Le projet de réforme fiscale de Donald Trump edit

5 octobre 2017

Un document publié par le Congrès, Unified Framework for Fixing our Broken Tax code, résume le projet conjoint de la présidence Trump et du Parti républicain en matière de réforme fiscale. Il est à ce stade très vague et ne donne que des directions que le Congrès est chargé de préciser dans les six mois à venir.

Que retenir du projet?

Sur la fiscalité personnelle, peu de choses à dire : le nombre de tranches est réduit de 7 à 3, avec un taux marginal égal à 35% au lieu de 39,6%, mais avec l'engagement (ou simple parole ?) d’envisager un quatrième seuil pour les très hauts revenus. Il est prévu pour les bas revenus des relèvements du crédit fiscal pour enfant et du seuil de non-imposition.

Promesse a aussi été faite de supprimer quantité de niches, notamment la déductibilité des impôts locaux, mais il semble que les principales soient reconduites : déduction des intérêts d’emprunt immobilier, philanthropie et assurance santé financée par les employeurs. Point important, les impôts sur les successions (death tax et estate tax) sont supprimés, ce qui aurait de fortes conséquences distributives en faveur des détenteurs de patrimoines.

C’est sur la fiscalité des entreprises que les changements annoncés sont importants. Le plus saillant est la baisse du taux d’impôt fédéral sur les sociétés (IS) de 35% à 20%. Le montant de la réduction est considérable : comme l’IS représente aujourd'hui 2,1% du PIB, la réduction représente près d’un point de PIB, autrement dit près de 200 milliards de dollars par an. Du taux le plus élevé des pays de l’OCDE, les États-Unis se retrouveraient en dessous de la moyenne en matière d’IS.

Mais il faut noter, comme pour la France qui se retrouverait dans la position incommode de la première place si le président Macron ne comptait pas lui aussi ramener le taux aux alentours des 25%, que l’IS des États-Unis est une « passoire » et rapporte, en termes de PIB, moins que la moyenne de l’OCDE malgré son taux facial record. (Cf. page 10 et 11 de cette référence, qui donne à la fois la hiérarchie des taux d’IS et celle du rendement fiscal de l’IS dans les pays de l’OCDE).

Trois mesures d’accompagnement sont particulièrement importantes : 1) la possibilité de déclarer en dépenses, pour les 5 ans à venir, toutes les dépenses d’investissement (full expensing) et non le seul amortissement fiscal ; 2) une forte limitation, en revanche, de la déduction des intérêts de la base imposable. On est bel et bien en train d’assister, au fil du temps et dans la plupart des pays, à la fin de cette anomalie qu’est le privilège donné en matière d’impôts à la dette par rapport aux fonds propres ; 3) et surtout, la fin de la territorialité de l’impôt, sujet qu’on examine dans un instant.

Le premier point à retenir est que ces mesures vont au total faire baisser fortement les recettes fiscales et, très probablement, voir monter le déficit public américain et donc l’endettement public. Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor, les « vend » à l’opinion avec l’argument classique, mais jamais démontré dans les faits, que la croissance qu’elles vont générer suffit largement à les « financer ».

Le second point est le caractère très inégalitaire des mesures annoncées. Le Tax Policy Center, organisme non-partisan très lié à la Brookings Institution, estime dans une étude qui vient de paraître que l’ensemble des ménages américains devrait certes connaître une baisse d’ impôts, mais très inégalement répartie : par exemple comprise entre 0,5 et 1,2% de leur revenu après impôt 2018 pour les premiers 95% des contribuales en termes de revenu, mais beaucoup plus forte pour les 1% les plus riches : à eux seuls, ces derniers recevraient la moitié de la réduction d’impôt.

La dégradation du solde budgétaire fait déjà grincer les nombreux congressistes républicains qui réclament plus d’orthodoxie dans la gestion des finances publiques. L’inégalité des baisses d’impôts entre les bénéficiaires choque de nombreux membres du Parti démocrate. Le sort de ce projet de loi est donc loin d’être joué. En particulier, la baisse du taux d’IS pourrait être moindre que le niveau annoncé de 20%.

