Reconnaître la Palestine? edit

Emmanuel Macron a annoncé que la France reconnaîtrait officiellement la Palestine en septembre. La France rejoint ainsi 147 autres pays, dont plusieurs États européens. Elle pourrait bientôt être rejointe par la Grande-Bretagne et le Canada, qui ont toutefois assorti leur annonce de conditions explicites concernant le cessez-le-feu de la part d’Israël, la libération des otages et le désarmement du Hamas. L’annonce de Macron a toutefois suscité de nombreuses critiques en Occident, en partie parce qu’il s’agit de la première décision de ce type prise par un pays européen membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Les critiques ont également été nombreuses en France et reflètent surtout la difficulté que pose la question palestinienne dans un pays qui abrite à la fois la plus grande population juive d’Europe et l’une des plus grandes populations musulmanes, dont les relations sont d’ailleurs de plus en plus difficiles. Emmanuel Macron et les autres chefs de gouvernements qui ont exprimé leur intention ou leur volonté de reconnaître l’État palestinien ont été vivement critiqués par le gouvernement israélien, qui les accuse de faire le jeu du Hamas.
S’il y a une constante dans la position européenne et, jusqu’à récemment, américaine sur la question palestinienne, c’est bien celle de présenter la solution « deux peuples, deux États » comme la seule issue possible. Ce n’est pas ici le lieu de rappeler les vicissitudes souvent tragiques de cette affaire, les espoirs déçus et surtout les responsabilités largement partagées entre tous les principaux acteurs. Toutefois, la pression en faveur de la reconnaissance officielle de la Palestine ne s’était jamais manifestée avec une telle intensité dans le passé. Qu’est-ce qui a changé ? Trois choses, et non des moindres.
Premièrement, le gouvernement israélien actuel nie non seulement ouvertement le principe de la perspective de deux États, mais on peut légitimement soupçonner que l’objectif de son action à Gaza et en Cisjordanie est de la rendre impossible dans les faits. Dans quelle perspective ? Netanyahu ne se prononce pas, se limitant à affirmer la nécessité d’éradiquer complètement le Hamas, mais il n’est pas illogique de penser que le véritable objectif est l’annexion avec l’expulsion partielle ou totale de la population palestinienne. D’autres membres du gouvernement sont plus explicites. Il semble d’ailleurs que la volonté qui existait dans toutes les crises passées d’écouter ses alliés, à commencer par le plus important, les États-Unis, ait disparu. Il semble presque que Netanyahu soit convaincu de pouvoir manipuler Trump à sa guise, une conviction qui pourrait s’avérer dangereusement illusoire. La deuxième nouveauté est que, malgré l’imprévisibilité propre à Trump, la perspective de deux États ne semble plus être un objectif prioritaire des États-Unis. La troisième nouveauté est la perte de crédibilité de l’Autorité palestinienne, qui a permis au Hamas de se présenter comme le seul acteur visible. Cela ne justifie pas l’affirmation selon laquelle « tous les Palestiniens » souhaiteraient la disparition d’Israël, mais cela enlève toute substance à la perspective d’un État palestinien.
Dans la situation actuelle, la reconnaissance ne peut avoir qu’une signification symbolique en raison de l’absence d’un interlocuteur crédible qui serait l’incarnation potentielle de la souveraineté de ce nouvel État. Tous les gouvernements européens sont toutefois soumis à une pression croissante de l’opinion publique, principalement en raison de la situation humanitaire dramatique à Gaza. Il est impossible de nier la réalité tragique de cette situation, même en tenant compte d’une part de désinformation de la part du Hamas. La reconnaissance de la Palestine répond donc à un besoin éthique compréhensible, mais quelle est sa justification politique ?
