Alstom et l’État actionnaire actif edit

Sept. 13, 2016

Alstom vient de décider de fermer partiellement l’établissement de Belfort et d’en transférer la production en Alsace. Après avoir perdu le marché d’Akiem (SNCF-DB) et malgré des succès majeurs à l’export, Alstom qui fait face à une contraction de son marché domestique entend ainsi rationaliser son outil de production. Ce qui relève d’une opération de gestion malheureusement banale tourne en France au psychodrame collectif. 

Faut-il répartir la pénurie de travail due à la baisse du plan de charge entre tous les établissements existants ou regrouper les moyens? Cette question qui relève du management d’Alstom devient l’occasion de discours publics véhéments mêlant déploration de la désindustrialisation et échec de l’État stratège, patriotisme économique et absence de politique industrielle, distribution de dividendes à des actionnaires cupides et trahison des hommes politiques… avec toutefois un élément nouveau, dans le contexte des présidentielles : la mise en cause d’Emmanuel Macron.

Celui-ci avait fait d’Alstom le banc-test de sa nouvelle conception de l’État actionnaire et du rôle de l’État dans la préservation de l’emploi industriel sur le sol national. Le fait qu’Alstom s’en prenne à Belfort réveille le souvenir de Florange. Ainsi malgré les engagements pris, malgré la doctrine de l’État actionnaire actif formulée par Emmanuel Macron et sa volonté de tenir un discours de vérité en politique, rien n’y fait apparemment, la France industrielle se dépeuple.

Lors de son passage au ministère Emmanuel Macron avait tenu à communiquer sur sa stratégie de l’État actionnaire actif. Rompant avec la passivité de ses prédécesseurs et la pusillanimité des représentants de l’État au Conseil des entreprises à participation publique, il avait édicté une nouvelle politique dont Alstom et Renault devaient être les premiers terrains d’application.

Pour Emmanuel Macron, l’État, avec ses participations publiques, dispose d’une force de frappe considérable dont curieusement il ne fait pas grand usage tétanisé qu’il est par la crainte de se voire qualifié d’interventionniste, là où les actionnaires privés ne se gênent pas d’user de leurs droits sans avoir, comme l’État, le souci du long terme.

Alors que l’État poursuit des objectifs propres comme la préservation de l’emploi sur le territoire national, l’investissement et la mutation vers le numérique et qu’il dispose par ailleurs d’outils comme la BPI ou la Caisse des Dépôts, il s’interdit de jouer le rôle d’investisseur de long terme fournisseur d’un capital patient et pouvant s’appuyer sur les actionnaires salariés ou les zinzins poursuivant le même objectif.

En formulant une nouvelle politique industrielle autour de neuf solutions pour l’industrie du futur, Emmanuel Macron, héritier en cela d’Arnaud Montebourg, entendait mettre au service de cette stratégie les moyens d’un État actionnaire décomplexé.

Pour cela il entendait tout à la fois expliciter ses choix dans des orientations données aux managers publics, profiter de la Loi Florange pour accroître les droits de vote des actionnaires de long terme et au besoin contester ou appuyer les choix des managers publics comme il le fit par la suite pour EDF et Renault.

Cette conception qui emprunte aux méthodes des actionnaires privés pour servir des intérêts publics conduit de plus Emmanuel Macron à prôner une rotation des participations publiques au service de la mutation du pays vers une économie d’innovation.

Le problème est qu’Alstom n’était probablement pas le meilleur terrain pour déployer une stratégie aussi novatrice mais qui n’allait pas sans contradictions internes : que vaut la propriété publique quand la commande publique est libéralisée et que l’autonomie stratégique et de gestion est reconnue aux équipes managériales des entreprises publiques ?

L’histoire d’Alstom, c’est d’abord celle d’une longue descente aux enfers malgré le succès éclatant de la grande vitesse française et le développement d’un marché mondial des nouvelles mobilités urbaines.

Ce qui était naguère le conglomérat technologique à la française bâti sur le modèle de Siemens présent dans les télécom, l’énergie, la construction navale, la machine outil, le nucléaire, l’entreprise électrique, l’informatique… aboutissement de la concentration domestique et d’acquisitions externes (GEC, ABB turbines, ITT, Lucent) n’est plus aujourd’hui qu’une entreprise mono-activité (transport) en quête de partenaire.

Les étapes en sont connues, avec d’abord la séparation des activités télécom et énergie au nom de la spécialisation dans la filière télécom d’un côté avec Alcatel et la montée en puissance dans la génération electrique avec Alstom.

Puis à la suite de la crise d’Alstom de 2004 et de la necessité de le recapitaliser, ce fut l’arrivée de l’État comme actionnaire d’un Alstom allégé des Chantiers de l’Atlantique à la demande des autorités de la concurrence européenne. Les pertes d’Alstom, la montée des mauvais risques et les tentatives de déstabilisation subies n’ont pas aidé l’entreprise à se redresser et ont abouti à des stratégies non coopératives européennes entre Siemens et Alstom au moment où les firmes chinoises concurrentes montaient en puissance.
Fidèle aux engagements pris Nicolas Sarkozy céda la participation de l’État à Bouygues qui entendait se renforcer dans l’énergie et contribuer à former un groupe électro-nucléaire intégré à l’occasion de la privatisation d’Areva.

