Elections européennes et élections en Europe: un référendum continental sur Macron? edit

24 janvier 2019

Le 26 mai prochain, Emmanuel Macron a rendez-vous avec les électeurs. Non seulement en France mais aussi dans toute l’Europe. Voilà les termes actuels et réducteurs de la campagne électorale. Mais l’échéance a une portée plus profonde car elle est intimement liée à des élections nationales en Europe en 2019.

En France, car les élections européennes constitueront la première échéance de son quinquennat au moment où le mouvement des Gilets jaunes tente de dicter l’actualité et infléchit assurément le cours de l’action gouvernementale. Ces élections auront un enjeu national décisif : le contrat politique avec la nation à l’occasion des élections présidentielles et législatives est-il désormais caduc au mépris du jeu normal des institutions ?

En Europe, le test sera tout aussi essentiel. D’abord parce que le président français a depuis toujours choisi de se présenter comme le chef de file de tous les progressistes en Europe. Ensuite parce qu’il est devenu la cible favorite de tous les souverainistes du continent : Salvini en Italie, Orban en Hongrie, Kaczinski en Pologne, etc. Enfin et surtout car plusieurs Etats-membres tiendront des élections majeures juste avant ou pendant les élections européennes du 23 au 26 mai.

C’est un enjeu moins connu de 2019 : toute l’Europe sera en campagne non seulement pour l’élection du Parlement européen mais aussi pour une série de rendez-vous électoraux nationaux où la question européenne et l’offre politique de Macron sera débattue. Comme un réseau de poupées gigognes électorales.

Une campagne à l’échelle du continent

Du 23 au 26 mai prochain, à travers tout le continent et ses 28 États membres, les électeurs prendront le chemin des urnes pour désigner leurs représentants au Parlement européen. Ce sera un moment essentiel de la vie démocratique de notre communauté continentale. La campagne être en train de prendre un tour plébiscitaire : pour ou contre l’Europe de Macron ? À tort ou à raison. De toute façon, les élections européennes de mai porteront sur des questions de principe : la solidarité et l’autonomie de l’Europe.

Solidarité : c’est le thème primordial des débats. Il est tout à la fois budgétaire, sécuritaire, migratoire, etc. Les électeurs européens ont un choix essentiel : soit ils estiment que l’Union est une communauté d’avantages et d’inconvénients partagés y compris dans les crises et quand cela induit des charges supplémentaires ; soit ils estiment que c’est seulement dans la communauté nationale, voire régionale, que bénéfices et charges doivent être équilibrés. C’est une question posée à l’Europe comme à certains pays (Espagne, Italie, Belgique). L’Europe de la solidarité est donc celle d’un budget fédéral modeste mais croissant, de fonds structurels capables d’avoir un impact de développement sur les États moins prospères, d’institutions robustes capables de dégager des politiques communes en période de crise. Quant à l’Europe des nations, c’est celle d’une alliance par beau temps où les mutualisations n’ont lieu qu’en période faste, la résolution des crises étant laissée aux États-membres isolés. Le sujet de divergence-clé et symbolique est la répartition des migrants. Voici le test : sommes-nous prêts à partager risques et charges y compris sur notre territoire ? Ou souhaitons-nous laisser les États frontaliers seuls face aux défis ?

Autonomie : les électeurs européens ont le choix sur le niveau où ils placent le curseur de la souveraineté notamment en matière de sécurité. Soit l’Europe dotée d’une autonomie stratégique croissante en matière de personnels, de capacités, d’industrie, de recherche. Soit une Europe dispersée militairement et délégant donc de facto la défense de sa sécurité à l’OTAN. La pierre de touche de ce débat est la désormais fameuse « armée européenne ». Prendre parti sur celle-ci comme idéal régulateur (et non comme programme de court terme), c’est définir sa propre attitude sur l’Europe.

Avant : quatre élections nationales préfiguratrices des élections européennes

Cette élection continentale sera l’horizon d’une série d’élections nationales. Les élections européennes et leurs enjeux sont même d’ores et déjà en jeu dans quatre échéances politiques majeures pour l’Europe : les législatives en Estonie (3 mars), les présidentielles en Slovaquie (15 mars), les législatives en Finlande (14 avril) et en Belgique le jour même des élections européennes (26 mai).

Bien entendu, dans chacun de ces États-membres, la donne politique nationale joue un grand rôle. Mais les clivages de principes sur l’autonomie et la solidarité européenne sont en place dans ces pays. Certes, les électeurs sont moins intéressés par les élections européennes que par les élections nationales comme les taux de participation en attestent. Mais le débat politique européen commence déjà à irriguer les débats nationaux comme il polarise le débat politique français.

Qu’on prenne le cas de la Finlande. Actuellement le pays est aujourd’hui absorbé par un débat purement national : la réforme du système de santé. Et l’électorat ne s’est déplacé qu’à hauteur de 34% pour les dernières élections européennes. Mais la polarisation entre les anti-européens déclarés du parti « Vrais Finnois » et les pro-européens des partis libéraux et sociaux-démocrates a commencé à se structurer. Le thème désormais commun de l’accueil des migrants et du budget italien commencent à être discutés comme des marqueurs politiques à l’intérieur de la Finlande. Le clivage est d’autant plus important que la Finlande préside le Conseil de l’Union européenne au second semestre 2019.