La fin de la territorialité de l’IS

On sait que les États-Unis retiennent depuis toujours le principe d’une taxation universelle des personnes physiques ou morales américaines. Où qu’il soit, le citoyen américain est redevable de l’impôt. Pour les filiales à l’étranger d’entreprises américaines, cela signifie qu’elles subissent le taux du pays d’accueil, par exemple 12,5% en Irlande, sans que cela n’éteigne l’impôt à devoir aux États-Unis, avec néanmoins un crédit pour l’impôt déjà acquitté, soit dans notre exemple 35% - 12,5% = 22,5%.

D’où la tentation de ne pas rapatrier les profits faits à l’étranger. Le CBO, bureau budgétaire du Congrès, estime qu’il y aurait ainsi 2600 milliards de dollars de profits non rapatriés, logés à l’étranger, en majorité dans les paradis fiscaux.

Désormais, les États-Unis, avec la règle de la territorialité, vont rejoindre la plupart des pays du monde en matière d’IS. L’impôt est payé dans le pays où la richesse est produite, au taux en vigueur dans ce pays, sans nouvel impôt de retour aux États-Unis.

Les sommes aujourd'hui exilées seront réputées « rapatriées », ce qui veut dire qu’elles seront taxées à un taux encore à définir. Cela peut faire de grosses sommes. Si le taux moyen appliqué est de 5%, cela fait 130 milliards de dollars, ce qui amortirait quelque peu la baisse des recettes d’IS.

La baisse d’IS favorise-t-elle l’investissement?

La réponse est oui et non. Pour être plus précis, non autrefois, oui, de plus en plus, de nos jours. Un peu d’explication ici : d'abord, ce sont toujours les personnes physiques qui sont in fine taxées. Si l’entreprise paie moins d’impôt à son niveau, c’est à l’étage au-dessus, auprès des actionnaires qui perçoivent les dividendes et des créanciers qui perçoivent les intérêts, que l’impôt sera perçu.

C’est cette compensation qui rend légitime, aux yeux de certains économistes et non des moindres, l’appel à une diminution drastique, voire une suppression pure et simple de l’IS : on réduit ou supprime l’impôt à la source, et on l’accroit chez le destinataire du revenu. Un tel transfert, disent ces économistes, a aussi l’avantage d’accroître l’autofinancement des entreprises si elles ne distribuent pas le gain fiscal obtenu. Il supprime aussi la différence artificielle du traitement des revenus distribués par l’entreprise selon que le capital a été apporté sous forme de dette ou de fonds propres (à nouveau en raison de la déductibilité des intérêts de la dette).

Par ailleurs, si l’entreprise paie moins d’impôts à son niveau, elle reste soumise à la pression de ses concurrents, dont l’impôt baisse également. L’allégement fiscal va donc aller pour partie en baisse de prix, en hausse des salaires pour embaucher etc., de sorte que d’autres que les investisseurs en profiteront – mais c’est à leur niveau que l’impôt sera levé. En dernier ressort, c’est le rendement du capital net de toutes taxes qui compte pour la décision d’investissement, une fois tous les effets de second tour pris en compte.

Car selon cette logique concurrentielle, le niveau du taux d’IS est relativement neutre sur les décisions économiques de l’entreprise. L’Europe de l’après-guerre en a fait  la preuve jusque dans les années 80 : les taux d’IS étaient très élevés (60% en Allemagne jusqu’à une date assez récente) alors que l’investissement était beaucoup plus élevé qu’aujourd'hui.

Tout cela ne vaut, bien sûr, que dans une économie raisonnablement fermée aux flux de capitaux. Si l’entreprise dispose de filiales à l’étranger, elle préférera certainement – et c’est l’intérêt de ses actionnaires – placer son profit dans les pays à fiscalité faible. Du coup, le niveau de l’IS acquiert une certaine efficacité économique, mais, pourrait-on dire, de façon perverse, par le biais de la concurrence fiscale.

