Une tripolarisation en trompe-l’œil edit

23 février 2024

Les élections de 2017 avaient mis fin à la bipolarisation gauche/droite du système partisan et produit une tripolarisation gauche/centre/droite. Les élections de 2022 avaient confirmé cette évolution (tableau 1). Trois formations ou alliances politiques de force comparable dominaient alors le nouvel ordre électoral : LFI avec Jean-Luc Mélenchon, l’alliance « Ensemble » avec Emmanuel Macron, et le Rassemblement national avec Marine Le Pen. Au cours de la période récente, cette tripolarisation s’est dissoute. Deux raisons expliquent ce phénomène : l’évolution brutale des rapports de force électoraux entre les trois pôles et l’éclatement de ce que certains nomment le « bloc de gauche ».

Tableau 1. Votes et intentions de vote aux élections présidentielles de 2022 et 2027 (%)

IFOP 31 janvier-1er février

La percée de l’extrême-droite

Le récent sondage IFOP sur les intentions de vote à la prochaine élection présidentielle permet de mesurer l’ampleur des évolutions électorales survenues depuis 2022 (tableau 1). Les pôles électoraux de gauche et du centre se sont nettement affaiblis tandis que le pôle de droite a fortement progressé, devenant deux fois plus important que chacun des deux autres. Il rassemble aujourd’hui la moitié des intentions de vote. Au sein de ce pôle, c’est essentiellement le Rassemblement national qui a profité de cette évolution. Alors que Jean-Luc Mélenchon n’obtiendrait que 14% des suffrages exprimés et Édouard Philippe 22%, Marine Le Pen en obtiendrait 36%. Dans ces conditions la notion de tripolarisation ne paraît plus adaptée pour rendre compte de la structuration des votes.

La minorisation et la fragmentation du pôle de gauche

Le recul du pôle de gauche est dû pour l’essentiel à la contraction de l’électorat de LFI. Entre 2022 et 2024, le potentiel électoral de Jean-Luc Mélenchon passe de 22% à 14%. Alors qu’en 2022, il n’était distancé que d’un point par Marine Le Pen, l’écart est aujourd’hui de 22 points et il demeure également distancé par le candidat du centre. Il faut cependant rappeler qu’en 2022, Mélenchon s’était montré un très bon finisseur. Les sondages lui donnaient 15% en mars et 18% à la veille des élections et il avait obtenu finalement 22%. Mais la gauche n’était pas fracturée alors comme elle l’est aujourd’hui et ses concurrents à gauche n’incarnaient pas une ligne clairement différente de la sienne. Sa propre image était au plus haut à gauche, tandis qu’il n’apparaît plus aujourd’hui comme un fédérateur mais au contraire comme un diviseur. Bien qu’il demeure de loin en tête des intentions de vote des électeurs de la gauche à l’élection présidentielle, il a cessé d’être son leader et l’on peut penser que les graves désaccords actuels entre les différentes formations de gauche ne disparaîtront pas avant la prochaine élection présidentielle. Le fait que chacune d’entre elles présente, comme en 2019, sa propre liste aux élections européennes confirme le caractère artificiel de la Nupes. Celle-ci s’est dissoute, ne survivant plus que par le dépôt en commun de motions de censure qui n’aboutissent à rien. L’absence de leadership à gauche paraît plus criante encore si l’on observe les intentions de vote aux élections européennes de juin prochain (tableau 2).

Tableau 2. Vote des électeurs de gauche aux élections européennes de 2019 et intentions de vote aux européennes de 2024 (%)