Le principal argument en faveur de cette reconnaissance est qu’elle permet d’accroître la pression internationale sur Israël. Il est toutefois peu probable que cette décision ait un effet réel sur la politique d’Israël à court terme. Il reste donc l’aspect symbolique, accompagné du désir des Européens de sortir de la situation marginale dans laquelle ils se trouvent. Multiplier les initiatives d’aide humanitaire, aussi utiles soient-elles, ne fait qu’accroître le sentiment d’impuissance. Ce désir « d’exister », s’il est compréhensible, est également dangereux. Sur le plan international, il risque de nous faire passer pour des idéalistes et de constituer un aveu de duplicité dans notre faible soutien à la cause palestinienne par rapport à notre soutien inconditionnel à l’Ukraine. Une accusation doublement inacceptable que nous devons rejeter. Elle émane de pays qui brandissent l’éthique comme prétexte pour masquer une position politique précise : le désintérêt pour la souveraineté de l’Ukraine et l’acceptation implicite de la thèse aberrante selon laquelle Israël serait un produit du colonialisme européen. Sur le plan interne, l’absence de résultats concrets pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché par Macron ; elle pourrait en effet radicaliser davantage l’opinion publique et encourager l’antisémitisme déjà croissant. Cela explique probablement en partie la réticence de gouvernements tels que ceux de l’Allemagne ou de l’Italie. La brutalité avec laquelle Trump a déclaré que Macron « est un bon garçon, mais que ce qu’il fait ne change rien » reflète la vulgarité du personnage, mais ne manque pas de réalisme.
La reconnaissance formelle de la Palestine n’est donc pas une question de principe, mais doit s’évaluer à l’aune de son utilité pour promouvoir ou faciliter un processus positif. L’avenir du conflit israélo-palestinien dépend, outre de l’évolution de la situation interne en Israël, de deux facteurs. Le premier est constitué par les États-Unis, garant irremplaçable de la sécurité d’Israël, qui détiennent donc une réelle capacité d’influence sur la politique israélienne. Le second est constitué par les principaux pays arabes, les seuls à pouvoir relancer sur de nouvelles bases les accords d’Abraham, garantir la neutralisation du Hamas, assumer la responsabilité du gouvernement de Gaza dans des conditions acceptables pour Israël et favoriser l’émergence d’un interlocuteur palestinien crédible ; toutes conditions indispensables pour redonner crédibilité à la perspective des deux États. Netanyahu semble pour l’instant tenir pour acquise l’inertie, voire l’incapacité des Arabes. Du point de vue européen, en revanche, et face au changement de position américaine, le seul espoir de maintenir en vie l’hypothèse des deux États est de s’appuyer sur une initiative arabe ; une perspective que nous pouvons soutenir, mais pas susciter.
Dans ces conditions, ce qui confère un caractère tactique potentiellement utile à l’annonce de Macron, c’est la conférence internationale sur l’avenir de la Palestine qui s’est tenue à New York ces derniers jours et que la France a promue et coprésidée avec l’Arabie saoudite — une conférence boycottée par Israël et les États-Unis. Malgré toutes les ambiguïtés de ce type d’exercice, le résultat a été intéressant dans le sens où il a fait ressortir un large consensus international en faveur de la solution à deux États, accompagné de signaux clairs sur la sécurité d’Israël, le désarmement du Hamas et la nécessité de réformer l’Autorité palestinienne. Il a surtout fait ressortir une volonté renouvelée des Arabes de reprendre l’initiative. D’autre part, les indications issues de deux jours de discussions diplomatiques à New York risquent de n’avoir qu’un effet déclaratoire si elles ne se traduisent pas rapidement en initiatives concrètes, les seules susceptibles d’influencer l’attitude américaine et donc aussi la politique d’Israël. Si la conférence de New York confère une certaine légitimité aux annonces de Macron et d’autres sur la reconnaissance de la Palestine, elle subordonne toutefois leur opportunité à l’évolution du contexte. En effet, des décisions unilatérales en l’absence de progrès sur le terrain perdraient beaucoup de leur crédibilité. En substance, il s’agit de revenir à ce qui a toujours été la position de la majorité des Européens : la reconnaissance formelle de la Palestine doit faire partie d’un processus, mais elle ne peut en être la condition préalable.
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