode ne l’est pas moins. En effet, le rôle proactif de la France et du Président de la République est reconnu mais peut faire l’objet de critiques. Le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron doit ainsi permettre de faire avancer les ambitions européennes de la France de manière renouvelée : moins d’effet de style et plus d’humilité, plus de concertation en amont, plus de débats publics avec des résultats concrets. Il s’agit de faire « plus de Robert Schuman, moins de Victor Hugo ».
Sur ce registre de la méthode, Emmanuel Macron devra aussi faire la pédagogie à l’échelle européenne du projet de « souveraineté européenne » dont la pertinence a été renforcée par la crise sanitaire et par la guerre russe en Ukraine pour montrer qu’il ne s’agit pas de promouvoir des intérêts purement français.
Il faut lever l’ambiguïté (au cœur de la logique de projection caractéristique du rapport de la France à l’Europe) qui pourrait laisser penser parfois chez certains de nos partenaires que le projet d’« autonomie stratégique » viserait en réalité à rompre les dépendances européennes extérieures pour recréer des dépendances internes cette fois, et notamment vis-à-vis de la France, en particulier de son industrie d’armement.
Emmanuel Macron pourra exercer un leadership d’autant plus efficace à l’échelle européenne qu’il parviendra à combiner sa capacité d’initiative avec un effort de persuasion et une approche collective.
Une première version de cet article est parue en espagnol dans le journal El Pais.
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