IFOP 7-8 février

Comparé aux élections de 2019, la liste socialiste - Place publique pourrait cette fois-ci devancer celle de LFI, ce qui ne pourrait qu’accroître la désunion à gauche puisque sa tête de liste, Raphaël Glucksmann, est en désaccord profond avec Jean-Luc Mélenchon à propos des enjeux politiques fondamentaux de la période : la construction européenne et la guerre en Ukraine. L’évolution des relations entre le PS et LFI dépendra pour une large part du choix que feront les socialistes après les élections européennes. Le premier secrétaire Olivier Faure parviendra-t-il à maintenir sa ligne d’Union de la gauche ou bien Raphaël Glucksmann pourra-t-il et voudra-t-il, s’il fait un bon score, réorienter la gauche socialiste dans le sens d’une autonomie stratégique par rapport à l’extrême-gauche ? Certes, la forte volatilité électorale que l’on constate habituellement entre les élections présidentielles et européennes doit nous inciter à la prudence. Aujourd’hui, les sondages donnent 2% à Olivier Faure à l’élection présidentielle et 10,5% à Raphaël Glucksmann aux élections européennes. Mais l’on peut penser que cette-fois-ci, le score présidentiel des socialistes dépendra plus étroitement de la personnalité du candidat et de la ligne politique qu’il défend.

Quelles que soient les évolutions futures au sein de la gauche, l’ensemble de ces données montre que le pôle de gauche, fragmenté, désuni et sans un leader, a cessé d’être un acteur politique collectif. Jean-Luc Mélenchon a très peu de chances d’être qualifié pour le second tour d’une élection présidentielle (tableau 1), et, s’il l’était, il serait ensuite largement devancé par Marine Le Pen avec 36% des suffrages exprimés contre 64%, une majorité des électeurs du centre se reportant au second tour sur la candidate du Rassemblement national (tableau 3). Il faut regretter, en passant, que l’institut de sondage ne nous communique pas la proportion des électeurs du premier tour de la présidentielle qui s’abstiendraient ou voteraient blanc ou nul au second tour.

Tableau 3. Intentions de vote exprimées dans deux hypothèses de second tour de la prochaine élection présidentielle selon la proximité partisane (%).

IFOP 31 janvier-1er février

Vers une nouvelle bipolarisation ?

La minorisation et l’éclatement du « bloc de gauche » annoncent-il le retour à une bipolarisation qui opposerait désormais le centre à l’extrême-droite ? Plusieurs éléments vont dans ce sens. D’abord les sondages d’intentions de vote à l’élection présidentielle. Selon l’IFOP, seul un candidat du centre pourrait battre le candidat du Rassemblement national au second tour. Édouard Philippe ferait match nul avec Marine Le Pen (tableau 3) tandis que Gabriel Attal obtiendrait 49% contre elle. Au baromètre IFOP-Fiducial des personnalités politiques du 20 février Gabriel Attal arrive en première position avec 53% devant Édouard Philippe avec 52%. Ils sont les seuls à dépasser 50%. Emmanuel Macron (qui ne peut être candidat en 2027) arrive lui à la vingt-troisième place avec 36%. Les indices de satisfaction de IFOP du 15 février donnent 48% au Premier ministre mais seulement 29% au président de la République. Ces données montrent que l’impopularité d’Emmanuel Macron ne peut pas être interprétée plus généralement comme une impopularité du centre. À l’élection présidentielle tous les électorats des candidats éliminés au premier tour se reporteraient au second sur l’ancien Premier ministre ou le nouveau Premier ministre, notamment les électorats de gauche (tableau 3). Nous avons déjà constaté (Telos, 26 janvier) que le clivage principal sur les attitudes à l’égard de l’Europe oppose les sympathisants de l’extrême-droite aux sympathisants de tous les autres groupes de sympathisants.    

Pour autant, il serait prématuré de considérer que le vote de second tour en faveur d’un candidat du centre préfigurerait la constitution d’un nouveau pôle politique permettant la formation d’une large majorité de gouvernement. Les électeurs de gauche, comme ceux de LR, sont loin de la souhaiter. Surtout, les partis de gauche de même que Les Républicains continuent de privilégier la reconstitution d’une bipolarisation gauche/droite. Le pôle centriste, réduit aujourd’hui à la majorité relative macroniste, demeure faible électoralement et les partis d’opposition lui sont profondément hostiles. Dans ces conditions, et sans présager d’éventuelles évolutions futures, le nouveau paysage politique français se caractérise à la fois par sa fragmentation et par l’existence d’un puissant pôle de droite largement dominé par le Rassemblement national.