OMC : Obama veut-il un accord ? edit

10 mai 2011

L’Administration Obama s’apprête à se laisser mettre dans une position intenable sur la question du commerce international. Le 29 avril 2011 a eu lieu une réunion du comité de pilotage du Cycle de Doha, qui confirme ce qu’on pouvait pressentir. Obama estime qu’il ne peut gagner la bataille politique interne contre les protectionnistes américains sans l’appui des exportateurs. Or leur soutien exigerait des concessions plus importantes de part de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Comme les grands émergents refusent d’aller plus loin en matière de réductions tarifaires, les négociations sont dans l’impasse. Tout indique que les États-Unis font pression pour une suspension du Cycle. L’Administration Obama semble vouloir éviter d’avoir à trouver un compromis avant 2012. Mais cette stratégie ne considère pas toutes les données du problème.

Certes, en termes de politique intérieure elle se tient. Les exportateurs américains de produits manufacturés, de services et de biens agricoles ne sont pas pressés de faire avancer les négociations. Ils ont certes profité des baisses de tarifs au siècle dernier, mais pour eux c’est déjà de l’histoire ancienne. Ils se concentrent uniquement sur les nouveaux accès au marché, et il n’y a rien sur ce point qui les motive particulièrement.

Le problème de cette approche, c’est qu’elle ignore le moyen terme. La question du calendrier est ici cruciale. Il y a encore une lueur d’espoir que l’impasse de Doha soit simplement d’ordre tactique. Mais si nous sommes vraiment dans l’impasse et que rien ne peut être fait en 2011, alors il est probable qu’aucun accord ne puisse être signé avant la fin de la décennie. Cette conclusion peut sembler audacieuse, mais considérons logiquement la situation.

Comme l’a montré Claude Barfield, les syndicats américains s’opposent à la libéralisation du commerce, aux délocalisations et la mondialisation. Or ce sont aussi les « fantassins » du Parti démocrate, et Obama ne prendra pas le risque de se les aliéner lors d’une année d’élections. Rien ne fera donc en 2012.

Beaucoup d'observateurs considèrent 2013 comme la fenêtre suivante. Mais la situation politique américaine pourrait être encore moins favorable alors, avec la perspective de débats très animés sur les dépenses publiques et les impôts et la pression mise sur la taille et le rôle du gouvernement fédéral. Dans ce climat délétère, Obama aura encore plus de mal à trouver des compromis sur la libéralisation du commerce multilatéral.

La façon la plus évidente de sortir de l’impasse après 2013 sera de donner à la Chine quelque chose à négocier. Or les principales concessions des États-Unis dans ce cycle concernent l’agriculture. Cela peut intéresser le Brésil mais la Chine et l’Inde ne trouveront politiquement optimal de réduire encore leurs tarifs que si leurs exportateurs se voient offrir des tarifs qui les incitent à soutenir un accord. Et il faut considérer le retard qu’entraînerait un tel programme. L’histoire nous enseigne qu’il faut des années pour négocier un nouvel ordre du jour, puis des années pour mener la négociation proprement dite. En bref, si les États-Unis et les Chinois ne sont pas prêts à sortir de l’impasse en 2011, aucun accord n’est probablement possible avant 2020.

Si Obama permet l’échec du Cycle de Doha, c’est sans doute parce qu’il pense possible pour les États-Unis de poursuivre leurs ambitions de commerce via une approche régionale. Peut-on y croire ?

Considérons d'abord une approche bilatérale. En dehors de l’agriculture, les exportateurs américains ne sont confrontés dans les autres pays développés qu’à des barrières assez basses, mais elles sont plus élevées dans les marchés qui croissent aujourd’hui le plus rapidement – en particulier le Brésil, l’Inde et la Chine.

Les États-Unis sont un exportateur de produits alimentaires, et ils insistent donc pour que leurs partenaires baissent leurs tarifs sur ces produits. Or de nombreux pays d’Asie orientale sont très sensibles sur ce sujet, et la signature d’accords de libre-échange avec les États-Unis est donc difficile, comme on l’a vu récemment avec la Corée. Les Européens et les Japonais, en revanche, sont très heureux de laisser de côté tous les produits agricoles sensibles.

Deuxième problème pour les Etats-Unis, l’opposition des syndicats américains à des accords commerciaux avec les pays à bas salaires rend difficile la signature d’accords de libre échange, comme en témoignent les nombreuses années qu’il a fallu pour ratifier l’accord avec la Colombie.

