Présidentielle 2022: tous souverainistes! edit

8 février 2021

Comme l’a confirmé le récent sondage Harris d’intentions de vote présidentiel, le clivage gauche/droite ne peut plus organiser le fonctionnement du système politique et partisan. La gauche toutes tendances confondues, en y rangeant les écologistes, ne totalise que 26% et elle demeure de surcroît profondément divisée. De leur côté, LR et le RN sont politiquement en opposition. Les candidats potentiels qui sont hostiles à la fois à Emmanuel Macron et à Marine Le Pen et qui ont pris conscience de l’usure du clivage gauche/droite semblent avoir désormais pour objectif stratégique commun d’installer un nouveau clivage qui se structurerait autour de la question de la souveraineté nationale et qui permettrait de faire obstacle à la domination de l’opposition entre le centre macronien et l’extrême-droite du RN, les « mondialistes » et les « populistes ». Une telle tentative peut-elle réussir ? Les partis se situant à gauche et à droite sur l’ancien clivage peuvent-ils converger suffisamment pour constituer une alternative politique au macronisme sur le thème de la souveraineté nationale sans donner le pouvoir à Marine Le Pen ? Telle est la question posée.

Les tentatives de convergence sont effectivement nombreuses dans la période actuelle entre les différents souverainistes et elles s’opèrent par le truchement de la personne du général de Gaulle. Tous gaullistes en quelque sorte. Le souverainisme accolé au général permet de condamner en cœur le libéralisme économique et l’Europe libérale. Xavier Bertrand, Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg, tous candidats putatifs à l’élection présidentielle, redoublent de révérence à  son égard. Tous ont voté non au référendum sur le traité Maastricht. Bertrand déclare ainsi : « Au-delà du traité il y avait cette idéologie de la mondialisation heureuse et du néolibéralisme comme seule voie possible. Le souverainisme, c’est le refus de la pensée unique et une vraie forme d’indépendance.  Le général de Gaulle fera les réformes qui permettront à la France de conserver indépendance et souveraineté, les deux étant indissociables. » Lui et Montebourg font assaut d’amabilités, se rejoignant sur la question de la souveraineté. Le numéro deux des Républicains, Guillaume Peltier, relève des «points communs» avec Arnaud Montebourg qui, lui, rêve d'un «de Gaulle collectif» pour la France en 2022, un gouvernement qui dépasserait les clivages traditionnels.  Il déclarait ainsi au Point en janvier: «la droite post-gaulliste qui défend notre pays et n'est pas favorable à la mondialisation me paraît tout aussi proche de moi que de nombreuses personnalités de gauche». Dès octobre 2019, dans son livre Milieu de cordée, Peltier plaidait, lui, pour créer «un mouvement de réconciliation nationale» et rassembler le «bloc populaire et républicain» devant «l’affrontement stérile entre le “bloc progressiste et élitaire” d’Emmanuel Macron et le “bloc populiste” des extrêmes. Notre filiation est à la fois l’héritage du général de Gaulle, de Philippe Séguin et de Jean-Pierre Chevènement », écrivait-il. Même discours chez Xavier Bertrand en mai 2017 : «Les Français sont à la recherche d’un équilibre. Ils rêvent d’un vrai gouvernement d’union nationale, d’intérêt général, pas de ralliements à l’ancienne comme en 1988. » En 2020, dans une interview au quotidien Corse Matin, l’élu des Haut-de-France le répétait: «Les gens en ont marre des partis, ils veulent des actes peu importe de quel bord politique. » Il défend ainsi la stratégie de « l’arc républicain. » Tous lorgnent vers le souverainiste Jean-Pierre Chevènement, lui aussi anti-maastrichtien notoire.

Jean-Luc Mélenchon n’est pas en reste. En juin 2020, dans une longue interview à la Revue politique et parlementaire centrée sur de Gaulle, il disait que « son obsession pour l’indépendance, y compris contre des forces apparemment tellement puissantes est une forme d’insoumission héroïque qui doit servir de modèle. De Gaulle n’a jamais adhéré à l’idée de la main invisible du marché. Le libéralisme est un produit d’importation en France. À l’heure actuelle la politique des insoumis est plus proche de la pratique gaulliste sur ces questions que des gens qui se réclament du Général ». Il revendique avec lui « une connivence inexprimable à propos de l’amour de la France. Plus concrètement, je me suis défini comme un indépendantiste français». Il ajoute : « Je crois au rôle des grands hommes ou des grandes femmes dans l’Histoire. La souveraineté européenne est une chimère dangereuse. »

