Les sept péchés économiques de Sarkozy edit

6 mars 2012

Les économistes ont compris depuis longtemps que Nicolas Sarkozy ne sera pas réélu. Un sortant ne peut pas gagner quand le chômage est en train d’augmenter, c’est aussi simple que ça. Gordon Brown, Brian Cowen, José-Luis Zapatero, José Socrates l’ont découvert à leurs dépens. Il est stupéfiant que Sarkozy n’ait rien fait pour éviter ce piège entièrement prévisible. Ce n’est en fait que l’une des sept erreurs économiques majeures du quinquennat. Toutes révèlent une caractéristique du président sortant : sa conviction que le politique prime sur l’économique. Le volontarisme, érigé en règle de gouvernement, consiste à croire que tout problème économique a une solution purement politique. L’expérience, mille fois répétée, est que l’on ne viole pas impunément les principes économiques.

La première faute économique de Sarkozy remonte au tout début de son quinquennat. Pour des raisons politiques, il a voulu maintenir le principe des 35 heures en inventant une petite usine à gaz, la baisse de charges sur les heures supplémentaires. En période de croissance soutenue, ça aurait pu marcher mais les ralentissements sont inévitables et la mesure est devenue coûteuse et inefficace quand les entreprises ont été amenées à utiliser le dispositif pour financer la baisse des heures travaillées. Une promesse emblématique a été galvaudée.

La deuxième faute – commise ailleurs, en Allemagne et aux États-Unis notamment – a consisté à faire face à la crise en subventionnant le chômage et les industries déclinantes, en l’occurrence l’automobile. Résultat, les ventes de voitures se sont maintenues en 2009, mais elles ont ensuite fondu et les constructeurs se retrouvent avec des capacités de production excessives. PSA a commencé à se vendre à GM, et ce n’est que le début. Et, bien sûr, le chômage a augmenté.

Plus généralement, Sarkozy a repris le slogan populiste de la désindustrialisation. La troisième faute est d’imaginer que l’État peut choisir les entreprises rentables de demain. L’avenir des pays avancés n’est pas l’industrie, mais les services et la haute technologie. Distribuer des aides au coup par coup maintient en survie des activités non rentables et donc coûteuses pour la collectivité. Les taxes qui financent ces activités condamnées pèsent sur le pouvoir d’achat et la croissance. Ces financements profitent aux grandes entreprises, qui sont ravies mais qui doivent s’engager en contrepartie à maintenir en France des activités qui détériorent leur compétitivité. Il suffit de regarder les entreprises les plus performantes au monde : Google, Facebook et autres sont des services non subventionnés. Qu’avons-nous en France ?

Sarkozy se présente comme le héros de la gestion de la crise financière. Il a annoncé dans son fameux discours de Toulon la fin du capitalisme financier anglo-saxon. Ce devait être l’objet de la présidence française du G20 en 2011. Aucune des mesures avancées par la France ne s’est concrétisée et le Sommet de Nice a été un désastre diplomatique.

La quatrième faute a été de ne pas comprendre que le problème révélé par la crise de 2008 était la conséquence d’un comportement abusif des grandes banques, y compris des banques françaises. Mais Nicolas Sarkozy n’a pas voulu s’attaquer aux grandes banques. Ils les a aidées sans prendre une part de leur capital et donc sans se donner les moyens de les réformer. Il a choisi comme contrepartie d’exiger d’elles qu’elles continuent à faire des prêts. Elles se sont contentées d’octroyer des prêts aux grandes entreprises, ce qu’elles auraient fait de toute façon, laissant sur le bord du chemin le crédit aux petites entreprises et au particulier. Bilan : l’économie française s’est étouffée et les grandes banques n’ont pas été forcées à restructurer leur bilan, car cela aurait généré des pertes et donc réduit les bonus et les intérêts versés aux actionnaires. Ces banques sont aujourd’hui dans un état de grande fragilité.

La gestion de la crise de la zone euro a été la cinquième faute majeure. Pour protéger leurs banques, encore elles, les gouvernements allemand et français ont fait semblant d’aider la Grèce, mais cette stratégie a transformé une petite secousse en crise existentielle de la zone euro. Depuis le début, ils ont cherché à éviter un défaut de la Grèce qui aurait coûté très cher à leurs banques. Puis, quand ils ont réalisé que c’était inévitable, ils ont piloté les négociations entre le gouvernement et le lobby bancaire. Ces négociations ont duré des mois, permettant aux banques de vendre une partie de la dette grecque qu’elles détenaient. De ce fait, l’accord finalement réalisé risque d’être inutile car les banques détiennent trop peu de dette pour que l’effacement suffise à soulager la Grèce. Le résultat promet d’être une répudiation totale et désordonnée de la dette grecque.

La sixième faute a été l’alignement de la France sur une position idéologique extrême de l’Allemagne. Le choix de l’austérité dans une période de récession est un non-sens économique. De fait, tous les pays qui s’y sont résolus sous la pression franco-allemande subissent une aggravation de la récession et, mécaniquement, une détérioration de leur endettement public. La Troika (BCE, UE et FMI) ne cesse de se déclarer « surprise » des mauvais résultats obtenus, qui sont pourtant conformes à ce qu’on attendait. Au lieu de reconnaître son erreur, la Troika exige encore plus d’austérité, semblant croire que ce qui n’a pas marché à dose élevée marchera à dose de cheval. On pourra épiloguer sur les raisons de l’Allemagne, mais celles de la France sont incompréhensibles.

La septième et dernière faute majeure a été d’appliquer à la France cette politique d’austérité « pour défendre le AAA ». La perte de cette notation était entièrement prévisible, et prévue. L’austérité est la cause de la récession en cours et la récession sera la cause de la non réélection de Nicolas Sarkozy.

Pourtant, le bilan de Nicolas Sarkozy n’est pas maigre dans les autres domaines. Et même en matière économique, il sera difficile à son successeur de faire mieux. L’unification des régimes de retraites, le service minimum dans les transports publics, l’allongement de l’âge de départ en retraite (une réforme partielle, malheureusement) représentent des avancées historiques. Par manque de chance, il s’est retrouvé face à une crise dont il n’est pas responsable. Mais, même sans crise, ses réformes ont été émasculées par une combinaison de calculs politiques et une ignorance incroyable des mécanismes économiques. Quant à la crise, sa gestion sera citée dans les livres d’histoire comme un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Le plus grave, sans doute, c’est que l’appétit pour les réformes audacieuses – la rupture – est désormais éteint, alors que la France poursuit son lent déclin économique. Certes, les grands réformateurs, qu’ils soient de gauche (Schroeder) ou de droite (Thatcher), ont été sanctionnés par les électeurs, mais ils ont durablement marqué leurs pays et leur héritage est désormais reconnu. Nicolas Sarkozy avait un mandat démocratique pour le faire, mais son volontarisme politique l’en a empêché.