Compte tenu de la politique intérieure américaine, et en considérant aussi la politique intérieure des grands pays émergents, qui fait obstacle à la signature d’accords de libre échange de type ALENA avec les Etats-Unis, il est peu probable que la voie bilatérale soit la meilleure pour les États-Unis. Ce n’est pas de la spéculation, c’est un fait. L’Amérique a déjà pris un sérieux retard face à ses principaux concurrents industriels pour signer des accords bilatéraux en Asie. Permettre l’échec du Cycle de Doha ne lèvera pas les obstacles structurels qui empêchent les accords de libre-échange avec les Asiatiques, alors que ni les Européens, ni les Japonais ne se heurtent aux mêmes obstacles.

Conscient du problème, Obama fonde de grands espoirs sur une approche non plus bilatérale, mais intégrée au niveau régional, avec le Trans-Pacific Partnership (TPP). Voyons ce qu’il en est.

Les États-Unis négocient le PPT avec huit autres pays. Ils ont déjà conclu des accords de libre-échange avec les quatre plus grands, donc il n’y aura pas de nouvel accès à leurs marchés ; et il y en aura très peu dans les quatre autres. Il est donc clair que le PPT ne porte pas principalement sur la négociation de tarifs préférentiels. Il s’agit, bien plus largement, de déterminer les règles du commerce international au XXIe siècle.

Avec l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement, le commerce est devenu plus complexe, tournant autour d’un axe « investissements-services-commerce ». Les entreprises ont segmenté leur chaîne de production et délocalisé certaines étapes pour abaisser leurs coûts, et elles ont relié les différents segments par le commerce des services et des infrastructures (télécommunications, courrier express, fret aérien, internet, etc.). L’Administration Obama espère que le PPT fixera les règles dont a besoin le commerce de demain. Comme le dit Ron Kirk, son représentant au Commerce, « l’accord permettra de créer une plate-forme économique potentielle à travers l’intégration de la région Asie-Pacifique ».

Aussi bénéfique que cela puisse être du point de vue des entreprises américaines, les syndicats peuvent à bon droit considérer que le PPT rendra le monde moins sûr pour les sous-traitants américains. Le fait que deux des membres actuels du PPT ont avec la Colombie des conflits portant sur le droit du travail va créer encore plus de problèmes. Il faudrait être très optimiste pour penser qu’Obama peut mettre en œuvre le PPT rapidement et ensuite l’étendre à d’autres nations asiatiques à bas salaires. Mais l’opposition interne aux États-Unis n’est pas la seule menace.

L’hypothèse des Etats-Unis est que le PPT créera un effet domino. Même s’il commence modestement, les Américains souhaitent qu’il associe toutes les économies à croissance rapide de la zone Asie-Pacifique. Et qu’à terme l’Inde et la Chine doivent adhérer à cet accord dominé par les règles américaines. Il y a deux graves lacunes dans cette pensée. Tout d’abord, l’application de la théorie des dominos à cette situation est problématique étant donné le manque d’accès préférentiel aux marchés mentionnés ci-dessus.

Les données empiriques de la Banque mondiale (Handbook on Regionalism, à paraître) et de l’OMC (World Trade Report, à paraître également) confirment que les accords de libre échange « approfondis » ne modifient guère les flux commerciaux. Sur le plan économique, cela n’est pas difficile à comprendre. Nombre de règles du PPT rendraient plus facile aux autres nations de mettre en œuvre l’axe commerce-services-investissement, disons, au Vietnam. Les réformes nationales sur les droits de l’investissement, les droits de la propriété intellectuelle, les flux de capitaux liés à aux investissements directs étrangers, et les services d’infrastructure ne respectent pas les règles d’origine.

Certains pays d’Asie-Pacifique ont commencé à s’inquiéter des raisons qui poussent l’Administration Obama à tant s’intéresser au PPT. Le Japon hésite, compte tenu de l’insistance mise sur une libéralisation radicale de l’agriculture. La Corée a du mal à voir ce que le PPT pourrait lui offrir de plus que son accord de libre-échange avec les États-Unis, et elle ne souhaite pas être partie prenante d’un plan hostile à la Chine et à l’Inde. Un PPT sans le Japon ou la Corée n’est pas le genre d’entente qui va contraindre la Chine et l’Inde à accorder aux Américains un meilleur accès à leurs marchés. Les grands pays de l’ASEAN pourraient se laisser tenter, mais ils ont déjà des accords de type PPT avec le Japon ; sans contrainte, l’Inde et la Chine ne rejoindront jamais le PTT. La Chine (et l’Inde de plus en plus) est déjà au cœur de l’axe services-investissement commerce, même sans nouveaux accords commerciaux. Leurs marchés sont suffisamment importants pour attirer les investissements directs américains, japonais et européens sans accords supplémentaires.

Dans ces conditions, la meilleure chance pour les Etats-Unis d’obtenir un meilleur accès aux économies les plus dynamiques du monde a un nom : c’est le Cycle de Doha.

Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.