Doté d’un nouvel actionnaire dont la stratégie fut vite invalidée par les pouvoirs publics et qui allait connaître par ailleurs des difficultés dans les télécom, Alstom devait se consolider dans deux secteurs (énergie et transport) où sa dimension était sous-critique alors que la crise se creusait et que la concurrence mondiale se faisait plus intense.

Dans un mouvement stratégique d’une rare brutalité, le PDG Patrick Kron décida de se concentrer sur les transports et de céder l’activité énergie à General Electric. L’activité transport devenue la raison d’être du nouveau groupe était elle-même promise à consolidation. Le gouvernement dépité décida par ailleurs qu’on ne l’y reprendrait plus et s’invita au tour de table d’Alstom au terme d’une complexe opération de prêt de titres consentie par Bouygues. C’est ainsi que l’État actionnaire fut saisi de la décision de l’entreprise de déplacer en Alsace 400 emplois et de maintenir à Belfort une activité résiduelle de maintenance ferroviaire.

L’imbroglio actuel tient au fait que l’État qui avait promis le maintien du site et des emplois de Belfort ne peut tenir ses engagements quand le plan de charge de la firme décline, sauf à décréter une politique de la préférence nationale dans les marchés passés par la SNCF ou exiger de l’entreprise une allocation inefficace des moyens en préservant un site sous-utilisé. En effet le choix fait par Akiem (filiale SCNF-DB) de se fournir en locomotives chez Vossloh et non chez Alstom a sans doute précipité la décision de fermeture décriée.

Le marché de la grande vitesse est en expansion au niveau mondial mais on observe dans le cas qui nous occupe un triple phénomène.

Alstom continue à innover : il prépare notamment un nouveau TGV moins coûteux en investissements, plus économe en consommation d’énergie  et capable de transporter davantage de passagers Il séduit de nouveaux clients partout dans le monde aux Etats Unis comme en Inde, en Belgique comme aux Pays Bas. De ce point de vue il reste un des leaders mondiaux du secteur.

Mais en même temps les acquéreurs de sa technologie entendent fabriquer au maximum sur place et réclament également un transfert de technologies. Pour Alstom ces marchés permettent de maintenir son leadership technologique, ses bureaux d’études et sa capacité de recherche mais ils ne sont d’aucun effet pour la production dans les usines françaises.

Facteur aggravant, Alstom perd des parts de marché en France. L’épisode Akiem-Vossloh, déclencheur de la crise actuelle illustre le déclin du carnet de commandes (-30% pour les usines françaises d’ici 2018).

Publiquement mis en cause et sommé de s’expliquer, Emmanuel Macron a dénoncé « une décision soudaine brutale et condamnable », ajoutant que le management d’Alstom ne l’avait jamais avisé d’un tel projet et qu’il avait « mis la pression sur Alstom pour préserver l’emploi dans un contexte de surcapacité productive » fort des 20% du capital détenus par l’État. Il a par ailleurs renvoyé la responsabilité sur ses successeurs qui depuis ont invité les dirigeants d’Alstom à négocier avec les syndicats et à envisager une solution de préservation de l’ensemble des sites.

Ainsi une fois de plus incapables de stopper le déclin continu de l’appareil productif national et incapables d’articuler un nouveau discours sur le renouvellement du tissu industriel et sur les nécessités du redéploiement productif, les autorités politiques sont condamnées à balancer entre engagements intenables de préservation de l’emploi et des sites existants et pressions pour la préservation de l’acquis, au prix de l’affaiblissement d’acteurs qu’on entendait protéger.

La multiplication d’usines Potemkine sur fond de discours de déploration constitue ainsi l’horizon indépassable de notre déclin industriel.

Imaginons maintenant ce que serait un discours de vérité tenu aux salariés d’Alstom par l’État.

Il commencerait par rappeler tous les efforts faits par l'Etat pour promouvoir la filière TGV à travers les crédits de recherche, la création d'un IRT dédié au ferroviaire, la commande publique et l'aide à l'exportation.

Il insisterait sur l'impératif vital de la compétitivité de l'entreprise et inviterait Alstom à analyser son échec face à Vossloh dans le marché perdu des locomotives de fret ferroviaire pour adopter les stratégies adaptatives nécessaires.

Il expliquerait ce qu'est la nouvelle industrie faite de technologies, d'intelligence incorporée de services et pas seulement de fabrication. 

Il exclurait les commandes de convenance qui creusent les déficits de la SNCF et ne font que reporter les échéances.

Il conclurait sur le rôle de la puissance publique en matière de formation des salariés et  de l'État actionnaire capable d'apporter un concours ponctuel en cas de défaillance de l'actionnaire et d’intérêt stratégique majeur mais capable aussi de se redéployer vers les secteurs porteurs.