La société et les mineurs «transgenre» edit

24 novembre 2022

Notre société est traversée par différents mouvements de revendication identitaire, ouvrant sur des débats où il n’est pas facile de se risquer mais qu’il est néanmoins nécessaire de mener, notamment quand on défend l’idée que la vie en collectivité nécessiterait parfois une indifférence aux différences.

C’est dans ce contexte qu’un des phénomènes les plus révélateurs de ces revendications a vu le jour : les demandes soudaines de changement de sexe au nom de ressentis, appelé encore « transidentité ». C’est sur les réseaux sociaux, qui privilégient les émotions et l’expression immédiate, que les ressentis trouvent les conditions de leur amplification et une certaine résonance empathique. Les ressentis sont partageables, immédiatement communicables par ce vecteur hautement sensible. La « transidentité » s'inscrit dans une nouvelle passion dominante de nos sociétés démocratiques à savoir le ressentisme[1], dont la variante victimaire renforce cette posture de revendication identitaire.

Ces nouvelles demandes transidentificatoires[2] se sont multipliées depuis environ dix ans chez des enfants et plus particulièrement chez des jeunes filles fréquentant assidument les réseaux sociaux et ayant le sentiment d’être nées dans le mauvais corps.

Comment la psychiatrie aborde-t-elle cette question ? Dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie), on parlait de transsexualisme. Jugé discriminant, ce terme a été remplacé en 2015 par celui de « dysphorie de genre » qui lui-même sera remplacé en 2022 par l’expression « incongruence de genre » dans la classification internationale des maladies (CIM11 rédigé en 2019). L’incongruence de genre correspond « au ressenti [nous soulignons] intrinsèque de ne pas posséder le sexe correspondant à son genre. (…) Cette incongruence entre corps vécu et corps réel est à comprendre en termes de “ressenti existentiel” »[3]. Remarquons au passage la disparition du « sexuel » au profit du genre.

Pour proscrire toute référence à la psychiatrie et ce, à la demande des transactivistes, ces termes, qui appartiennent à leur phraséologie, ont été déplacés de la rubrique « santé mentale » à celle de « conditions relatives à la santé sexuelle ». On remarque un glissement vers une catégorie, « la transidentité », qui absorbe toutes les demandes de changement de sexe, qu’il s’agisse de celles de personnes qui ont fait ou feront une transition médicale adulte car c’est un choix mûrement réfléchi en raison d’une souffrance très ancienne et parfois depuis la toute petite enfance, à celles d’adolescents ou de jeunes adultes qui sont mal dans leur corps et qui sont en quête de sens et pour qui la transidentité est une solution à un mal-être bien plus profond.

Les interrogations des adolescents sur leur identité sexuée rencontrent ainsi actuellement des signifiants sociaux (via des influenceurs sur les réseaux sociaux ou des sites transactivistes) qui risquent de prendre le pas sur les singularités qu’il convient d’entendre au cas par cas.

Les jeunes trouvent des médecins qui abondent dans leur sens sans interroger plus avant ce qu’ils ne considèrent plus comme un symptôme, mais une discordance à « accompagner » voire à « traiter » le plus précocement possible. Pour certains de ces médecins, tout questionnement serait une intrusion. Du point de vue des transactivistes, tout questionnement est une maltraitance, pas si éloignée au fond des « thérapies de conversion » qui sont fort heureusement interdites par la loi[4]).

D’où notre appel à la prudence concernant les mineurs, mené au sein de l’Observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent (dit Observatoire « La Petite Sirène »), fondé en 2021 après la projection sur Arte en décembre 2020 du documentaire Petite fille de Sébastien Lifshitz. Il met en scène l’histoire de Sasha, un garçon de 8 ans qui, selon sa mère, aurait exprimé très précocement le désir de devenir une fille « comme elle » quand il sera grand, parce qu’il se sent fille, ce qui est interprété comme un désir de « devenir une femme ». Ce qui nous a surpris n’est pas tant la demande de cet enfant et de sa famille que la manière dont ce film a été monté faisant la promotion de la transidentité et de la prise en charge médicale précoce au nom de l’autodétermination d’un enfant qui n’a pas la parole. Le documentaire a été reçu par Télérama comme « une ode lumineuse à la liberté d’être soi » sans percevoir que cet enfant était instrumentalisé pour être un étendard de la cause trans.