En Slovaquie, comme cela a été le cas pour les élections présidentielles tchèques de début 2018 et les élections législatives hongroises d’avril 2018, la question de l’Union européenne  et de la conception de la souveraineté nationale sont déjà au centre des débats. Dans ces pays comme en Pologne, il en va du bilan international du gouvernement. On se souvient en effet qu’ils se sont associés au sein du groupe de Visegrad ou V4 pour promouvoir un agenda souverainiste, notamment en matière de migration, au sein de l’Union européenne.

Toutes ces échéances nationales, tout particulièrement en Belgique, seront surplombées par les échéances européennes. Et les résultats devront être scrutés comme des signes avant-coureurs.

Après : les résultats des élections européennes détermineront les élections nationales en 2019

Le déroulement de la campagne et les résultats des élections européennes auront un impact immédiat et des conséquences durables sur les scènes politiques nationales. Selon le succès ou l’infortune des partis pro-européens aux élections européennes, les Parlements respectifs du Danemark (élu en juin), du Portugal (élu le 6 octobre) et de Grèce (élu avant le 20 octobre 2019) n’auront pas le même visage. En particulier, les tendances europhobes très actives en Grèce après une décennie de crise et une sortie très graduelle des systèmes de redressement des comptes publics, attendent avec impatience un revers des européistes en France, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas.

De même, le nouveau Parlement européen sera au centre des campagnes présidentielles en Pologne et en Roumanie. On sait combien les leaders politiques dominants dans ces deux importants États-membres sont en tension avec l’Union européenne notamment sur les réformes des systèmes judiciaires nationaux. Le président polonais sortant, Andrzej Duda, est issu du PiS fortement souverainiste, et le président de l’Assemblée nationale roumanie, Liviu Dragnea, est, lui aussi en démêlé avec les courants pro-européens roumains (parfois issus de son propre parti) et avec les institutions de l’Union européenne. Les partis eurosceptiques attendent assurément un big bang souverainiste à Bruxelles et Strasbourg pour assurer leur réélection.

Les élections européennes serviront de référence dans le voisinage de l’Union

Les prochaines élections européennes n’auront pas du tout lieu en vase clos. La démocratie européenne est minutieusement observée par nos partenaires du Sud et de l’Est. Au sein du Partenariat oriental, la Moldavie et l’Ukraine tiendront des élections nationales importantes.

La Moldavie se dotera le 24 février d’un nouveau parlement. La campagne électorale des européennes pèsera fortement sur ce débat national : la modernisation du pays dépend de l’assistance technique et financière de l’Union ; le président Dodon eurosceptique et le parlement sortant font face à des contestations citoyennes : la lutte contre la corruption et la transparence de la vie publique sont défendues au nom des principes européens. Au cœur de nos batailles internes, n’oublions pas que l’Europe est le seul espoir de libéralisation à Chisinau.

De même, les élections européennes et l’avenir de l’Union seront au centre des élections présidentielles ukrainiennes. L’affrontement entre un président Porochenko sortant affaibli et l’ancienne égérie de la Révolution orange Ioulia Timochenko sera dominé par la question de la relation avec l’Union européenne. Pour ce pays en crise économique et en guerre, l’arrimage à l’Union est une condition pour améliorer le fonctionnement des institutions judiciaires, pour moderniser l’appareil économique, pour assurer l’équilibre des finances publiques et pour empêcher d’abdiquer la souveraineté du pays sur la Crimée et ses régions orientales. Alors que nous sommes engagés dans des conflits entre égoïsmes nationaux, n’oublions pas que la construction européenne est l’horizon d’espoir pour une large partie des Ukrainiens.

Quant aux résultats de ces élections, ils auront nécessairement un grand poids pour les élections présidentielles de la République de Macédoine du Nord, État candidat à l’adhésion à l’Union européenne depuis 2004.

La démocratie européenne sur la scène mondiale

Àmesure que les échéances électorales approchent, nous avons naturellement tendance à nous préoccuper de plus en plus de la conjoncture politique nationale. Toutefois, n’oublions jamais que les élections européennes seront minutieusement scrutées à l’étranger. Les États-Unis de Trump, la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jin Pin, au rebours de l’indifférence de certains électeurs européens eux-mêmes considèrent déjà ces élections comme un moment essentiel pour l’année politique. Et leur première préoccupation sera de distinguer clairement les facteurs de cohésion et les éléments de discorde donc d’affaiblissement au sein des institutions européennes. Pour les présidents russe et américain, toute victoire du camp souverainiste sera non pas une source d’inquiétude mais une validation de leurs stratégies nationalistes respectives.

Au moment de voter les Européens n’oublient pas que leurs débats, les controverses et leurs désaccords influenceront l’attitude envers eux de leurs rivaux sur la scène internationale. Un Parlement dominé par les groupes CRE (Conservateurs et Réformistes Européens du PiS polonais et des Vrais Finnois de Finlande) et ENL (Europe des Nations et des Libertés comprenant l’AfD d’Allemagne, la Ligue d’Italie, le FPÖ d’Autriche et le PVV des Pays-Bas) ne peut pas être interprété comme un signe de vigueur nationale. Ce sera le signal du blocage des institutions européennes. Et chacun sait très bien, à Moscou, à Washington et à Pékin, comme utiliser cette léthargie.