Universités: petite théorie des blocages edit

16 avril 2018

Le blocage des universités semble s’étendre, même s’il faut raison garder, puisque seulement quelques établissements sont aujourd’hui concernés. Cette pratique des blocages est à la fois parfaitement efficace et totalement antidémocratique. Notons en passant que seule une minorité de jeunes, certes significative (35%)[1], approuve ces méthodes.

La méthode est efficace car elle est très difficile à contrer. Tout d’abord, si le Président demande l’intervention des forces de l’ordre pour mettre fin à « l’entrave à la liberté d’aller et venir dans un lieu public »[2], un droit fondamental, il doit obtenir l’aval du préfet. Celui-ci est loin d’être automatique comme le montre le cas de Tolbiac, le préfet de police ayant opposé un refus à la demande du président Georges Haddad, sans qu’on en connaisse les raisons. Même si le Président obtient l’accord du Préfet, faire intervenir les forces de l’ordre représente un gros risque. Un risque d’incidents bien sûr, mais aussi un risque politique plus large, l’intervention policière pouvant mobiliser contre les autorités la masse relativement passive des étudiants qui subissent les événements sans s’y opposer, ni les approuver.

Mais ce qui est fascinant c’est de voir à quel point les autorités universitaires elles-mêmes comme les médias d’ailleurs ont intégré l’idée que le blocage de l’accès à l’université (comme aux lycées dans d’autres occasions) était une forme normale de participation au débat public. Ainsi, le président de l’université de Nanterre fait un subtil distinguo entre des occupants extérieurs à l’université, et portant des revendications extra-universitaires, à l’encontre desquels il a fait intervenir les forces de l’ordre, et les étudiants bloqueurs de son université. À l’égard de ces derniers, il déclare qu’il « tolère les blocages » ! Alors, avec un tel encouragement, pourquoi se priver ? Le président de la CPU interrogé sur Europe 1 lundi matin 12 avril, se montre extrêmement circonspect à l’égard de l’éventualité du recours à la force publique, en argumentant que « l’université est un lieu ouvert ». Cela fait évidemment sourire puisque le résultat des blocages est précisément d’en faire un lieu fermé.

Le blocage est donc efficace. Ajoutons qu’il n’est certainement pas légal, les étudiants n’ayant pas le droit d’empêcher d’autres étudiants de se rendre en cours ou à un examen. Cela fait évidemment penser aux piquets de grève (mais si le terme de grève ne peut pas s’appliquer aux étudiants) qui, selon la jurisprudence, ne constituent pas un usage abusif du droit de grève tant qu’ils n’entravent pas la liberté du travail des autres salariés et le fonctionnement de l’entreprise. Les blocages universitaires sont évidemment loin de respecter cette obligation. Leur philosophie même est d’entraver le fonctionnement normal de l’université en empêchant les étudiants et le personnel d’accéder aux locaux. C’est donc évidemment loin d’être anodin et représente une forme de violence illégale.

Ces méthodes sont aussi parfaitement antidémocratiques. Les décisions sont prises lors d’AG rassemblant le plus souvent une petite minorité des étudiants, et sont organisées par les étudiants contestataires et militants qui, plusieurs témoignages le montrent, n’hésitent pas à employer des moyens de pression fort peu démocratiques. Le témoignage d’une étudiante de l’université de Montpellier publié par Causeur le 29 mars est édifiant. Cette étudiante, pourtant opposée à la loi Vidal, est révulsée par les méthodes utilisées à l’encontre des étudiants qui tentent d’aller en cours : pluie d’insultes et menaces proférée par une minorité agissante à laquelle s’amalgament des éléments extérieurs à l’université. Le blocage, c’est donc le plus souvent, la dictature de la minorité. On pourrait, dira-t-on, organiser des consultations de l’ensemble des étudiants. C’est effectivement ce qui a été fait à l’université de Nancy. La direction a organisé une consultation via la plateforme en ligne de l’université à laquelle ont pris part près de 4000 étudiants ; résultats sans appel : 70% des étudiants votent pour le retour à la normale. Mais l’Unef locale ne reconnaît pas le scrutin et juge le procédé antidémocratique ! On croit rêver. Il vaut mieux évidemment avoir des AG de quelques centaines d’étudiants à sa main.

Finalement ce qui est attristant c’est de voir à quel point la société démocratique est faible et démunie face à des moyens antidémocratiques et violents qui se parent des vertus de la défense des masses. Utiliser la violence en réponse à la violence est évidemment un piège. Mais pour l’éviter les autorités sont réduites à l’impuissance. L’Etat selon Max Weber a le monopole de la violence légitime mais ses représentants semblent eux-mêmes douter aujourd’hui de cette légitimité (avec néanmoins le contre-exemple de Notre-Dame des Landes).

 

[1] Dans l’enquête auprès d’un échantillon représentatif de 15-17 ans réalisée par Opinion Way en 2017 pour notre enquête sur la Tentation radicale.

[2] Voir l’intéressant interview de Valérie Piau, avocate en droit de l’éducation, dans le Figaro du 9 avril.