Il va de soi que la souffrance de l’enfant doit être entendue et prise en charge. De leur côté, les adultes (parents, enseignants et corps médical) doivent assurer protection aux enfants. En cédant sans délai de réflexion à leurs demandes de transition sociale ou médicale, voire chirurgicale, ces adultes ne font que soutenir la toute-puissance imaginaire des enfants au lieu de leur refuser cette satisfaction immédiate, source éventuelle de déception future.

Alors que nous ne nous mêlons d’aucune façon de ce que des adultes trans décident de faire de leur corps, il est actuellement prouvé que les décisions rapides visant à remodeler le corps des enfants sont loin d’avoir fait leurs preuves comme seule solution possible à des conflits douloureux liés à la sexuation, tels que les adolescents les expriment.

N'est-il pas paradoxal qu’en deçà de 15 ans (âge de la majorité sexuelle), un jeune ne puisse être considéré comme consentant à une relation sexuelle avec un adulte, tandis que vers 11 ans, certains médecins et parents considèrent qu’un jeune peut donner son consentement éclairé à prendre des bloqueurs de puberté ? Autrement dit, un mineur de moins de 15 ans peut « changer de sexe » mais ne peut s’en servir.[OG1] 

N'est-il pas paradoxal que la dysphorie de genre ne soit pas considérée comme une maladie tout en nécessitant d’être reconnue par un médecin qui prescrira un traitement à vie à un enfant sain au titre d’une « affection longue durée hors cadre » afin que les frais soient remboursés à 100% par la Sécurité Sociale ?

Les jeunes sont-ils conscients de l’impact sur leur corps (sans même parler de la planète) des perturbateurs endocriniens ? Ces effets sont bien connus aujourd’hui : détérioration de la fertilité humaine, rôle dans l'induction de cancers, et avancée de l'âge de la puberté notamment chez les filles[5]. La médicalisation massive des enfants, des adolescents, des jeunes adultes et des adultes, de la puberté à la mort, est aussi une aubaine pour l’industrie pharmaceutique, les médecins et les chirurgiens esthétiques.

Au delà des aspects psychologiques et médicaux, qui soulèvent des questions relevant de la protection de l’enfance, il y a enfin un débat plus large, qu’on ne peut esquiver pour traiter ces questions. Deux questions de fond apparaissent ici.

Tout d’abord, si la valeur clé de nos sociétés modernes est l’émancipation, on peut soutenir que la vision d’un développement interchangeable de l’être humain enferme le sujet plus qu’il ne le libère. Les opérations chirurgicales précoces sont ici la forme dure de la fixation sociale d’identités forgées par des groupes militants. Enfermer dans une seule identité est-il vraiment souhaitable, alors qu’un jeu permanent d’identifications diverses compose son identité tout au long de la vie ?

Ensuite, une remise en perspective s’impose pour comprendre la version « activiste » du transgenrisme. On peut soutenir ici qu’en prétendant dépasser les limites assignées au corps, le transgenrisme participe du transhumanisme qui promeut une transformation complète de soi par des moyens artificiels. Le philosophe Christian Godin montre qu’« il existe dans le programme post-humaniste et au fondement de celui-ci une haine de la condition humaine ». Si c’est le cas, n’est-ce pas une raison fondamentale pour en protéger les enfants tant par l’éducation qu’en interdisant tout traitement irréversible sur le corps avant la majorité ?

Céline Masson et Caroline Eliacheff ont récemment publié La Fabrique de l’enfant-transgenre (Éditions de l’Observatoire, 2022). Elles codirigent l’Observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent.

[1] Cf. C. Masson (sous la dir. de) Crise des repères identitaires. Race, sexe, genre, série de six livres intitulée La nouvelle crise de la culture, Hermann, Paris, 2022.

[2] Une enquête descriptive qualitative est en cours avec Alexandre Ledrait, membre de l’OPS, enseignant-chercheur et directeur du centre d’expertise de l’œuvre de Secours aux enfants (OSE).

[3] C. Gauld, « Dysphorie de genre de l’adolescent : un appel à la prudence », La Psychiatrie de l’enfant, LXIII, 1, PUF, 2020, p. 115 à 122.

[4] https://www.vie-publique.fr/loi/281790-loi-interdisant-les-therapies-de-conversion-lgbt#:~:text=L'expression%20%22th%C3%A9rapie%20de%20conversion,de%20genre%20d'une%20personne.

[5] Cf. N. Athéa, Changer de sexe, un nouveau désir ?, Ed. Hermann, Paris, 2022.