Il y a donc un argument fort pour baisser les taux d’IS et se rattraper, si c’est possible, au niveau de la fiscalité des revenus du capital. Mais ici encore, les placements financiers des fonds de pension et autres se font à l’échelle internationale, faisant qu’une même sorte de contrainte pèse de ce côté-là, même si elle est moindre, les particuliers n’ayant pas les mêmes facilités à transférer leurs revenus d’un pays à l’autre.

Notons que le gouvernement Macron, dans cette même lignée d’arguments, fait les deux : baisse du taux d’IS, baisse de la fiscalité sur les revenus tirés de l’entreprise. Mais ceci, conduit à l’échelle internationale, porte, par une ruée vers le bas, un incroyable potentiel de paupérisation des États et ferme les yeux sur cette résistible tendance à l’écartement des niveaux de revenu et de patrimoine.

Il est probable que l’on s’oriente peu ou prou vers un accroissement des impôts sur la consommation, qui ont un potentiel d’évitement moindre, mais il y aura résistance des milieux conservateurs. Le projet initial de Trump et du Parti républicain était d’ailleurs d’instaurer un IS ayant les caractéristiques de la TVA, à savoir d’un impôt portant sur la dépense et non la production effectuée sur le sol du pays. Mais ce projet a été retoqué, sous la pression des lobbys importateurs (voir ce billet de Telos pour une discussion à ce sujet).

Jusqu’ici cela faisait partie du sens commun, partagé par la plupart des autorités fiscales, qu’un « grand » pays a moins intérêt qu’un « petit » pays à baisser son taux d’IS : pour ce dernier, l’effet baisse du taux facial est plus que compensé par les entrées de capitaux à la recherche d’une optimisation fiscale. Il est donc assez désolant que les États-Unis placent leur taux d’IS à ce niveau agressivement bas. Cela rend peut-être déjà obsolètes les mesures de baisse prises par les autres économies de l’OCDE, dont la France ou l’Allemagne. On peut y voir une relance de la guerre en matière de compétitivité fiscale.

Rapatrier la cagnotte expatriée: quel impact?

On entend des sottises sur ce sujet. Une flambée du dollar suite au rapatriement des sommes placées à l’étranger ? Une hausse de l’investissement aux États-Unis, au détriment de l’investissement en Europe et en Asie ?

Voyons le cas d'Apple qui vend ses portables en Europe et qui arrive à déporter ses profits en Irlande, à coût fiscal quasi-nul. Que deviennent ces sommes ? Pour partie, elles sont investies par la banque irlandaise ou toute autre institution financière, y compris aux Iles Caïman, en actifs financiers. Un regard sur le bilan d'Apple montre la sagesse de sa gestion financière : quasiment tout est en actifs financiers du Trésor américain, donc en dollars. Un dollar est un dollar, qu’il soit détenu dans une banque irlandaise ou aux États-Unis. Le déficit du Trésor américain est-il changé par la localisation du porteur des titres ? Non, bien sûr.

Peut-être pourrait-on dire que ces dollars, s’ils étaient logés en Californie, pourraient être plus facilement distribués aux actionnaires (ils le sont aujourd'hui, mais par une contorsion financière : Apple s’endette sur les marchés obligataires pour disposer du cash qui va payer les dividendes) ? Mais que feraient les actionnaires de ces disponibilités ? Si le déficit du Trésor américain reste le même, l’investissement restera le même en emprunts souverains américains. Ni Apple, ni les autres entreprises américaines n’investiront davantage. Et de fait, il ne semble pas qu’Apple soit contraint  en trésorerie, dans ses plans d’investissement.

La leçon : l’argent est fongible. Et épargne moins investissement = solde de la balance commerciale. Que Trump n’attende pas beaucoup d’un surcroît de croissance aux États-Unis lié à ce rapatriement. Et il ne sert à rien de jouer la hausse du dollar pour le même motif.