Pour autant, de telles convergences sur la restauration de la souveraineté nationale permettront-elles à tous ces personnages de s’unir politiquement et d’affronter à  fois Emmanuel Macron et Marine Le Pen ? La première difficulté réside dans le fait que Marine Le Pen est à l’évidence la principale représentante du souverainisme au niveau électoral. En outre, elle s’est rapproché au fil du temps du général de Gaulle, assumant une « continuité » avec lui alors qu'Emmanuel Macron en est selon elle « l'antithèse ». Elle est allée commémorer en 2020 sur l'île de Sein les 80 ans de l'appel du 18 juin. En 2020,  dans un long article de la Revue politique et parlementaire, la présidente du Rassemblement national juge « urgent » de s'« inspirer » du général dans la crise sanitaire actuelle, opposant de Gaulle qui est à ses yeux « de France » à Emmanuel Macron qui « n'est pas du pays » mais « d'une classe économique, de la finance, d'une caste ». Mélenchon lui-même, en bon populiste, ne semble pas l’exclure de « l’arc républicain », déclarant en 2019 : «Marine le Pen,  elle est en train de faire un progrès en quelque sorte en direction de l'humanisme, je ne vais quand même pas me plaindre de ça et quant à ses adhérents sur le terrain, ils sont les bienvenus. »

Quant à Emmanuel Macron, peut-il être aisément classé lui-même parmi les anti-souverainistes ? Ne se déclare-t-il pas autant gaulliste qu’eux ? Il a même été dans la campagne présidentielle de 2017 le candidat qui s’est le plus clairement référé au Général et n’a cessé depuis lors de réaffirmer cette proximité. Il a tenu à célébrer « l’année de Gaulle » en 2020, rendant hommage « à l’homme qui avec force et vigueur a incarné l’esprit de la Nation française et a su rassembler les Français dans les temps qui ont fait l’histoire de notre République et incarner une forme de résilience et de volonté, deux traits si caractéristiques de la Nation française à travers l’Histoire ». Macron valorise lui aussi, et de manière croissante, le thème de la souveraineté. Certes, il défend l’idée qu’elle ne peut être sauvegardée que dans le cadre d’une souveraineté européenne. Mais une telle vision n’exclut pas chez lui la défense de la souveraineté nationale. Dans une adresse aux Français du 14 juin 2020, à la tonalité très souverainiste, il appelle à la reconstruction d’une économie forte écologiste souveraine et solidaire et à une indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole et, s’il appelle à la consolidation d’une Europe indépendante, une Europe plus souveraine, il la lie à l’indépendance de la  France : « Nous unir autour du patriotisme républicain ». Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, considéré au début du quinquennat comme plutôt libéral a récemment montré les limites de ce libéralisme en s’opposant à l’OPA du canadien Couche-Tard sur Carrefour, c’est-à-dire à des investissements étrangers  dans le secteur de la distribution, au nom de la défense de la souveraineté alimentaire ! Les souverainistes éprouveront donc quelques difficultés à faire du souverainisme l’élément central d’un clivage politique les opposant à la fois à Macron et à Le Pen, d’autant que chacun d’entre eux, interprétant à sa manière le legs du Général, prétend détenir son morceau de la vraie croix gaulliste. Qui peut dire enfin comment de Gaulle lui-même définirait aujourd’hui le souverainisme ?

En outre, jusqu’où pourrait aller concrètement une campagne pour le rétablissement de la souveraineté nationale dans une Union européenne qui possède sa monnaie, sa banque centrale, ses institutions, tous abandons de souveraineté qu’une majorité de Français ne semble guère regretter. Quant à la « démondialisation »,  comment l’opérer dans la réalité?

Enfin, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022, en admettant même que ces différents candidats souverainistes aient établi entre eux des convergences, ils seront opposés les uns aux autres au premier tour. Or, le sondage Harris montre que Marine le Pen sera très vraisemblablement qualifiée pour le second tour. Dans ces conditions, soit elle sera opposée à Emmanuel Macron : dans ce cas, les candidats souverainistes éliminés devront faire voter pour elle s’ils sont logiques avec les contraintes du nouveau clivage, acceptant ainsi que le Rassemblement national soit le parti dominant dans le camp souverainiste. En effet, une élection présidentielle n’est pas un référendum : si Macron est battu le Pen sera élue. Les souverainistes iront-ils jusqu’au bout de cette logique ?  Soit ce sera un candidat souverainiste proche de LR qui sera opposé à la candidate du Rassemblement National au second tour. Un tel duel ne pourra pas alors être structuré principalement par ce clivage. On le voit, si le clivage gauche/droite a perdu son pouvoir organisateur, le clivage souverainistes/mondialistes-européistes ne pourra s’imposer que si Marine Le Pen est élue. Imposer le souverainisme comme le thème fédérateur à la fois contre Macron et contre le Pen, contre les « mondialistes » et contre « les populistes », apparaît donc comme une stratégie incertaine et dangereuse. Le sondage Harris, dans le duel de second tour entre Macron et Le Pen, ne donne en effet qu’une courte majorité de 52% au premier. Les souverainistes de tous bords qui se prétendent antipopulistes doivent garder cela en tête !