Gouvernance mondiale: l’axe sino-américain au centre du jeu edit

10 février 2015

Qui a la capacité de mener les ajustements nécessaires dans les institutions internationales qui soutiennent l’économie mondiale? Le retour apparent de confrontations géopolitiques est-il une menace pour la gouvernance mondiale ? On peut s’en faire une idée en revenant sur les sommets de l’APEC et du G20 en novembre, qui ont vu des progrès dans les domaines du commerce, de la finance et du climat.

Qui mène le jeu ? Contrairement au sommet du G20 à Londres en 2009, les Européens ne se font guère entendre. La Russie, de son côté, est trop centrée sur ses défis régionaux et nationaux pour projeter un agenda mondial. Le Japon se concentre lui aussi sur de délicates réformes.

Les puissances moyennes éminentes – Canada, Corée du Sud et Australie – semblent avoir perdu de leur capacité à peser sur l’agenda international, en partie à cause de leur nouvelle orientation sur les questions intérieures. Les puissances émergentes de l’Inde et de l’Indonésie achèvent des transitions politiques et n’ont pas encore la possibilité de définir un agenda mondial. Le Brésil enfin est en moins bonne posture aujourd’hui qu’il ne l’était sous l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva.

Dans ce contexte, les relations sino-américaines sont devenues l’axe organisateur de l’ordre économique mondial, à la fois grâce à un partenariat occasionnel et à une forte rivalité.

Ce n’est pas exactement le « G2 » envisagé par l’économiste américain Fred Bergsten en 2008. Le G2 était censé être une relation de coopération entre les deux plus grandes puissances économiques du monde, avec un large éventail d’initiatives conjointes. Au lieu de cela, les États-Unis et la Chine ne se sont montrés capables de coopérer que sur une gamme étroite de domaines, tels que le climat, l’OMC et les protocoles militaires. Mais les deux puissances ont développé des visions concurrentes pour le développement mondial, le système de négociation et la prééminence régionale, et ce d’une manière plus dynamique que l’on ne pouvait s’y attendre.

Pour la première fois dans l’histoire moderne, la Chine jouit à la fois d’un pouvoir fort et compétent avec le président Xi Jinping. Comment peut-on définir l’agenda mondial chinois, à la lumière de ses développements les plus récents ?

Premièrement, la Chine cherche à s’inscrire dans tous les accords commerciaux régionaux et mondiaux. Elle soutient le programme de l’OMC, ainsi que les accords de libre-échange méga-régionaux et inter-régionaux tels que la Zone de libre échange de l’Asie-Pacifique (Free Trade Area of the Asia-Pacific, FTAAP). Elle cherche à minimiser l’impact du Partenariat Trans-Pacifique, plus exclusif, ou à le diluer dans le FTAAP. Elle dispose également de son propre programme d’accords commerciaux, avec une priorité sur les pactes avec la Corée du Sud, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est et l’Inde, ainsi que sur la signature d’un accord tripartite avec la Corée du Sud et le Japon.

Deuxièmement, la Chine cherche à participer plus activement aux institutions financières mondiales et elle fait de plus en plus entendre son point de vue. Elle est satisfaite des progrès réalisés au Conseil de stabilité financière, mais s’irrite des retards dans la réforme des quotas du Fonds monétaire international.

Troisièmement, la Chine a dévoilé un plan ambitieux pour ouvrir les institutions de développement mondial. Compte tenu de la lenteur des réformes au FMI, de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement, la Chine soutient la naissance des établissements de crédit alternatifs, comme une nouvelle banque de développement, une banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et de la banque asiatique de « Route de la Soie maritime » dont la naissance vient d’être annoncée. Ces nouvelles institutions ne seront pas seulement un appui financier; elles auront également comme enjeu de projeter de nouvelles idées et de nouvelles normes de développement, diluant ainsi la prééminence du Consensus de Washington.

Quatrièmement, la Chine est à la recherche d’une réforme de la gouvernance mondiale de l’énergie, avec un système plus équilibré qui donne aux puissances émergentes une pleine représentation et des garanties.

Pour leur part, les États-Unis cherchent à consolider leurs alliances stratégiques en matière de sécurité tout en lançant leurs propres initiatives économiques, comme que le TPP et de nouvelles initiatives climatiques.

Les sommets de novembre ont fait apparaître trois composantes de l’approche américaine. Premièrement, les États-Unis restent fermes sur un certain nombre d’actifs stratégiques, comme les alliances et les relations prioritaires avec le Japon, l’Australie, le Vietnam, les Philippines et, de plus en plus, l’Inde. Deuxièmement, les États-Unis cherchent à jouer un rôle actif dans le développement de nouvelles règles du jeu, au moins dans le commerce et l’investissement. Troisièmement, les États-Unis sont prêts à s’engager avec la Chine sur des questions telles que le changement climatique.

L’année 2015 devrait voir la poursuite des tendances récentes. La nouvelle séquence de sommets mondiaux place celui des dirigeants de l’APEC, à Manille en novembre, juste avant la réunion du G20 à Antalya (Turquie) ; cela donnera à la Chine et aux États-Unis un avantage sur l’Europe et leurs autres partenaires. La Chine fera également partie cette année de la troïka dirigeant le G20 et elle s’apprête à en prendre la présidence en 2016.

En décembre, le très important sommet de Paris sur le climat suivra une rencontre du G20 et pourrait offrir une plateforme supplémentaire pour de nouveaux accords américano-chinois. Le sommet des BRICS en Russie au début juillet verra probablement la constitution formelle de la nouvelle Banque de développement, un signal clair adressé aux pays du G7 pour ouvrir les institutions traditionnelles, y compris le FMI et la Banque mondiale, sous peine les voir marginalisés.

Un pays pourrait finalement perturber ce jeu bilatéral sino-américain. L’Inde, sous la conduite du Premier ministre réformiste et visionnaire Narendra Modi, est susceptible de développer sa propre vision régionale et mondiale, et de la pousser résolument. Modi aura sans doute besoin de quelques années pour consolider son régime et résoudre les questions domestiques les plus urgentes. Mais le jeu bipolaire qui émerge aujourd’hui dans la gouvernance économique mondiale peut en quelques années se transformer en un jeu tripolaire. L’Europe et le Japon pourraient également redevenir, à moyen terme, des forces avec lesquelles compter.