L’affaiblissement avéré du clivage gauche/droite - 1 - L’éclatement du système partisan edit

21 février 2018

L’hypothèse de l’affaiblissement du clivage gauche/droite a été largement discutée, notamment depuis les dernières élections. Nous estimons qu’une telle hypothèse est solide et que désormais ce clivage n’est plus en capacité d’organiser le fonctionnement de notre système politique. Pour le montrer, nous distinguerons les trois niveaux auxquels ce clivage a joué un rôle central depuis plusieurs décennies : celui de la structure électorale et du système partisan, celui des attitudes politiques des électeurs et celui des politiques gouvernementales menées. Notre conviction est que dans la période actuelle ce clivage n’est plus dominant à aucun de ces trois niveaux.

Les transformations de la structure électorale et l’éclatement du système partisan

Le fonctionnement du système partisan s’est structuré depuis les années 1970 autour du clivage gauche/droite. Différents éléments constituants de ce système ont permis l’alternance au pouvoir de la gauche et de la droite : un certain équilibre électoral entre la gauche et la droite, la domination dans les deux camps d’un parti dominant non extrême, le Parti socialiste à gauche et le parti gaulliste à droite, la présence à la tête de ces partis de leaders qui avaient une ambition présidentielle et des chances réelles de gagner l’élection présidentielle et enfin des accords électoraux qui permettaient à chacun des deux camps de se rassembler au second tour des élections. Enfin, depuis la première alternance de 1981, le parti au pouvoir et son groupe parlementaire apportaient leur soutien au président en place et à son gouvernement. Ces deux partis avaient conquis ainsi un statut de partis de gouvernement. Leur adoption de la procédure de la primaire ouverte pour désigner leur candidat à l’élection présidentielle avait conforté ce statut dans la dernière période.

La capacité du clivage gauche/droite à organiser le fonctionnement de ce système s’est cependant affaiblie progressivement depuis la fin du siècle dernier du fait des évolutions de la structure  électorale. Le choc électoral de 2017 l’a détruite.

A partir de l’élection présidentielle de 1988, le surgissement d’un fort électorat d’extrême-droite avait déjà mis fin à la parfaite bipolarisation du système partisan. Les tableaux 1 et 2 concernant les élections présidentielles et législatives de 2007, 2012 et 2017 permettent d’observer les transformations nouvelles, en 2007 et en 2012, de la structure électorale, puis son effondrement en 2017.

En 2007, pour la première fois depuis les années 1970, un fort électorat du centre d’opposition est réapparu dans le paysage électoral à l’occasion de l’élection présidentielle. S’il n’a pu se maintenir en 2012 à son niveau de 2007, cette réapparition n’en constituait pas moins un second coup porté à la domination du clivage gauche/droite.

En outre, en 2012, tandis que l’électorat de l’UMP s’affaiblissait, un électorat de la gauche radicale s’est reformé avec la création du Front de gauche tandis que le FN continuait sa progression. Ces évolutions n’ont cependant pas encore alors menacé la domination du PS à gauche et de l’UMP à droite. En 2017, la structure électorale s’est effondrée. Le PS est sorti marginalisé de ces élections tandis que LR -ex UMP poursuivait sa chute. Les deux grands partis de gouvernement ont alors perdu leur situation de parti dominant dans leur propre camp, réalisant ensemble à peine le quart des suffrages exprimés tandis que France insoumise et le Front national en rassemblaient au total plus de 40% à l’élection présidentielle et 26,9% aux élections législatives. Enfin et surtout, les partis qui ne se reconnaissent pas dans le clivage gauche/droite représentaient autour de 60% des suffrages exprimés tandis que les partis socialiste et gaulliste en totalisaient moins du quart. Du point de vue électoral le clivage gauche/droite a cessé alors d’être dominant.

Tableau 1- Résultats  des principaux candidats au premier tour des élections présidentielles de 2007, 2012 et 2017 (suffrages exprimés. France entière).

Tableau 2 - Résultats au premier tour des élections législatives de 2007, 2012 et 2017 (suffrages exprimés. France entière).

Cet effondrement, en une dizaine d’années, du duopole électoral des deux grands partis de gouvernement a ainsi détruit la capacité du clivage gauche/droite à organiser le fonctionnement du système partisan. En effet, l’effondrement des deux grands partis ne leur a pas permis de figurer au second tour de l’élection présidentielle et, dans de nombreuses circonscriptions, au second tour des élections législatives, et donc de profiter de la capacité à rassembler l’ensemble des électorats de leur camp qui constituait auparavant l’un de leurs atouts essentiels. Il les a ainsi privé de leur crédibilité de grands partis de gouvernement, capables de remporter les élections et d’imposer ainsi aux autres partis de leur propre camp des alliances électorales à leurs conditions.

A gauche, la montée d’une gauche radicale, dont le but premier est désormais de détruire le Parti socialiste, empêche la reconstitution d’une « gauche plurielle ». Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France insoumise, n’inscrit nullement en effet l’union de la gauche dans sa stratégie tandis que les Verts (EELV) ont pratiquement disparu du champ politique.

A droite, l’établissement d’une alliance entre le(s) FN et le parti gaulliste demeure impossible politiquement alors qu’elle pourrait désormais se révéler indispensable électoralement. En outre, pour ce qui concerne plus particulièrement la gauche, en admettant même que des alliances soient passées entre les partis qui la composent, le fait qu’elle n’ait rassemblé aux dernières élections que 27% des suffrages exprimés rend improbable son retour au pouvoir dans un avenir prévisible.

Si alternance il y a, elle ne se fera donc pas à la faveur d’un duel gauche/droite à moins que les frontières partisanes entre gauche et droite évoluent profondément. Ensuite, et ceci renforce cela, le surgissement d’un nouveau mouvement au centre de l’échiquier politique qui a obtenu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, joint à la montée parallèle des deux grands partis périphériques, soumet les deux anciens partis de gouvernement à des tensions très fortes, pris en étau qu’ils sont entre le mouvement macroniste et les deux partis extrêmes. Cette situation a déjà provoqué des scissions internes dans l’un et dans l’autre parti et leur décomposition n’est pas encore achevée dans la mesure où des choix stratégiques clairs de leur part pourraient accélérer leur éclatement. Enfin, ces partis ne disposent pas actuellement de leaders incontestés capables affronter avec de réelles chances de succès l’actuel président de la République. Or, la question du leadership est devenue aujourd’hui encore plus centrale qu’hier dans le fonctionnement de notre système politique dans la mesure où la crise des partis traditionnels s’est approfondie et que sont apparus des mouvements qui se constituent autour d’un leader. C’est désormais – nous avions connu cette situation en 1958 – le leader qui fonde son mouvement et non plus le parti qui choisit son leader.

Dans la mesure où, par ailleurs, une alliance entre les deux partis extrêmes – FI et FN – paraît impossible politiquement dans la période à venir malgré l’existence de certaines positions communes qui pourraient les rapprocher, le nouveau système partisan paraît durablement éclaté et ne peut donc plus s’organiser autour du clivage gauche/droite.

L’affaiblissement de ce clivage gauche/droite, avéré au niveau du fonctionnement du système politique, se produit également à celui de la structuration des attitudes politiques des électeurs. Le second volet de notre étude le montrera.